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Regard critique · Justice sociale

Le Plan de printemps du gouvernement fédéral annonçait en avril 2000 vouloir employer 1.500 bénéficiaires du minimex par an en créant une formuled’intérim d’insertion. La loi-programme adoptée durant l’été 2000 créait la base légale du système en permettant aux entreprisesd’intérim, à certaines conditions, de garder des travailleurs sous contrat dans l’intervalle entre des missions d’intérim. Cette loi a été complétéele 20 juillet 2000 par deux arrêtés royaux qui permettent d’activer, dans le cadre de l’intérim d’insertion, deux ans de minimex à concurrence de 20.000 frs/mois. Outre ceminimex activé, le dispositif prévoit que les sociétés d’intérim touchent une prime de 10.000 frs/mois par personne en formation entre deux missionsd’intérim. Le 8 septembre 2000, le ministre Vande Lanotte1 inaugurait le système en signant une convention avec Adecco2, qui entendait recruter ainsi 1.000 minimexés en un an.L’entreprise a bénéficié pour ce faire des deux tiers du budget prévu, soit 266 millions sur les 400 budgétés. Au grand dam de ses consœurs,étonnées de ce favoritisme ministériel et pour qui il ne restait qu’un tiers à se partager…
Les entreprises d’intérim font le point
Adecco avait également annoncé à l’époque vouloir engager 75 assistants sociaux qui devaient contacter les CPAS, identifier les minimexésintéressés, les sélectionner (« sur la base de la motivation uniquement, pas sur la base des compétences »), superviser leur période d’essai d’un mois, les orienter,organiser leur formation, les encadrer etc.
Le 11 octobre 2000, Johan Vande Lanotte signait donc une convention avec sept autres entreprises de travail intérimaire. Il s’agit des sociétés publiques T-IntérimWallonie, VDAB Interim et T-Service Bruxelles, et des entreprises privées Randstad Interlabor, Start Interim, Vedior Interim et Creyf’s Interim. En tout, quelque 1.600 minimexés oubénéficiaires d’une aide financière étaient concernés par ces nouvelles conventions. Pour 2001, le budget prévu initialement doublait : passant de 400à 800 millions de francs, soit 3.000 minimexés concernés. Mais le temps de préparer les conventions pour les CPAS, de les mettre au courant et de vaincre quelquesréticences, le dispositif n’est vraiment entré en fonction pour ces sociétés qu’en avril 2001, janvier 2001 pour Adecco.
Aujourd’hui, quel bilan peut-on faire de ce dispositif ? Au ministère, on ne souhaite pas encore divulguer les chiffres, portant annoncés pour fin septembre : « trop tôt, onattend l’évaluation qualitative… » Contactées une par une, les sociétés d’intérim ont toutefois accepté pour la plupart de nous donner leurschiffres et leur évaluation. Nous vous les livrons ci-dessous dans l’attente d’une évaluation plus précise en provenance du cabinet de M. Vande Lanotte.
Globalement, si les sociétés se disent satisfaites du dispositif et posent des constats identiques, on observe toutefois quelques nuances dans l’approche.
Adecco2 : 150 contrats signés, 18 AS engagés , viennent d’être ramenés à 4 (pour rappel, après un an, le nombre devait se monter à 1.000minimexés conventionnés et les AS engagés à 75).
Randstad3 : une cinquantaine de contrats. À Bruxelles, les conventions ont été passées avec 7 CPAS sur 19. Pour Randstad, sur 13 régions dans le pays, 11 sontimpliquées dans l’Intérim d’insertion. Deux responsables formés aux problématiques de l’insertion par région.
Védior4 : 67 contrats dont 13 rompus (pour abandon, refus de travail, emploi fixe dans une commune, etc.), il reste donc 54 contrats dont 10 emplois fixes. La moitié des personnes encontrat est d’origine étrangère. La répartition hommes-femmes est égale. Quatre personnes engagées pour l’accompagnement.
Creyf’s5 : entre 20 et 25 contrats.
