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Regard critique · Justice sociale

Avocats et sans-papiers, pour le pire et le meilleur

De plus en plus d’associations dénoncent les manquements de certains avocats dans les dossiers qui concernent les demandeurs d’asile et les sans-papiers.

09-10-2009 Alter Échos n° 282

Nombre d’avocats, qu’ils soient spécialisés ou pas en droit des étrangers, sont actuellement très sollicités pour rentrer les dossiers derégularisation à l’Office des étrangers avant le 15 décembre, date butoir. Si la grande majorité d’entre eux effectue correctement son travail, onentend aussi de plus en plus d’associations dénoncer les manquements de certains. Avec parfois des conséquences très dommageables pour les sans-papiers.

Les sans-papiers ont commencé ce 15 septembre à rentrer leur dossier de régularisation conformément à l’instruction prise à la mi-juillet par legouvernement en vue de préciser la loi sur l’accès au territoire. Un délai de trois mois leur est accordé pour compléter ou introduire les dossiers, délai auterme duquel il sera trop tard pour introduire toute demande. C’est dire l’afflux que connaissent certains cabinets d’avocats, associations spécialisées et syndicats.Une masse de dossiers qui entraîne parfois un certain bâclage, quand il ne s’agit pas de véritables négligences dans le chef de certains avocats. De nombreusesassociations tenant permanence juridique le constatent tous les jours, même si elles précisent, que ces manquements préexistaient à la régularisation, celle-cin’ayant qu’un effet amplificateur.

Un copier-coller aux lourdes conséquences

Ainsi à l’asbl Démocratie Plus1, qui œuvre dans le secteur social et juridique et tient des permanences dans ses locaux à Saint-Josse, on ne compte plusle nombre de dossiers qui ont dû être revus, corrigés, où il a fallu envoyer des compléments ou corrections à l’Office des étrangers outéléphoner à l’avocat fautif. « Loin de nous l’idée de jeter l’opprobre sur toute la profession, explique Khadija Bouzalmad, responsable de lagestion administrative et financière de l’asbl, ils sont heureusement nombreux à exercer tout à fait correctement leur profession, mais nous voyons défilerquotidiennement des personnes dans nos permanences avec des dossiers mal ficelés, des manquements dans la procédure, quand ce ne sont pas purement et simplement des courriers quin’ont jamais été envoyés. Il arrive régulièrement que des gens qui pensaient en toute bonne foi que leur avocat avait ouvert, par exemple, il y a trois ans,un dossier avec une demande de régularisation à l’Office des étrangers, s’entendent dire par l’Office que jamais ils n’ont reçu de demande derégularisation à leur nom ou reçu le moindre courrier de leur avocat. Ces personnes perdent alors une des chances qu’elles avaient de rentrer dans les critères derégularisation définis par le gouvernement en juillet, c’est dramatique. Et contrairement à ce qu’on pense, ce ne sont pas nécessairement les avocats prodeo, ou jeunes stagiaires, qui sont coupables de ce genre de manquements, mais de grands cabinets d’avocats qui ont pignon sur rue. »

Ainsi, Khadija Bouzalmad nous explique qu’il arrive régulièrement dans des dossiers que l’avocat fasse un simple copier-coller en oubliant tout simplement d’enleverle nom du client précédent ou sa nationalité, rendant invraisemblable son histoire et inutilisable la demande adressée à l’Office. « Vous avez desdemandes de régularisation en vertu de l’article 9 bis [NDLR Autorisation de séjour pour circonstances exceptionnelles] qui font une demi-page, la vie entière de lapersonne se voit ainsi résumée en quelques lignes, parfois pour des honoraires exorbitants, ou encore la référence à un article de loi est erronée, la daten’est pas la bonne. Nous avons tellement l’habitude de ce genre d’erreurs, que nous les repérons directement. On peut intervenir en téléphonant àl’avocat, ou en renvoyant un courrier complémentaire ou correctif à l’Office à partir du moment où le dossier a été introduit initialement par unavocat, mais il est des cas où il est malheureusement trop tard et c’est alors toute la vie des gens qui bascule. »

À l’association Le Foyer2, située à Molenbeek et qui tient également des permanences juridiques de première ligne, on parle d’au moins uncas sur deux où le dossier comporte des erreurs, des éléments manquants, un dépassement du délai pour les recours ou l’oubli d’une requête.

