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Regard critique · Justice sociale
Le procès des animaux, fixé à ce jeudi 15 juin, a été reporté.

Ce jeudi 15 juin, 9 activistes de l’EZLN, Ensemble Zoologique de Libération de la Nature, collectif de citoyen.nes autonomes engagé dans une lutte pour la justice climatique et la défense de l’environnement, comparaissent au Palais de Justice à la suite d’une action pour l’interdiction du glyphosate. Le procès, à forte dimension politique, a été reporté.  

Depuis plusieurs mois, ils débarquent là où on ne les attend pas, vêtus de leurs costumes de chats et de crocos. Eux, ce sont les militants de l’EZLN, Ensemble Zoologique de Libération de la Nature, un groupe de citoyens et citoyennes né dans le cadre des Climate Games, une plateforme d’actions non-violentes et de désobéissance civile menées dans le monde entier en marge de la COP21 à Paris en 2016 (lire leur interview ici). Leur cible: les multinationales, lobbys ou responsables politiques qui mettent en danger la nature et la santé. L’EZLN a fait irruption aux négociations sur le TTIP, au siège de Bayer, ou encore à la banque Fortis. La brigade animale y lâche des feuilles et de la paille, exécute une petite danse et crie son slogan «Nous ne nous battons pas contre  la nature, nous sommes la nature qui se défend», avant de prendre la fuite. Les militants avaient jusqu’alors réussi à mener toutes leurs actions sans se faire capturer. Jusqu’au 9 mai dernier: neuf activistes se sont faits arrêter judiciairement après une action menée contre l’European Crop Protection Association (ECPA), un lobby basé à Bruxelles qui rassemble les plus gros producteurs mondiaux de pesticides comme Bayer, Monsanto ou Syngenta. À l’issue de cette action, neuf personnes ont fait l’objet d’une arrestation judiciaire et ont passé la nuit au poste d’Auderghem, avant d’être transférés au parquet de Bruxelles. Ils sont appelés à comparaître ce jeudi 15 juin pour des faits de graffitis sur des propriétés mobilières et immobilières et dégradation de biens immobiliers. Selon l’EZLN, «l’action s’est déroulée de manière pacifique, sans dégradation matérielle permanente». Les militants «ont dispersés des feuilles et de la terre en dansant et ont graffé des messages avec de la peinture lavable à l’eau».

Dans un communiqué de presse, les activistes ont précisé que l’action visait à «mettre en lumière les acteurs de l’ombre qui font pression sur les institutions européennes pour empêcher toute réglementation en faveur de l’environnement et de la prévention de la santé des agriculteurs et des consommateurs». Ils ciblaient en particulier les actions de ce lobby pour bloquer des réglementations contre le glyphosate, pesticide le plus vendu en Europe par Monsanto et dont le commerce est toujours autorisé malgré de vifs débats sur ses dangers pour la santé, «une arme de destruction massive de l’environnement et de la santé», selon la sous-commandante Lapin, l’une des membres de l’EZLN.

Des mesures disproportionnées

Plusieurs associations et collectifs de la société civile ont fait par de leur indignation à la suite de ces arrestations. Dans une «Déclaration contre la répression des mouvements sociaux», signée notamment par La Ligue de Droits de l’Homme, le CNCD-11.11.11 ou Hart Boven Hard, ils déplorent «le caractère disproportionné de ces mesures, qui représentent une entrave à l’exercice du droit à la liberté d’expression» et appellent les services de sécurité et les autorités judiciaires à «respecter et protéger la liberté d’expression des militants oeuvrant pour la défense des droits humains et de la nature». Et la lettre de rappeler au passage que selon la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt Steel et Morris, §89), «dans une société démocratique, même des petits groupes militants non officiels, (…) doivent pouvoir mener leurs activités de manière effective et qu’il existe un net intérêt général à autoriser de tels groupes et les particuliers en dehors du courant dominant à contribuer au débat public par la diffusion d’informations et d’opinions sur des sujets d’intérêt général comme la santé et l’environnement».

