Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Logement

Un toit pour les hors cases

A Liège, les éducateurs de rue accompagnent les sans-abri qui quittent directement la rue pour accéder au logement.

15-05-2011 Alter Échos n° 315

A Liège, les éducateurs de rue accompagnent les sans-abri qui sortent directement de la rue pour accéder au logement. Le projet Alor (Accompagnement au logement àpartir de la rue) fait le pari de s’occuper de ceux dont plus grand monde ne veut. Parce qu’ils n’ont pas de projet d’insertion et ne rentrent dans aucune catégorieprédéfinie.

Frédéric se souvient d’un sans-abri qui dormit pendant trois semaines sur le balcon de l’appartement qu’il venait de louer. « L’homme avait toujours vécu sous lesponts et se retrouver entre quatre murs le rendait claustrophobe », explique cet éducateur de rue. Geoffrey, lui, se rappelle d’un jeune toxicomane. Il achetait du matérielhi-fi à crédit à la Fnac et l’échangeait à son dealer pour la moitié de sa valeur. « Les sans-abri ont l’habitude de vivre au jour le jour. Unedes difficultés, quand ils trouvent un logement, c’est qu’ils ne pensent pas à long terme ». Les copains de la rue posent aussi problème. « S’ils leslaissent entrer chez eux, c’est fini, s’exclame Frederic ! A tous les coups, il va y avoir de la casse et le propriétaire sera mécontent. Les gens en difficulté sont souventles premiers à vouloir aider les autres. On leur explique qu’ils doivent d’abord penser à eux. Que pour aider les autres, ils doivent s’aider eux-mêmes. »

Ces dernières années, les projets pour accompagner les sans-abri dans leur logement se multiplient. La toute grande majorité d’entre eux s’adresse à des personnes quisont passées par la case maison d’accueil. Mais tous les sans-abri ne supportent pas ce type d’hébergement où il faut vivre ensemble, se réveiller à l’heure,respecter un règlement, se séparer de ses animaux.

De rares associations, comme les Educateurs de rue à Liège1, ont fait le pari de travailler avec cette frange du public particulièrement difficile. Aux longues annéesà la rue, s’ajoutent souvent des parcours familiaux difficiles, des assuétudes diverses, des troubles psychologiques. « Le problème c’est que ces gens ne rentrent dansaucune case. Peu d’institutions s’occupent de personnes qui présentent des problématiques multiples », déplore Alain, un autre éducateur.

Les exclus des exclus

L’accompagnement, explique Joëlle Houben, la coordinatrice des Educateurs de rue à Liège, consiste à vérifier que la personne a bien accès à toutesles aides auxquelles elle a droit, à la mettre en contact avec les services de son quartier, à l’inscrire à des activités occupationnelles pour se recréer unréseau de contacts. Beaucoup de temps et d’énergie est investi dans ce travail nécessaire mais dont les résultats sont rarement spectaculaires. « Si lapersonne retrouve le goût de se laver, arrive plus ou moins à l’heure à un rendez-vous, c’est déjà une très grande victoire. Quand on pense au vécu deces personnes, avoir franchi l’étape du logement n’est pas rien. Si elles retombent à la rue, nous le ressentons comme un échec. Mais ça ne l’est pas forcément pourla personne qui, malgré tout, a retrouvé une certaine confiance en elle », observe Frédéric avec réalisme.

Le rêve des éducateurs de rue serait de devenir propriétaire de deux ou trois appartements à louer à ces sans-abri. Aujourd’hui, il faut passer par lemarché locatif classique avec toutes les difficultés que l’on imagine. Bien souvent, les sans-abri ne décrochent même pas un rendez-vous. Et quand une porte finit pars’ouvrir, le propriétaire prend vite peur. « A force, les gens se découragent avant même d’avoir trouvé un logement. »

Quatre locataires sont actuellement suivis dans le projet Alor. La plupart sont des personnes qui ont vécu longtemps à la rue et qui, se sentant vieillir, ressentent le besoin de seposer. Elles rêvent d’un lieu de répit mais n’ont plus l’envie ni le courage de se lancer dans un projet d’insertion. « Ce n’est pas pour cette raison qu’on ne doit pas leuroffrir le minimum », soutient avec conviction la coordinatrice des Educateurs de rue. La responsabilisation des usagers dans le secteur de l’aide sociale a permis de sortir del’assistanat. Mais le système a ses limites, juge Joëlle Houben : « on a élevé le seuil de la ligne d’urgence et exclu des personnes pour qui cette aide ajustement été mise en place. La société n’est plus prête à investir dans des gens qui refusent de se bouger. Mais des projets comme Alor permettent aussid’éviter toute une série de coûts qui se profileraient si on délaissait ces publics. Que ce soit en termes de santé, de sécurité… »

1. Equipe éducateurs de rue du Relais social du Pays de Liège :
– adresse : rue des Guillemins, 52 à 4000 Liège
– tél. : 04 230 53
– courriel : info@rspl.be
– site : www.rspl.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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