T Service Interim (Bruxelles)6 : 15 contrats
T Intérim (Wallonie)7 : 21 contrats, 17 candidats issus de l’intérim d’insertion ont signé un CDI avec un autre employeur. 13 CPAS sont conventionnés avec le TInterim (145 CPAS ont été prospectés sur l’ensemble du territoire), 108 candidats ont eu ou ont actuellement un stage d’intérim d’insertion enpréparation d’un engagement (attention tous les chiffres cités ici pour le T Interim ont été arrêtés au 30 septembre 2001) ; 593 candidatures ontété examinées en procédure de sélection pour l’intérim d’insertion. Cinq conseillers en intérim accompagné (les CIA8) se partagentl’ensemble de la région wallonne.
Le total des conventions pour toutes les sociétés se monte à 420 dont 350 de mises à l’emploi effectives.
Les CPAS
Au niveau des CPAS, le contact fut difficile au début mais semble s’améliorer. D’un CPAS à l’autre, l’accueil n’est pas forcément identique.Chacun pointe la difficulté de compréhension de part et d’autre quant aux contingences de chacune des parties. « Même si on utilise les mêmes mots, ils ne recouvrentpas forcément la même réalité, remarque Herman Swinnen, directeur des Ressources humaines chez Creyf’s. Nous avons à l’évidence des culturesdifférentes… » Au T Interim, autre constat : « Si tous ne nous ont pas encore envoyé de candidats dans le cadre de l’intérim d’insertion, une réellevolonté de collaboration existe. (…) Les travailleurs sociaux habitués à travailler avec les conseillers semblent davantage cerner les enjeux de l’intérim etorientent à meilleur escient les candidats potentiels. » Seule ombre au tableau : la lourdeur des démarches administratives dans la négociation de la convention et du CDI enraison de la spécificité de chaque CPAS (négociation de la prime d’accompagnement, réécriture de la convention,…).
Parmi les contraintes dans l’accompagnement, les sociétés intérimaires pointent :
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Le temps plein: manifestement l’obligation du temps plein constitue un frein pour certaines personnes qui désirent reprendre le boulot « molo », simplement ne pas travailler à tempsplein ou éprouvent des problèmes de garde d’enfants, obstacle essentiellement rencontré chez les femmes candidates.
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La durée de deux ans du contrat : seules certaines sociétés voient cette durée comme une contrainte : Creyf’s et Randstad.
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La mobilité : un problème pregnant surtout dans les zones rurales. De nombreux emplois ont d’ailleurs dû être refusés pour des raisons de mobilité : pasde moyen de transport, pas de permis. À ce sujet, le T Interim souligne que le financement du permis de conduire BE/CE est souvent souhaité par le candidat. « Malheureusement, cetinvestissement ne peut être systé
matique étant donné le coût qu’il représente. »
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L’absence du secteur intérimaire sur certains marchés constitue selon le T Interim « une réelle entrave à l’engagement. » La conjoncture économique estégalement un facteur d’influence déterminant pour le marché intérimaire.
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_’octroi du CDI peut aussi, selon le T Interim, « réactiver les faits ayant justifié la perte des droits sociaux (problèmes de surendettement, dépression, …).L’accompagnement doit donc être maintenu tout au long du contrat. Il constitue une charge de travail importante pour le conseiller. »
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La prime d’accompagnement est toujours négociée individuellement par chaque CPAS en étant rarement accordée dans sa totalité.
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La discrimination négative (racisme, inégalité des sexes,…), la transférabilité des compétences acquises à l’étranger constituetoujours un frein additionnel à la non-équivalence des diplômes des candidats étrangers. De même, constate toujours le T Intérim, un nombre important decandidats d’origine étrangère n’ont pu être mis au travail en fonction de la réglementation en vigueur.
Rentabilité
Peu de sociétés intérimaires n’ont voulu encore se prononcer en termes de rentabilité. Certaines ont pronostiqué dans un avenir proche une baisse des contratssignés plaidant la récession économique en cours. Une seule s’est avancée : le T Interim. « Les résultats sont encourageants mais le coûtgénéré par le nombre important d’heures d’attentes pénalise fortement la rentabilité du dispositif. Sur le marché intérimaire, lescontrats utilisateurs sont rarement négociés à temps plein et pour une durée ininterrompue, ce qui entraîne un paiement systématique d’une partie dusalaire en heures d’attente. »
Secteurs demandeurs
Si certains nous disent que tous les secteurs de l’intérim sont couverts, d’autres comme Védior remarque que ce sont les secteurs réclamant une basse qualification,ou du moins réduite, qui sont les plus demandeurs : Horeca, grande distribution, ouvrier de production. Au T Service Interim à Bruxelles, les postes occupés vont duréceptionniste au traducteur en passant par les « hommes de métier ».
