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Argent facile, fins de mois difficiles

L’ouverture de crédit, terme générique pour les produits permettant d’accéder très facilement à une « réserve financière», est aujourd’hui le seul type de crédit pour lequel le nombre de contrats défaillants augmente. Un constat qui interpelle le secrétaire d’État àla Lutte contre la pauvreté qui suggère quelques pistes.

02-07-2008 Alter Échos n° 255

L’ouverture de crédit, terme générique pour les produits permettant d’accéder très facilement à une « réserve financière», est aujourd’hui le seul type de crédit pour lequel le nombre de contrats défaillants augmente. Un constat qui interpelle le secrétaire d’État àla Lutte contre la pauvreté qui suggère quelques pistes.

Derrière le terme générique d’ouverture de crédit se cache en fait une série de formulations pour un même produit : le crédit permanent, laréserve d’argent, le crédit renouvelable, le credit revolving… Souple, rapide et populaire. Mais souvent coûteux et dangereux. Un credit revolvingpermet de réemprunter sans cesse, sans formalité nouvelle, donc sans devoir justifier quoi que ce soit à l’égard du prêteur. Le système plaît, ons’en doute : les ouvertures de crédit représentaient, fin 2007, 3 433 937 contrats, soit 45,7 % des crédits enregistrés à la centrale de la Banque nationale(34,2 % des nouveaux contrats)1 et plus de deux tiers des crédits à la consommation. Et encore ne tient-on pas en compte les ouvertures de crédit inférieuresà 1 250 euros. Le montant moyen des ouvertures de crédit octroyées en 2007 s’élève à 6141 euros, soit + 7,2 % par rapport à 2006.

Des prêteurs peu scrupuleux

Censée compenser un manque temporaire de liquidités, l’ouverture de crédit peut cependant devenir un fameux piège à l’endettement. De 2003 à2007, on est passé de 190 226 contrats défaillants à 215 023 (soit + 6,3 %). L’ouverture de crédit est le seul contrat de prêt pour lequel les défautsde remboursement sont en augmentation.

Outre le fait qu’une ouverture de crédit mal utilisée peut vite devenir coûteuse, la facilité avec laquelle celle-ci est accessible a de quoi interpeller. Enpratique, les mécanismes légaux mis en place pour éviter les dérapages sont souvent contournés. Le prêteur ou l’intermédiaire de crédit a,en effet, l’obligation légale de s’informer sur l’état des finances du client ; en clair, sur sa solvabilité. Il est tenu, dans la foulée,d’adapter le prêt aux besoins du consommateur. Voire de refuser un crédit. Or une majorité d’ouvertures de crédit sont désormais octroyées par lesecteur non bancaire et pratiquées de manière quasi automatique par nombre de grandes surfaces, de chaînes commerciales et de sociétés de ventes par correspondance.Sur les 215 023 contrats défaillants en ouverture de crédit, 59 979 viennent de d’établissements de crédit2 et 155 044 d’autres institutions3.

Si la consultation de la Centrale des crédits aux particuliers reste obligatoire avant l’octroi d’un crédit, les circonstances commerciales plaident rarement en faveurd’une information sereine et complète : explications insuffisantes sur le crédit par des vendeurs non formés (et priés de « faire du chiffre »),formulations ambigües relatives à l’appellation des cartes, etc. La récente interpellation au Parlement bruxellois du ministre de tutelle de la STIB, Pascal Smet (SP.A), par ladéputée Julie Fiszman (PS) au sujet de la présence de stands commerciaux de la société Citibank, apparus dans au moins deux stations de métro au cours desdernières semaines, est l’une des illustrations de cette évolution. Selon la députée, des commerciaux de la société, pour la plupart étudiants, ontdémarché de « manière agressive » les utilisateurs du réseau, parfois âgés de moins de vingt ans, pour leur proposer de prendre une carte decrédit à la consommation Visa ou Mastercard.

