L’idée du service citoyen progresse d’année en année. Ce service rendu à la collectivité contre défraiement ne fait pourtant pas que des heureux. Dans lecamp des détracteurs, des organisations de jeunesse. L’emploi associatif et le volontariat seraient menacés.
La plate-forme pour le service citoyen1 avance ses pions. Benoîtement. L’idée progresse. Elle est séduisante il faut dire. Il s’agit de proposer à des jeunesde s’investir quelque temps dans des associations moyennant un petit défraiement de l’ordre de 300 euros par mois.
En 2011, la plate-forme lançait son premier projet-pilote. Trente-deux jeunes de 18 à 25 ans allaient passer cinq mois dans des associations. En rendant service à lacollectivité, les jeunes se sentent valorisés, participent à la solidarité et, pour certains, bénéficient d’une expérience pré-professionnellenon négligeable.
Un an plus tard, les organisateurs dressent un bilan positif de cette expérience qui sera étendue à la Flandre en 2012. François Ronveaux, le directeur de laplate-forme, a vu confirmé son sentiment que le service citoyen engendre un « cycle vertueux pour la société ». Pour lui, « les premièresbalises sont posées pour qu’un service citoyen en Belgique accueille des centaines, voire des milliers de jeunes. » Afin d’y parvenir, la plate-forme déploie ses charmes dansune entreprise de lobbying politique assez efficace. L’idée étant d’institutionnaliser le service citoyen. Une proposition de loi en ce sens a été déposée en2010 par le sénateur André du Bus (CDH). On sait aussi que le service citoyen pourrait être inscrit comme un élément clé du futur « planjeunesse » d’Evelyne Huytebroeck. Enfin, dernière pierre à l’édifice de la plate-forme : une recherche fouillée. Une documentation qui servira d’appui auxactivités de lobbying. Son titre : « Etude prospective relative à la place du service citoyen au sein du paysage associatif et institutionnel belge. » Unerecherche qui ambitionne de « tracer une route » pour le futur.
« Une concurrence avec le volontariat et avec l’emploi »
Si la progression du service citoyen paraît inexorable, certains regimbent et n’adhèrent pas à l’entièreté du projet. Première pomme de discorde : leterme « volontariat », très présent dans le texte d’André du Bus. Gaëtanne Couvent, coordinatrice de la Plate-forme francophone du volontariatdénonce la confusion qui pouvait régner entre ce service citoyen et le volontariat. « Le service citoyen voulait se situer dans le champ du volontariat. Cela auraitengendré un amalgame qui aurait mis à mal les vrais volontaires, ceux qui s’engagent gratuitement dans les associations », dit-elle. François Ronveaux, lui aussi,critique cet aspect de la proposition de loi. « Nous regrettons l’utilisation du terme volontariat qui prête à confusion. Il semble qu’André du Bus ait compris que ceterme ne satisfaisait personne et qu’il changera sa proposition de loi en conséquence », dit-il.
Les différends seraient donc en passe d’être apaisés. Mais c’est sans compter sur les critiques virulentes d’une partie du secteur jeunesse. Au-delà de l’utilisation duterme volontariat, Laurent Jauniaux, président du Conseil de la jeunesse catholique2, craint que, dans les faits, un service citoyen soit à l’origine d’une« concurrence avec le volontariat ». S’il ne critique pas l’essence du projet, il ne peut le soutenir en l’état actuel des choses. « Certains jeunesferaient leur service citoyen car c’est la seule chose qui leur resterait pour s’insérer professionnellement, affirme-t-il. Ils se retrouveraient à côté debénévoles qui feraient la même chose, mais gratuitement. »
Le défraiement de 300 euros est mis en cause. « On ne précise pas par quoi ça va être financé ni à la place de quoi, regrette Laurent Jauniaux.Le risque est que ça se rapproche plus d’un emploi en sous-statut. » Car en plus de concurrencer le volontariat, le service citoyen représenterait une menace pour l’emploidans l’associatif. C’est ce que pense Carlos Crespo, secrétaire général du réseau socialiste des organisations de jeunesse. « Les travailleurs peuqualifiés dans l’associatif risquent d’être remplacés par des jeunes du service citoyen. On ne lutte pas contre le chômage en créant un sous-statut ou en proposantdes stages déguisés. » Selon ces deux interlocuteurs, les moyens qui seraient dégagés pour faire vivre un service citoyen seraient certainement plus utiless’ils étaient directement consacrés à soutenir l’existant, c’est-à-dire l’emploi dans le monde associatif et le volontariat. Carlos Crespo tient par ailleurs àrappeler que la Commission consultative des organisations de jeunesse avait clairement marqué son opposition à l’inscription d’un service citoyen dans le futur plan jeunesse d’EvelyneHuytebroeck, la ministre de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse.
