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Des consultations pas si populaires que ça

Les consultations populaires en Wallonie sont assez rares et mobilisent peu. Ces consultations insufflent-elles du dynamisme dans la démocratie locale ou s’agit-il d’un gadget mal utilisé et manquant de légitimité?
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11-09-2015
© Benoît Gréant

Les consultations populaires en Wallonie sont assez rares et mobilisent peu. Ces consultations insufflent-elles du dynamisme dans la démocratie locale ou s’agit-il d’un gadget mal utilisé et manquant de légitimité? 

La déception a fait place à la rancœur. À Namur, le collectif «Parc Léopold» est extrêmement déçu par ce qu’il nomme une «parodie de consultation populaire».

Ce collectif s’est opposé, depuis 2012, au projet de construction d’un vaste centre commercial, près de la gare, à l’emplacement du parc Léopold.

Deux visions s’opposent. Celle du bourgmestre, Maxime Prévot, qui souhaite revitaliser le haut de la ville et éviter les effets «d’aspiration» de grands «shoppings» en périphérie. De l’autre, des citoyens qui regrettent qu’un tel projet entraîne la disparition d’un espace public verdoyant et la destruction de plusieurs grands arbres.

Marcel Guillaume, porte-parole de ce mouvement citoyen, avait, avec ses acolytes, récolté 12.000 signatures dans le cadre d’une pétition contre ce projet. «Nous avions interpellé le conseil communal lors d’une séance publique. Une interpellation sans effet», se souvient-il.

Le collectif est ensuite passé à la vitesse supérieure. Il a mobilisé autour de l’idée d’une consultation populaire à Namur. Alors que le seuil des 10% de signatures nécessaires à l’organisation de la consultation est atteint, puis dépassé, le conseil communal de Namur décide de lancer sa propre consultation au sujet du centre commercial, devançant ainsi la demande officielle du collectif. «Notre mouvement était court-circuité», explique Marcel Guillaume.

En prenant la main, la commune rédige elle-même sa question. Le conseil communal décide d’en poser trois qui mélangent des enjeux généraux d’urbanisme et des questions relatives au parc Léopold. «Les questions étaient orientées et ambiguës», estime Marcel Guillaume. La Ville fait campagne ardemment pour que les citoyens répondent «trois fois oui».

Le 8 février 2015, 24% des citoyens namurois se déplacent et choisissent plutôt de voter trois fois non. Le bourgmestre, gêné par la tournure que prend cette mobilisation, met en place un comité de conciliation pour tenter de trouver un compromis. En juin dernier, un projet est finalement adopté par la commune. Il y aura bien un centre commercial à l’emplacement prévu au parc Léopold. La commune s’engage à planter des arbres en d’autres lieux de la ville. Le centre commercial, de taille importante, sera doté, sur son toit, d’un jardin à la disposition du public.

Pour les militants du collectif, le comité de conciliation est une «parodie». Il n’aurait servi qu’à faire passer le projet sous une autre forme. Chez Maxime Prévot, on préfère jouer «la carte de l’apaisement», et donc ne plus s’exprimer à ce sujet.

Marcel Guillaume tente malgré tout de voir les aspects positifs de cette consultation: «Cela aura permis de mobiliser des gens et laissera des traces dans la politique namuroise.»

Une consultation qui illustre bien les limites de l’exercice où «le conflit de légitimité entre démocratie représentative et démocratie directe», pour citer Jean-Benoit Pilet, professeur à l’ULB, se cristallise.

© Benoît Gréant
© Benoît Gréant

Les consultations populaires dans les communes belges

La loi du 21 avril 1995, modifiée en 1999, relative à la «consultation populaire communale», régit les règles de ce type d’élections. Les habitants de plus de 16 ans de toute commune belge peuvent être consultés sur différents aspects de la politique communale – à l’exception des comptes, du budget, des taxes et rétributions – à l’initiative du conseil communal ou à l’initiative des citoyens.

