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Aide alimentaire et durabilité : duo impossible ?

L’aide alimentaire se donne pour mission première de nourrir les plus démunis. Est-ce possible de concilier cet objectif avec une alimentation durable ? Si la question fait débat, elle est souvent considérée comme accessoire. D’autres s’interrogent : à trop vouloir du durable, ne tendrait-on pas à imposer des comportements aux plus pauvres ?

14-09-2012 Alter Échos n° 344

L’aide alimentaire se donne pour mission première de nourrir les plus démunis. Est-ce possible de concilier cet objectif avec une alimentation durable ? Si la question fait débat, elle est souvent considérée comme accessoire. D’autres s’interrogent : à trop vouloir du durable, ne tendrait-on pas à imposer des comportements aux plus pauvres ?

«L’alimentation que nous fournissons est-elle durable ? Disons… oui, il y a des dates de péremption », affirme un responsable d’une structure d’aide alimentaire. Un malentendu qui, au-delà de son caractère comique, révèle le gouffre qui sépare parfois les acteurs de l’aide aux plus démunis de ceux de l’alimentation durable. Est-ce si important de respecter une série de critères de durabilité – variables selon les définitions, mais incluant notamment le respect de l’environnement et de la santé des consommateurs – quand la priorité est de manger à sa faim ? Et surtout, est-ce possible ?

Ces questions, Jean Delmelle, président de la Fédération belge des banques alimentaires1 se les pose régulièrement. Et pour lui, la réponse est évidente : « Avant de parler de la nutrition, ou des conditions de production, il faut que les gens aient à manger, c’est le premier besoin à remplir. » Du coup, les banques alimentaires acceptent tout ce qui est comestible. Quitte à ce que chaque produit ne soit pas un condensé de qualité nutritive et environnementale, comme l’admet volontiers le président de la Fédération belge : « Nous recevons des sodas, par exemple, ou des produits sucrés. Nous n’achetons rien. Nous sommes tributaires de ce qu’on nous donne. On peut être soucieux de notre environnement, mais on ne peut pas se permettre de dire que pour telle ou telle raison nous n’acceptons pas de produits. De plus, quelqu’un vérifie la qualité de tout ce que nous distribuons. »

2,5 % de produits frais
Quand on sait qu’en 2011, 117 440 personnes ont reçu une aide en provenance des banques alimentaires, via des associations de terrain, et que ce chiffre est inférieur à la réalité de l’aide alimentaire en Belgique (les CPAS ou les épiceries sociales ne passent pas forcément par une banque alimentaire), on peut être sensible à l’argument.

Le contexte n’est d’ailleurs pas vraiment au durable. Le nombre de demandeurs d’aide augmente alors que le secteur est menacé de perdre sa principale source d’approvisionnement. Le programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD), qui « pèse » 55 % des vivres distribués, est sur la sellette. Le but premier des banques alimentaires est de pallier ce potentiel gouffre dans leur stock.

Malgré cette crise, certaines préoccupations des banques alimentaires rencontrent celles défendues par les tenants du durable. Jo Deleers, coordinateur du programme européen pour la Fédération belge, souligne les bienfaits des produits à « haute valeur nutritive » obtenus dans le cadre de cette aide européenne. On trouve des fruits et légumes en conserve, par exemple. Les responsables des banques alimentaires préfèreraient distribuer davantage de produits frais, mais ceux-ci ne représentent que 2,5 % des denrées qu’ils reçoivent. Enfin, La Fédération rappelle que sa principale contribution à la « durabilité » de l’alimentation réside dans la lutte contre le gaspillage. Leurs stocks étant essentiellement composés d’invendus qui, autrement, auraient terminé leur parcours à la poubelle.