Quant aux publicités, elles aussi posent bien souvent question. Depuis 2004, il est interdit d’inciter au surendettement, de souligner la facilité du crédit et le« regroupement » ou la « centralisation » des crédits en cours. Mais force est de constater que certains organismes, et non des moindres, ont une lecture pour le moinsdistraite de cette législation…

Réaction du secrétaire d’État

Selon Jean-Marc Delizée, secrétaire d’État à la Lutte contre la pauvreté4, « les services de médiation de dettes des CPAS ouprivés sont envahis par des personnes surendettées à cause de tels systèmes ». Il affirme que les chaînes de magasins ne respectent pas la loi. « Lesvérifications prévues par la loi ne se font pas à la caisse d’un supermarché où l’on donne tout simplement la carte de crédit à ceux quien font la demande et où on la propose même à ceux qui ne la sollicitent pas. Ce que l’on évite de préciser aux caisses, c’est qu’une telleouverture de crédit est assortie d’un taux annuel effectif global pouvant aller jusqu’à 19 %. Souvent, le consommateur qui acquitte sa facture mensuellement ne se rendmême pas compte qu’il paie uniquement les intérêts et non le capital. Après 5 ans, il ne peut alors que douloureusement constater qu’il devra encore rembourserle capital. »

Selon Jean-Marc Delizée, il convient de mettre un terme à la prolifération de telles ouvertures de crédit. Sans aller aussi loin que certains membres du Parlement(SP.A) qui veulent tout simplement interdire de telles cartes de crédit, il souhaite que les consommateurs soient systématiquement mieux informés sur les avantages etinconvénients de ces cartes, et ce, dans un langage clair et compréhensible. Il demande que le taux annuel effectif global soit diminué et que le délai de zérotage(l’acquittement du montant emprunté total) se fasse plus tôt que dans un délai de 5 ans (cf. encadré).

Jean-Marc Delizée ajoute encore qu’« il serait également utile de ne pas installer les stands où de tels crédits sont offerts juste àcôté des caisses ou des comptoirs où le matériel (TV, informatique,…) est vendu ».

La solution passe-t-elle par le « zérotage » ?

L’une des solutions proposées par ceux qui veulent tenter de réduire les défauts de paiement nés d’une ouverture de crédit mal maîtrisée estd’imposer un « délai de zérotage ». Plusieurs propositions de loi vont dans ce sens. Dernière en date, celle de la sénatrice Olga Zrihen (PS) quivoudrait instaurer ce « zérotage »5. Il s’agirait d’obliger le consommateur à remettre « le compteur à zéro » dans undélai d’un an. En c
lair, d’avoir remboursé tout son crédit avant de pouvoir réemprunter.

En théorie, il existe déjà un délai de zérotage prévu par la loi depuis 2004. Celle-ci oblige le prêteur à indiquer dans le contrat decrédit le délai endéans lequel le montant total emprunté doit être remboursé par le consommateur. Cette remise à zéro vise à limiterl’endettement dans le temps. Pour les contrats de crédit à durée indéterminée ou à durée déterminée de plus de cinq ans qui neprévoient aucun remboursement périodique en capital, le montant total à rembourser doit être payé dans un délai maximum de 60 mois. Mais, et la nuance estessentielle, pour peu que l’ouverture de crédit prévoie un remboursement périodique en capital (si minime soit-il), il n’y a plus d’obligation de délai maximum deremboursement. Dans les faits, le délai de zérotage est rarement d’application.

Du côté de l’Union professionnelle du crédit, on reste sceptique devant une obligation de zérotage, arguant que cela pourrait obliger un consommateurà… emprunter pour pouvoir payer sa dette en une seule fois, au lieu de l’étaler. Conscient de ce problème, la plate-forme d’associations de la «Journée sans crédit » a une proposition plus subtile : au lieu d’obliger un consommateur à solder son ouverture de crédit en une fois, il suffirait de ne plusl’autoriser à emprunter tant que les comptes ne sont pas soldés.

Source : Dossier de L’Écho du 9 janvier 2008 sur les ouvertures de crédit.

1. Les chiffres proviennent de la brochure statistique de la Centrale des crédits aux particuliers, téléchargeable sur le site de la Banque nationale belge : www.bnb.be
2. Institutions soumises à la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit qui sont agréées par la Commission bancaire,financière et des assurances.
3. Institutions autres que les établissements de crédit qui sont agréées par le SPF Économie pour l’octroi de crédits à la consommation.
4.Jean-Marc Delizée, secrétaire d’État à la Lutte contre la pauvreté :
– adresse : rue Ernest Blérot, 1 à 1070 Anderlecht
– tél. : 02 238 28 11
– site : www.jmdelizee.be
5. Les sénatrices socialistes Christiane Vienne, Joëlle Kapompolé et Olga Zrihen ont par ailleurs déposé une proposition de loi contenant plusieurs mesures de luttecontre le crédit facile, cf. à ce sujet, la rubrique Télex de l’Alter Échos n° 253.

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