Pour que ces derniers lancent la procédure, ils doivent récolter la signature de 20% des habitants dans les communes de moins de 15.000 habitants; et 3.000 signatures dans les communes qui comptent entre 15.000 et 30.000 habitants. Enfin, dans les communes de plus de 30.000 habitants, une adhésion de 10% de la population est nécessaire.

La participation au vote est facultative. Quant au résultat, il n’oblige en rien le conseil communal. Il s’agit bien d’une consultation.

Frustrations et méfiance

Les consultations populaires sont rares en Wallonie. L’histoire récente n’en compte qu’une quinzaine. L’une des explications que des experts avancent, à l’instar de John Pitseys, du Crisp, c’est l’absence de «culture locale de la consultation».

D’autres raisons sont invoquées. «Les conditions prévues par la loi ne sont pas simples à respecter. Il faut un grand nombre de signatures, ce qui suppose d’agir dans le cadre d’un groupement bien organisé», avance Jean-Benoit Pilet.

Autre exemple récent: la candidature liégeoise au titre de capitale de l’Europe 2015. Alors que Mons était candidate, des citoyens liégeois, en 2008, ont lancé l’idée d’une candidature de la Cité ardente. Une fameuse épine dans le pied du Parti socialiste, qui avait clairement décidé que Mons serait la candidate belge, et qui se retrouvait à faire campagne contre des citoyens mobilisés pour la candidature d’une ville dont le bourgmestre est… PS.

«Au départ, c’était un peu une blague de potache, se remémore François Schreuer, l’un des initiateurs du mouvement, aujourd’hui conseiller communal Vega. Cela permettait de fédérer autour d’enjeux culturels liégeois. Le succès a été important. Des milliers de gens se sont mobilisés.» Le premier échevin, cdH, est pour. Willy Demeyer, le bourgmestre, est contre. Le conseil communal rejette la proposition de poser une candidature liégeoise.

Le collectif lance alors la récolte de signatures pour une consultation populaire. Là encore, les autorités communales s’empressent de lancer leur propre consultation sur le sujet. Le taux de participation est inférieur à 10%, le dépouillement n’a pas lieu.

La potion est amère pour le collectif. François Schreuer estime que «les garanties les plus élémentaires de la démocratie n’ont pas été respectées» lors de cette consultation qui, selon lui, a été «torpillée de toutes les façons possibles». Il relève à l’époque une série d’irrégularités, vite relayées par le MR et Écolo. «Des convocations n’avaient pas été envoyées, les listes de votants n’avaient pas été triées, certaines personnes n’ont pas pu voter alors qu’elles étaient arrivées à l’heure au bureau de vote.» Il dénonce le flou qui règne au sujet du seuil des «10% d’habitants» nécessaire au dépouillement. «On ne sait pas très bien si c’est 10% des habitants ou de la population censée voter.» Une commission spéciale d’évaluation de la consultation avait été mise sur pied.

Toutes les difficultés décrites ci-dessus sont, selon John Pitseys, «un ensemble de tracasseries qui peuvent faire basculer le taux de participation. Ce sont des aspects techniques qui créent les conditions nécessaires pour qu’une consultation soit valable.» Des aspects techniques auxquels on peut ajouter la durée d’une campagne, l’information des citoyens, la visibilité des débats. Autant de critères essentiels pour faire émerger une participation citoyenne.

De très faibles mobilisations, une très faible légitimité

Au-delà de la polémique liégeoise, il est une tendance qui reste incontestable: les consultations populaires mobilisent très peu. «Il est très rare que le taux de participation dépasse les 30%», nous apprend Jean-Benoit Pilet. Et pourtant, la crédibilité du scrutin dépend du taux de participation. «Plus le taux est élevé, plus la consultation est légitime», affirme John Pitseys.