« L’aide alimentaire doit s’adapter aux enjeux environnementaux »
A la Fédération des services sociaux2, on essaye de considérer la mort annoncée du PEAD comme une opportunité à saisir. Pour Déborah Myaux, coordinatrice de la Concertation aide alimentaire, « il est nécessaire que l’aide alimentaire s’adapte aux enjeux sociaux et environnementaux en développant d’autres modes d’approvisionnement. C’est le moment de créer des synergies avec des acteurs de l’alimentation durable. La menace de disparition du PEAD nous y oblige. » Les pistes sont connues, elles commencent à se développer. Déborah Myaux les énumère : « Les potagers, les partenariats avec de petits producteurs dans le cadre de circuits courts, les ateliers de transformation de produits et l’amélioration de la lutte contre le gaspillage. » La coordinatrice reconnait que de nombreux obstacles se dressent sur la route d’une aide alimentaire dite durable. Pas toujours évident pour les associations de stocker des produits frais alors qu’elles ne sont pas toutes dotées d’un frigo. Pas toujours facile d’en demander encore plus à des bénévoles qui donnent déjà de leur temps. Mais la principale réserve ne viendrait-elle pas des bénéficiaires eux-mêmes ? Déborah Myaux s’interroge : « Est-ce que les produits frais, les fruits et légumes répondent à une demande ? Il faut aussi adapter l’offre à la demande pour éviter d’être normatifs. On ne va pas mettre tout le monde au régime végétarien sous prétexte que c’est durable… »

« Ne pas restreindre l’autonomie des gens à nos propres valeurs »
Ce dilemme entre durabilité et demande des bénéficiaires est au cœur de la problématique de l’aide alimentaire. Chez Amphora3, épicerie sociale située à Molenbeek, on en a pleinement conscience. C’est ce qu’explique Sabine Fronville, coordinatrice de l’asbl : « La préoccupation de durabilité est fondamentale. C’est important de bien se nourrir pour un public fragilisé qui, souvent, consomme plus de sucré, plus de gras. Mais il n’est pas évident de faire le lien entre la théorie et la réalité de terrain. » Si son association travaille d’arrache-pied sur la meilleure façon d’aborder le durable dans un contexte d’aide alimentaire, cela ne l’empêche pas de vendre beaucoup d’huile, de produits sucrés, gras ou transformés. « Si on ne les vendait pas, les bénéficiaires les achèteraient ailleurs. Les supprimer serait en contradiction avec le but des épiceries sociales qui est de favoriser l’autonomie des gens. Si on restreint l’autonomie à nos valeurs, alors on n’est plus dans l’autonomie. »
Le durable intéresse Sabine Fronville sous l’angle de la qualité de vie. « En mangeant correctement, les bénéficiaires améliorent leur sensation de bien-être. » Pour ce faire, il n’y a pas 36 solutions. La piste des circuits courts est à l’étude. « Mais ça dépendra du prix », tempère la coordinatrice. Quant à la sensibilisation à une alimentation de qualité, « cela doit passer par des activités conviviales, des sessions de cuisine où les gens apportent leurs recettes, ou des visites de ferme en groupe ». Pas question pour autant de n’acheter que des produits bio ou équitables. « On ne nourrirait plus 100 familles mais 50 », estime Sabine Fronville. Consciente des enjeux environnementaux, notre coordinatrice n’en taquine pas moins le monde de l’alimentation durable : « Leurs idées sont bonnes mais souvent pas applicables. Ils n’ont aucune idée de ce qu’est la précarité. Parler aux bénéficiaires de notions théoriques sur le durable, l’environnement, ça marchera peut-être à Saint-Gilles mais ici, les gens ne l’entendent pas. Au contraire, ils peuvent prendre assez mal le côté paternaliste des conseils sur l’alimentation. »

1. Fédération des banques alimentaires :
– adresse : rue de Glasgow, 18 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 559 11 10
– courriel : info@foodbanks.be
– site : http://www.banquesalimentaires.be
2. Fédération des services sociaux (FDSS) :
– adresse : rue Gheude, 49 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 223 37 74
– courriel : info@fdss.be
– site : http://www.fdss.be
3. Amphora :
– adresse : boulevard du Jubilé, 42 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 425 67 56

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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