Formation
Chez Creyf’s, selon Hermann Swinnen, directeur des ressources humaines, on ne fait pas dans le cadre de l‘intérim d’insertion, de formation formelle mais plutôt ducoaching, de la guidance en interne. Chez Védior, quelques formations de courte durée, type formation de cariste ou en informatique « mais elles sont très peu utilisées,nous assure Philippe Melis, social projet manager chez Vedior. Les candidats en général en ont marre des formations, ils veulent travailler mais ne plus devoir encore se former. » ChezRandstad, on utilise les 25 formations en interne et quelques collaborations plus ponctuelles avec le Forem, le Cefora, etc. Au T Interim, des formations telles que bureautique, informatique, langueétrangère, cariste, normes HACCP, français (remise à niveau), permis de conduire, sécurité/prévention, soudure, électricité, tuyauterieplastique, menuiserie sont possibles et dispensées par différents opérateurs de formation.
Quand il est question de qualité…
En termes d’engagement et de convention, chaque firme d’intérim s’est engagée sur un chiffre. « Mais ce n’est pas quelque chose que nous avons mis en avant, explique Benoît vanGrieken, social cohesion manager chez Randstad. On ne veut pas donner un aspect marketing à cette opération. Nous voulons centrer notre attention sur le qualitatif : on sait quec’est une opération délicate, et que les CPAS ont déjà tenté une série de choses pour mettre au travail ce public difficile. On prend le tempsqu’il faut, le but n’est pas d’atteindre à tout prix un chiffre prédéfini, l’objectif est de réinsérer les personnes dans de l’emploifixe et de qualité. »
Du côté de l’intérim public, la priorité a été mise sur l’accompagnement et la déontologie. « La qualité du travail effectué continueà primer sur le nombre de contrats signés », précise Sylvie Lambinon, responsable de projets au département insertion par l’économique du T Interim. On n’estpas là pour faire du profit : nos bénéfices sont de toute façon réinvestis dans des projets sociaux. »
Quant au reproche souvent formulé à l’adresse des sociétés d’intérim par l’associatif et certains CPAS de n’employer que le « haut dupanier », celles-ci y réagissent diversement. Benoît van Grieken de chez Randstad admet les limites : « L’intérim ne peut pas tout régler, il n’a d’ailleursjamais été question que nous remettions à l’emploi tous les minimexés. » Philippe Mélis, responsable de l’interim d’insertion chez Védiorestime quant à lui que « l’intérim d’insertion n’est qu’une mesure parmi d’autres pour réinsérer les minimexés. On ne peut donc pas luidemander de tout solutionner. De plus, pouvoir travailler en intérim exige une certaine motivation et employabilité. » Au T Intérim, on constate qu’ »une partie importante dupotentiel restant au niveau des CPAS est essentiellement constituée de candidats très peu qualifiés difficilement employables sur le marché de l’emploi et plusparticulièrement dans le secteur intérimaire. »
Chez Adecco, qui s’était très vite profilé en termes quantitatifs, nous n’avons pu obtenir de réponse dans les délais du bouclage.
1 Cabinet Vande Lanotte, rue Royale, 180 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 210 19 11, fax : 02 217 33 28.
2 Adecco, contact : Philippe Reyntjes, tél. : 02 583 91 11.
3 Randstad Belgium, contact : Benoît van Grieken, Buro&design Center B.71, Esplanade Heysel à 1020 Bruxelles, tél. : 02 474 60 22, fax : 02 476 08 07, courriel :benoit_van_grieken@randstad.be
4 Vedior, contact : Philippe Mélis, tél. : 02 555 16 11.
5 Creyf’s, contact : Herman Swinnen, tél. : 03 220 78 11.
6 T Service Intérim, contact : Marc Buvé, responsable T Service Intérim Bruxelles, tél. : 02 511 23 85
7 T Intérim, contact : Sylvie Lambinon, tél. : 071 20 50 40.
8 Intégrés au sein des agences, les CIA gèrent de façon autonome leur portefeuille de candidats tout en bénéficiant de l’apport méthodologiquede la Mission régionale pour l’emploi de Charleroi (avec lequel est par ailleurs en cours depuis 99 un projet pilote d’intérim d’insertion) et du siège centraldu T Interim.

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