« Une pompe qui réamorce le goût des autres »
François Ronveaux connaît bien les critiques adressées au projet de société qu’il défend. Il ne cache pas sa déception : « C’estdommage que dans la sphère du bénévolat et de l’engagement, on voie les choses comme de la concurrence. Les dispositifs sont complémentaires. » Il appuie sesdires sur des exemples à l’étranger et notamment en France : « 40 % des jeunes qui ont fait le service civique participent à des activitésbénévoles trois ans après. Le service citoyen est une pompe qui réamorce le goût des autres, le goût du volontariat. » Quant à la concurrenceà l’emploi, François Ronveaux ne nie pas les risques de dérive. « Il y a des balises pour éviter ça », explique-t-il. Quellessont-elles ? « Le jeune qui fait son service citoyen ne doit pas passer plus de 20 % de son temps à des tâches administratives. Sa mission doit toujours êtreun appui à un projet et pas une fonction qu’un employé pourrait occuper. » Le directeur de la plate-forme le concède, « ça peut être latendance d’aller chercher un employé pas cher en plus ». Mais il reste optimiste : « Avec des balises, en étant vigilant, on peutl’éviter. »
Rendez-vous est donc pris en 2012 pour voir quels nouveaux pions la plate-forme pour le service citoyen aura bougés pour faire avancer sa cause.
« J’ai vu ce que ça fait de travailler sur le terrain »
Deux jeunes ayant fait leur service citoyen témoignent. Extrait d’un article publié sur le Fil info d’Alter E
chos le 31 août 2011
Cédric Kwizera relate son expérience : « Je venais de recevoir ma carte de réfugié. Je voulais reprendre mes études en infirmerie, maisl’année avait déjà commencé. J’avais six mois sans rien faire. Je suis donc allé à Infor-Jeunes où j’ai rencontré la coordinatrice du projet.Le service citoyen m’a intéressé. Je cherchais quelque chose pour maintenir le rythme avant les études. C’est clair que ça allait m’apporter quelque chose au niveauprofessionnel, et ça a été un grand moment pour moi. Je vais retourner aux études mais entre-temps, j’ai vu ce que ça fait de travailler sur le terrain.J’étais dans une asbl d’audiovisuel pour les jeunes. On préparait des émissions pour Télé-Bruxelles faites par des jeunes. J’ai appris des techniques et nousorganisions des débats sur la sexualité, sur la vie des jeunes. Je pense que j’ai appris à avoir un sens critique, mais dans le bon sens du terme… »
May Dubois narre aussi ses cinq mois de plongée dans l’associatif. « Cela faisait plus d’un an que j’étais au chômage après mes études, dit-elle. Jevoulais du changement et j’ai appris dans le journal « Métro » qu’il y avait ce projet de service citoyen. Je voulais travailler avec des enfants autour du thèmede la nature. J’ai donc pu être animatrice au Domaine de Mozet, près de Namur. Je faisais des animations pour des classes vertes et j’ai participé au projet« Environnement pour tous », qui consistait à sensibiliser sur la nature dans des homes pour jeunes, placés par le juge de la jeunesse ou dans des centres deréfugiés. J’ai rencontré beaucoup de gens, j’ai fait des formations et ça m’a fait beaucoup avancer sur le plan personnel. Avec les publics, j’avais un peu peur. J’airéalisé qu’ils traversaient beaucoup de difficultés, surtout dans les centres pour réfugiés. J’ai découvert un autre univers et je travaillais avec desenfants très chaleureux. J’espère que ça leur a apporté quelque chose. Et puis, au niveau professionnel, ça a beaucoup compté. Je viens de trouver un emploidans l’animation… »
1. Plate-forme pour le service citoyen :
– adresse : rue du Marteau, 19 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 256 32 44
– courriel : info@service-citoyen.be
2. Conseil de la jeunesse catholique :
– adresse : rue de la Charité, 43 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 230 32 83
– courriel : cjc@cjc.be
3. Réseau socialiste des organisations de jeunesse :
– adresse : boulevard de l’Empereur, 15 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 513 99 62
– courriel : info@resoj.be