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Pouvoirs locaux

Accueil des gens du voyage en Wallonie: les provinces à la rescousse

Sur l’ensemble de la Région wallonne, à peine deux communes proposent une aire permanente d’accueil et neuf mettent à disposition des terrains provisoires dépourvus de toutes infrastructures. Pour le ministre de l’Intégration sociale, Maxime Prévot, c’est un constat d’échec. Il propose d’impliquer les provinces afin d’accompagner les communes dans l’accueil des gens du voyage.

Sur l’ensemble de la Région wallonne, à peine deux communes proposent une aire permanente d’accueil et neuf mettent à disposition des terrains provisoires dépourvus de toutes infrastructures. Pour le ministre de l’Intégration sociale, Maxime Prévot, c’est un constat d’échec. Il propose d’impliquer les provinces afin d’accompagner les communes dans l’accueil des gens du voyage.

En contrebas, il y a la Meuse et, en face, les falaises imposantes de Marche-les-Dames. Seuls le bruit du train et celui des camions sur la nationale viennent perturber à intervalle régulier la quiétude des lieux. La veille, une dizaine de caravanes ont pris leurs quartiers sur le terrain de Lives-sur-Meuse, un ancien camping communal réaménagé en 2015 par la Ville de Namur en aire permanente d’accueil des gens du voyage. Ce matin-là, seuls les femmes et les enfants sont présents. Les hommes sont partis au chevet d’un ami hospitalisé dans le nord de la France.

Devant sa caravane, Maryline est en train d’étendre le linge. «C’est bien pour nous d’avoir installé une aire comme celle-ci avec l’eau et l’électricité», explique cette femme originaire de Lille. Même si, à son goût, le terrain est un peu trop bétonné. «C’est bien pour les caravanes quand il pleut, on ne s’embourbe pas. Mais ce n’est pas très agréable pour les enfants.» Maryline trouve aussi que quelques jeux pour les enfants ne seraient pas superflus. «Mais ce sont des détails, insiste-t-elle. Par contre, c’est dommage qu’on ne puisse pas être plus nombreux sur ce terrain. On a dû scinder le groupe.»

«Il n’est pas question que l’on devienne le gendarme des communes. On peut encourager, inciter mais certainement rien imposer aux communes.» Annick Bekavac, directrice de l’Association des Provinces wallonnes (APW)

Avec une capacité limitée à 16 caravanes et des blocs sanitaires munis de toilettes et de douches aux quatre coins du terrain, l’aire de Namur a été conçue pour l’accueil de groupes de taille modeste (et une durée de deux semaines au maximum). «On en accueille en moyenne une quinzaine chaque saison», indique Annick Morval, agent de médiation pour la Ville de Namur depuis sept ans. «En 2016, on a accueilli en tout 170 caravanes sur le terrain.» Le terrain est ouvert entre le 1er mars et le 31 octobre, et tout est complet pour 2017. Chaque famille paie 45 euros par caravane pour y séjourner une semaine, un prix qui comprend la taxe de séjour, l’accès aux sanitaires, la gestion des déchets et un forfait pour l’eau et l’électricité.

Cela fait des années que les gens du voyage viennent sur le territoire de Namur. «L’idée était de mettre en place un projet pilote pour pouvoir les accueillir de manière plus digne», résume la médiatrice. Avant, ils s’installaient régulièrement sur un terrain situé sur les hauteurs de Jambes. «Mais il n’y avait pas d’infrastructures ni d’accès à l’eau ou l’électricité. Ici, avec l’aire d’accueil permanente, on doit fonctionner d’une autre manière», explique la médiatrice. Depuis l’ouverture, le bouche-à-oreille fonctionne bien. «Pour le moment, j’ai une vingtaine de groupes sur liste d’attente.»

Échec de la politique actuelle

Des aires permanentes d’accueil comme celle-ci, la Wallonie n’en compte que deux actuellement. Pour Ahmed Ahkim, le directeur du Centre de médiation des gens du voyage, «quelque chose coince au niveau communal. Quelques communes à peine se sont engagées concrètement dans l’accueil des gens du voyage.» Un échec pour les acteurs de terrain qui s’impatientent de voir ces initiatives dépasser le stade de projet pilote. Plusieurs communes rechignent à mettre à disposition des terrains, même à titre provisoire. «C’est clair qu’au niveau communal, les bourgmestres mais aussi l’ensemble des élus locaux anticipent les réactions négatives de la population, constate Ahmed Ahkim. Ils se disent que l’opinion publique est forcément contre.»

