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Regard critique · Justice sociale

Sociologie au service du travail social

Entre travail social et sociologie, s’est instauré, depuis la naissance des deux disciplines, un rapport complexe fait de proximité et de méfiance, decomplémentarité et de domination. Cette dimension d’amour-haine est théorisée, entre autres, par François Dubet, dans Le déclin de l’institution :« Le travail social est suspendu à deux grands univers intellectuels qui lui donnent du sens : la sociologie et la psychanalyse. Les travailleurs sociaux sont donc tenus de chercher lasignification de leur action dans des travaux théoriques qu’ils ne produisent pas eux-mêmes. […] Leur seul discours « authentique » est celui du vécu, mais le vécu ne ditjamais rien s’il n’est pas interprété. […] Les travailleurs sociaux sont donc en situation d’être colonisés par des modèles théoriques dont ils n’ont pas lamaîtrise quand ils veulent échapper à l’engluement dans leur « vécu ». » C’est pour tenter d’échapper à cet engluement, sans pour autant basculer dans lacolonisation, que Patrick Dubéchot a rédigé La sociologie au service du travail social1. Son objectif : « montrer l’intérêt de l’approchesociologique pour la mise en œuvre des pratiques d’intervention sociale et décrire les articulations possibles entre les deux champs. »

20-03-2006 Alter Échos n° 205

Entre travail social et sociologie, s’est instauré, depuis la naissance des deux disciplines, un rapport complexe fait de proximité et de méfiance, decomplémentarité et de domination. Cette dimension d’amour-haine est théorisée, entre autres, par François Dubet, dans Le déclin de l’institution :« Le travail social est suspendu à deux grands univers intellectuels qui lui donnent du sens : la sociologie et la psychanalyse. Les travailleurs sociaux sont donc tenus de chercher lasignification de leur action dans des travaux théoriques qu’ils ne produisent pas eux-mêmes. […] Leur seul discours « authentique » est celui du vécu, mais le vécu ne ditjamais rien s’il n’est pas interprété. […] Les travailleurs sociaux sont donc en situation d’être colonisés par des modèles théoriques dont ils n’ont pas lamaîtrise quand ils veulent échapper à l’engluement dans leur « vécu ». » C’est pour tenter d’échapper à cet engluement, sans pour autant basculer dans lacolonisation, que Patrick Dubéchot a rédigé La sociologie au service du travail social1. Son objectif : « montrer l’intérêt de l’approchesociologique pour la mise en œuvre des pratiques d’intervention sociale et décrire les articulations possibles entre les deux champs. »

Pour opérer cette réconciliation, Patrick Dubéchot est lui-même bien placé, puisque après avoir été éducateur pendant une dizained’années, il est devenu chargé d’études au Crédoc (Centre de recherches, d’études et d’observation des conditions de vie), et qu’il enseigne actuellement lasociologie à des travailleurs sociaux.

De facture plutôt scolaire, la première partie de son ouvrage, dresse un rapide historique des deux disciplines – sociologie et travail social – qui font l’objet de sonétude. Plus innovante, la seconde tente de montrer en quoi les principaux courants et concepts de la sociologie (mais aussi ses techniques et méthodes) peuvent êtreopératoires pour le travail social. Illustrée de nombreux exemples, la démonstration s’attache notamment à décrire en quoi tout le défrichagethéorique opéré par la sociologie sur des notions telles que l’autorité ou la famille peut informer (et donc donner une forme) et orienter le travail de terrain.

On aurait pu souhaiter que, dans un livre vantant l’intérêt et les mérites du travail sociologique, la base empirique de l’auteur soit un peu plus étoffée : aumoment d’analyser la prégnance de la pensée sociologique dans la production des travailleurs sociaux (notamment leurs mémoires de fin d’études), Patrick Dubéchots’appuie en effet sur un échantillon plutôt maigre, issu d’une seule institution. Difficile, à partir de ce seul matériau, de tirer des conclusions d’ordre trèsgénéral sur la manière dont les travailleurs sociaux s’approprient les concepts sociologiques qui leur sont enseignés…

Tour d’ivoire et mains dans le cambouis

Au moment de chercher les causes de cette appropriation jugée insuffisante, l’auteur rappelle à quel point une certaine sociologie française de tradition durkheimienne adû, pour forger sa légitimité scientifique, se construire contre la visée pratique. Il croit déceler dans cet état de fait une des raisons majeures quiexpliquent l’isolement de la sociologie dans la formation des travailleurs sociaux et dans les modes d’analyse qu’ils développent. À quoi il faut encore ajouter que le travail socialn’est, pas plus que les autres secteurs, exclu de la tension entre la demande de formation pratique de la part des employeurs et la volonté de donner des grilles d’analyse plusthéoriques, et peut-être moins immédiatement mobilisables.

Or, une véritable articulation entre les deux disciplines, si elle a toujours été nécessaire, l’est peut-être d’autant plus, à l’heure où le nouveaurôle assigné par les politiques publiques au travail social est « d’accompagner les changements économiques et leurs conséquences, dans un souci de rationalisation etd’efficacité2. » À l’heure où, aussi, à la sociologie critique des années 1970 qui ne voyait « dans les représentationsprofessionnelles et les valeurs des travailleurs sociaux que des ruses de la domination capitaliste » (Dubet), a succédé une vague de sociologues experts, voire de sociologues« conseillers du prince », concepteurs des politiques publiques. Bref, il devient urgent que les deux disciplines se rencontrent plus profondément afin d’éviter que leurdivision ne fasse advenir un règne que ne souhaitent ni les sociologues, ni les travailleurs sociaux.

1. Patrick Dubéchot, La sociologie au service du travail social, Paris, La Découverte, 2005.

2. En Belgique, le développement récent du profil d’expert social dans le cadre de la réforme Copernic est particulièrement emblématique de cette tendance.

Edgar Szoc

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