Même son de cloche chez Hispano-Belga3, association saint-gilloise bien connue de la communauté latino. « Les avocats qui posent problème sont connus,témoigne Ivan Salazar, responsable du service social. Ils sont à notre connaissance trois ou quatre tout au plus. Au sein du Forum asile migration dont nous sommes membres, toutes lesassociations les connaissent. Il y a déjà eu quelques plaintes mais ça ne va pas très loin et les sans-papiers sont souvent démunis, ils n’osent pas. Leserreurs les plus communes se retrouvent dans les copier-coller où l’on oublie de changer les noms, les nationalités. On voit aussi des honoraires qui varient de 250 à 750 €selon l’avocat pour le même complément pour un dossier. Avant la période de régularisation commencée en septembre, nous avons plusieurs personnes qui nous ontdit avoir été contactées par certains cabinets via un courrier envoyé en juillet et août avec des infos sur la régularisation en leur demandant de venirà leur cabinet pour constituer un dossier et les invitant à payer une provision de 300 € au préalable. Nous avons entendu aussi le témoignage de personnes àqui l’avocat avait fixé rendez-vous dans un fast food ou dans la salle des pas perdus du Palais de justice pour discuter de leur dossier ! ! »

Peu de plaintes déposées

Le récit des associations défendant le droit des étrangers sur certaines pratiques d’avocats fait froid dans le dos et l’on est légitimement en droit de se demandercomment ces avocats ne sont pas sanctionnés. Si ceux-ci sont connus des différentes associations, elles ne peuvent souvent les dénoncer elles-mêmes soit parcequ’elles doivent continuer à travailler avec eux, soit parce qu’elles sont tenues par le secret professionnel. Les demandeurs d’asile ou de régularisation peuventquant à eux porter plainte auprès du bâtonnier de leur arrondissement judiciaire mais ils sont peu nombreux à oser sortir de l’ombre… et la procédurepeut prendre beaucoup de temps. La sanction peut aller du blâme à l’expulsion pure et simple du barreau.

Mais encore faut-il, pour qu’il y ait sanction, qu’il y ait eu plainte. Après un rapide sondage auprès des 14 bâtonniers francophones, il se confirme que très peu ontreçu des plaintes concernant des avocats ayant manqué à leur éthique professi
onnelle vis-à-vis de clients en demande d’asile ou de régularisation.À Verviers, Namur, Tournai et Arlon, aucune plainte n’a été enregistrée sur les deux dernières années. Le bâtonnier de Bruxelles, sans aucundoute le plus exposé étant donné le nombre de demandeurs d’asile et sans-papiers résidant dans la capitale, ne nous a pas répondu. Seul le bâtonnier deLiège, Patrick Henry, a eu quelques cas : « Pendant les exercices 2007-2008 et 2008-2009, j’ai effectivement reçu quelques correspondances émanant soit de candidatsréfugiés, soit de sans-papiers, soit de personnes de nationalité étrangère qui souhaitaient rejoindre notre pays, se plaignant de leur avocat. Engénéral, ces personnes se plaignaient de lenteurs de procédure qu’ils imputaient à l’inaction de leur avocat. À la suite des interpellations quej’ai adressées à ces avocats, les choses sont à ma connaissance rentrées dans l’ordre. Ou il s’agissait de lenteurs de procédure qui ne leurétaient pas imputables ; ou mon interpellation a suffi à débloquer le dossier. Il m’est difficile de donner une appréciation chiffrée, àdéfaut de recensement précis et spécifique de ce genre de correspondance. Je dirais que cela représente entre cinq et dix correspondances. Un avocat a égalementfait l’objet de deux plaintes spécifiques au sujet d’audiences qui avaient été manquées. Une enquête a été ouverte. Il est apparu que cesmanquements témoignaient d’une trop grande négligence dans l’organisation de ses remplacements à l’occasion d’un séjour àl’étranger. Une « admonestation paternelle » (réprimande officielle) lui a été adressée, en lui précisant qu’en cas de réitération decomportement du même type, une procédure en radiation des listes de l’aide juridique serait entamée. Un autre avocat a fait l’objet d’une série deplaintes émanant de plusieurs ressortissants de divers pays de l’Est de l’Europe se plaignant, à chaque fois, non de la qualité de ses services maisd’honoraires qu’ils jugeaient exorbitants. Une enquête disciplinaire a été ouverte. Elle est en voie de se clôturer, l’instruction étantretardée par la difficulté d’entrer en contact avec chacun des plaignants, pour la plupart résidents de la Région flamande. »

Du côté de l’Office des étrangers, il existerait, selon plusieurs sources concordantes, une liste noire d’avocats, mais qui, à notre connaissance, n’ajusqu’ici fait l’objet d’aucune transmission à l’un ou l’autre bâtonnier.

1. Démocratie Plus :
– adresse : rue des deux églises, 111 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 218 19 17
– fax : 02 218 19 17
– courriel : info@democratie-plus.be
– site : www.democratie-plus.be/
2. Le Foyer asbl, Regionaal Integratiecentrum Foyer :
– adresse : rue des Ateliers, 25 à 1080 Molenbeek-Saint-Jean
– tél. : 02 411 74 95
– site : www.foyer.be
3. Hispano-Belga, asbl :
– adresse : chaussée de Forest, 244-246 à 1060 Saint-Gilles
– tél. : 02 539 19 39
– courriel : hispano-belga@skynet.be
– site : www.hispano-belga.be

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