Pour le ministre de l’Intégration sociale, Maxime Prévot, «le bilan est très maigre», puisque jusqu’ici, seule une dizaine de communes ont joué le jeu. Namur et Ath sont les seules à proposer une aire équipée d’infrastructures permanentes et neuf autres communes (Amay, Bastogne, Charleroi, Hotton, Mons, Ottignies, Sambreville, Wasseiges et Verviers) mettent ou s’apprêtent à mettre à disposition une aire temporaire. Pour Maxime Prévot, le constat est clair. «On ne peut plus se satisfaire d’une approche fondée uniquement sur le bon vouloir et encore moins pratiquer la politique de l’autruche.»

Supracommunalité et provinces

Face à ce constat d’échec, le ministre de l’Intégration sociale souhaite passer à la vitesse supérieure en impliquant les provinces dans le dispositif d’accueil. Il a donc déposé un projet de décret au gouvernement wallon «qui vise à assurer un accueil des gens du voyage organisé par les provinces wallonnes en collaboration avec les communes». Pour Maxime Prévot, les provinces sont l’interlocuteur le plus approprié «car l’accueil des gens du voyage entre dans les préoccupations supracommunales revendiquées par les provinces».

«Les gens du voyage font peur parce qu’on ne les connaît pas et que leur mode de vie est différent.» Annick Morval, agent de médiation pour la Ville de Namur

Ahmed Ahkim estime lui aussi qu’impliquer les provinces a du sens pour créer une dynamique positive et encourager les communes à en faire davantage pour accueillir les gens du voyage. «Au moins les communes ne se retrouveraient plus seules dans un face-à-face tendu», estime le directeur du Centre de médiation des gens du voyage. Un constat que partage également le ministre des Pouvoirs locaux, Pierre-Yves Dermagne. «Les provinces ont plus de recul sur les différentes situations locales que les communes elles-mêmes. Elles peuvent jouer un rôle de coordination et pallier les éventuels manquements de certaines communes.»

Concrètement, l’avant-projet de décret de Maxime Prévot propose que chacune des provinces mette à disposition quatre terrains avec au minimum une aire aménagée et trois aires temporaires où seront prévus des accès à l’eau, à l’électricité, aux sanitaires ainsi que le ramassage des immondices. «Chaque terrain devra être disponible pendant huit mois, de mars à octobre, ce qui équivaut à 140 semaines à organiser sur le territoire provincial», détaille Maxime Prévot. Une obligation qui prendra cours fin 2020, afin de laisser du temps aux élus provinciaux de se mettre en conformité avec le décret. Un délai nécessaire, estime le ministre, compte tenu d’un éventuel changement de majorité au sein des collèges communaux et provinciaux après les élections d’octobre 2018.

Sanctions financières

Concrètement, chaque province devra disposer d’au moins un terrain équipé au plus tard pour fin 2021. Pour encourager les autorités locales, la Région wallonne proposera des subventions en vue de l’acquisition, de l’aménagement, de l’accessibilité et de l’extension de terrains à hauteur de 90% du coût des travaux à réaliser. À défaut, les provinces qui n’auraient pas réalisé ces aménagements seront sanctionnées financièrement. «Elles pourraient être privées de la possibilité de solliciter un programme triennal en matière de travaux subsidiés ou voir la dotation du Fonds des provinces diminuée à concurrence de 10.000 euros par semaine de disponibilité manquante pour les terrains provisoires ou de 80.000 euros par an pour l’exigence des aires aménagées», indique le ministre de l’Intégration sociale dans son avant-projet de décret.

Du côté de l’Association des provinces wallonnes (APW), même si on estime qu’impliquer les provinces dans l’accueil des gens du voyage a du sens, la directrice, Annick Bekavac, juge «surprenante» la manière de procéder. «On a une obligation de résultat mais sans avoir réellement la capacité de contraindre les communes de le faire. Il n’est pas question que l’on devienne le gendarme des communes. On peut encourager, inciter mais certainement rien imposer aux communes.» Pour elle, le principe de supracommunalité, c’est l’idée d’un soutien aux communes. «On écoute les besoins de terrain, on y répond si possible mais sur un principe de dialogue et d’échange.»

Pour la directrice de l’APW, on aurait pu s’y prendre autrement en demandant aux provinces de se concerter avec les communes pour trouver un terrain d’entente, quitte à ce que la Région wallonne reprenne la main en cas d’échec de la concertation. «Ce serait plutôt à elle de trancher en cas de blocage. Ici, on risque juste de tomber dans un dialogue de sourds», ajoute Annick Bekavac.