Pour l’EZLN, la poursuite des activistes est d’autant plus révoltante au regard de l’impunité des multinationales. «Ce sont les multinationales représentées par l’ECPA qui devraient être jugées pour ‘dégradation des biens communs’ car elles font tout pour faire obstacle à l’interdiction du glyphosate, un produit aussi nocif pour la santé que pour l’environnement…», souligne la sous-commandante Putois.

Plus de transparence exigée

Le glyphosate, pesticide le plus vendu en Europe à la base du Round-up de Monsanto, ne cesse de faire débat dans l’enceinte du Parlement européen. Tandis qu’il est considéré comme «probablement cancérigène» par l’OMS (2016), l’EFSA, Agence européenne de sécurité des aliments, institution indépendante, considère quant à elle que la substance n’est pas dangereuse et a rendu un avis positif sur la réautorisation du désherbant. Cependant les Monsanto Papers avaient à l’époque révélé que les lobbys rémunéraient des scientifiques pour réaliser des études fallacieuses, utilisées par l’EFSA. L’ONG Corporate Europe Observatory, qui sera présente au Palais de Justice pour soutenir les activistes ce jeudi, dénonce également le manque de transparence et d’indépendance de l’Agence alimentaire européenne, avançant dans une étude sur le lobbying de Monsanto que «presque 60% des experts de l’EFSA ont ou ont eu des liens avec les sociétés de biotechnologies, des pesticides ou de l’agroalimentaire».

En vue d’interdire le glyphosate, une quarantaine d’associations de plusieurs Etats Membres a lancé une Initiative Citoyenne Européenne contre le glyphosate, un droit de pétition démocratique dont les institutions européennes sont dans l’obligation de se saisir, a été lancé. La pétition a déjà atteint le million de signatures, le nombre nécessaire pour être prise en compte pour être prise en compte par la Commission européenne.

Ce mardi les députés, réunis en séance plénière au Parlement européen de Strasbourg, ont auditionné la Commission, qui vient de relancer la procédure d’autorisation sur le marché du glyphosate, après l’avoir prolongée dans l’urgence de 18 mois (jusqu’à fin 2017) dans l’attente de l’avis scientifique de l’Efsa. L’eurodéputé socialiste Marc Tarabella a réitéré sa demande de commission d’enquête pour faire la lumière sur les agissements de Monsanto. Un appel à plus de transparence a également été lancé par Mark Demesmaeker (ECR/N-VA). «Les informations selon lesquelles Monsanto aurait commandé et manipulé des études rendent l’appel à la transparence encore plus prégnant», a déclaré le député membre de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire. La Commission doit se prononcer définitivement sur le sujet à l’automne prochain.

Procès reporté

Les avocats des 9 activistes ont décidé de demander un report du procès, fixé en novembre. «Nous avons décidé de redéposer des conclusions en nous basant sur des arguments écrits et selon une retranscription avec exactitude de la ligne de défense choisie», explique l’avocat Olivier Stein, du cabinet PROGRESS Lawyers Network. Et de souligner la «dimension politique» forte de ce procès, faisant référence notamment à la mobilisation en masse de ce jeudi mais aussi à la pétition Initiative Citoyenne Européenne contre le glyphosate, qui vient de passer le cap du million de signatures. «L’infraction n’existerait pas sans le contexte politique, donc on va prendre le temps de l’exposer», souligne l’avocat.

Vidéo de l’action contre le glyphosate

Vidéo d’une action de l’EZLN menée en juillet 2016 à l’occasion du 14ème round de négociations sur le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership)

En savoir plus

«Pesticides: les agriculteurs face au risque», Alter Échos n°407-408, août 2015, Marinette Mormont.

«Dany Dubois, de la maladie au bio»Alter Échos n°407-408, août 2015, Marinette Mormont.

«Les militants sont-ils des criminels comme les autres?», Alter Échos n°420, avril 2016, Pierre Jassogne.

Manon Legrand

Manon Legrand

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