En effet, une majorité qui l’emporte dans un scrutin qui n’aura réuni que 10 à 20% de la population est-elle légitime pour prendre une décision valable pour toute la commune? Une limite dont a conscience François Schreuer: «Je ne dis pas que tout doit être participatif. Et, bien sûr, 12% de la population n’a pas à décider pour tout le monde. Mais il est légitime que les citoyens utilisent un outil à leur disposition. Qu’ils fassent une expérimentation démocratique. Ce qui est gênant, c’est un double discours qui d’un côté valorise la participation et d’un autre remplace une consultation populaire par une vague information des gens.»

« Je ne dis pas que tout doit être participatif. Mais il est légitime que les citoyens utilisent un outil à leur disposition. » François Schreuer

Ce même François Schreuer ressentait de la part de potentiels votants liégeois une sorte de «fatalisme». «Ils pensaient que cela ne servait à rien», dit-il. Ce que confirme Jean-Benoit Pilet: «Certains regrettent que la participation ne soit pas décisive. Que ces votes ne soient que consultatifs et que les résultats soient sujets à interprétation de la part des autorités communales.»

On trouve une illustration presque caricaturale de ce propos à Huy. En 2005, Anne-Marie Lizin avait fait fureur en considérant que 73% des habitants qui ne s’étaient pas déplacés pour voter au sujet de son projet d’aménagement du parc des Récollets y étaient en fait favorables. Notons au passage que certaines communes jouent le jeu. À Eupen, 77% des 5.500 votants (28% de participation) ont rejeté un projet de piétonnier en juin 2015. La majorité s’est engagée à respecter les résultats du vote.

Défiance à l’égard du politique

Les faibles mobilisations auxquelles on assiste lors de consultations populaires sont à comprendre dans un contexte plus large de défiance à l’égard du politique. C’est ce qu’explique Jean-Benoit Pilet: «On sait qu’il y a un mécontentement des citoyens par rapport au système strict de la démocratie représentative. Mais attention, parmi ces mécontents une bonne moitié souhaite moins de participation, aimerait que l’on fasse davantage confiance aux experts, avec un citoyen qui n’intervient qu’en dernier recours.»

Les consultations populaires comme exercice démocratique connaissent donc de nombreuses limites. Elles sont parfois utilisées dans une logique de «pas dans mon arrière-cour» («Not in my Backyard»), dont l’objectif est de «refiler» à des communes voisines des projets dont les citoyens se passeraient bien… et pas toujours pour de bonnes raisons (projets éoliens par exemple. On peut imaginer des citoyens se mobilisant contre l’implantation d’un centre d’accueil pour réfugiés).

De plus, ces votes soulignent les inégalités face à la participation. C’est ce que détaille Jean-Benoit Pilet: «Les plus défavorisés participent moins car ils se sentent moins capables et plus méfiants par rapport à ce qu’on va faire de leur participation.»

Malgré ces limites, le professeur de l’ULB pense qu’il est nécessaire de répondre au mécontentement citoyen en inventant des «compléments à la démocratie représentative». John Pitseys est convaincu que les consultations populaires, dans ce contexte, sont une «bonne chose», car elles supposent de «faire confiance au citoyen pour se prononcer sur des enjeux qui les concernent; et elles troublent le jeu particratique».

Pour ce faire, il faut que la consultation soit rondement menée, que les débats aient été de qualité, que les questions aient bien été posées.

Quant à Jean-Benoit Pilet, il estime que «la consultation n’est pas forcément le complément le plus intéressant, car on demande juste de répondre oui ou non» et cite les conseils de participation ou les budgets participatifs comme des alternatives intéressantes.

La prochaine consultation populaire aura lieu à Tournai. Les Tournaisiens devront choisir entre deux options d’aménagement du «pont des Trous». Cela mobilisera-t-il les foules? Réponse le 25 octobre.

En savoir plus

Lire notre dossier: «La participation, piège à cons?»

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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