Mercedes et préjugés

L’avant-projet de décret prévoit également le financement d’un équivalent temps plein par province pour engager un coordinateur-médiateur des gens du voyage en tant que référent et facilitateur pour les autorités provinciales et communales. Un poste comme celui d’Annick Morval mais à l’échelle de la province. Peu de communes disposent d’une personne pour gérer ces questions et jouer le rôle de médiateur entre les gens du voyage, les autorités et les riverains.

À Namur, par exemple, quand la Ville a lancé l’idée d’aménager une aire d’accueil des gens du voyage à Lives-sur-Meuse, les riverains ont d’abord réagi de manière très vive. «C’est sûr que les gens du voyage véhiculent toute une série de stéréotypes et de clichés», constate tous les jours Annick Morval. «Le ‘mythe de la Mercedes’ a la vie dure. Les gens me demandent toujours comment ils font pour avoir de grosses voitures? Les gens du voyage font peur parce qu’on ne les connaît pas et que leur mode de vie est différent», rappelle la médiatrice.

Mais, aujourd’hui, les choses se passent bien à Lives-sur-Meuse. Au dire de la médiatrice, les riverains sont plus inquiets par le danger que représente la nationale à l’entrée de l’aire d’accueil. «Ils demandent qu’on installe un feu de signalisation pour permettre aux gens du voyage de manœuvrer à l’entrée et la sortie du terrain. Ils ont peur aussi pour les enfants. Pour moi, c’est le signe que les tensions se sont apaisées», indique Annick Morval.

«En agissant sur les raisons objectives de tension, on a beaucoup moins de réactions négatives au sein de la population.» Ahmed Ahkim, Centre de médiation des gens du voyage

Pour y arriver, il a fallu rassurer les riverains, notamment en organisant une présence régulière de la commune sur le terrain. La médiatrice vient travailler plusieurs fois par semaine dans un petit bureau installé à l’entrée du terrain. «Avec ma collègue, on essaye d’assurer une présence mais il ne faut pas non plus que les gens du voyage aient l’impression qu’on les surveille, insiste la médiatrice. C’est aussi une façon de montrer aux riverains qu’on est là, qu’on gère les choses.» Les services de la Ville de Namur viennent aussi très régulièrement pour entretenir les infrastructures. «C’est important pour que les choses se passent bien», insiste Annick Morval.

Pour le directeur du Centre de médiation des gens du voyage, c’est un point essentiel. «Quand l’accueil est organisé et géré au niveau local, cela se passe généralement bien pour tout le monde. C’est lorsque rien n’est géré qu’on assiste à des réactions très vives de la population.» Ahmed Ahkim rappelle que la question de l’accueil des gens du voyage comporte «une dimension émotionnelle importante» mais beaucoup moins à partir du moment où «les aspects techniques» tels que la question des terrains, la propreté, l’accès à l’eau, l’électricité, les contacts avec les autorités sont réglés. «En agissant sur les raisons objectives de tension, on a beaucoup moins de réactions négatives au sein de la population.»

En attendant Ostende

Sur le terrain de Lives-sur-Meuse, la matinée touche à sa fin. Les enfants ont improvisé une partie de saute-mouton sur les bornes électriques installées le long des emplacements. Ces enfants, Annick Morval les a vus grandir et finit par les connaître à force de retrouver les mêmes groupes d’année en année«J’en vois certains revenir depuis sept ans. J’ai parfois des photos des enfants quand ils étaient tout petits», s’amuse la médiatrice. Maryline, elle, pense déjà à l’après. Après avoir passé 15 jours sur le terrain, elle reprendra la route avec le groupe. Ils vont sillonner pendant plusieurs semaines la Wallonie avant d’aller à Ostende, fin juillet. C’est là que plusieurs groupes de gens du voyage se sont donné rendez-vous pour une «mission», un grand rassemblement pouvant atteindre 300 à 400 personnes. «Mais là, pas de souci, sourit-elle. En Flandre, ce n’est pas la même chose qu’en Wallonie. Il y a beaucoup plus de terrains. Et à Ostende, tout a déjà été prévu avec les autorités.»

 

 

En savoir plus

«Gens du voyage: la médiation pour apaiser les tensions», Focales n°24, Cédric Vallet, avril 2016.

Francois Corbiau

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