Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Archives

Rendre compatibles l'école et la culture des Roms

Pourquoi les enfants rom vont-ils si peu à l’école ? Un séminaire et une étude soutenus par la Fondation Roi Baudouin ont tenté de déchiffrer lesobstacles à la scolarisation de ces enfants en donnant la parole à leurs parents.

27-03-2009 Alter Échos n° 270

Pourquoi les enfants rom vont-ils si peu à l’école ? La précarité des familles et les persécutions séculaires dont les populations tziganesont été victimes n’expliquent pas tout. Un séminaire et une étude soutenus par la Fondation Roi Baudouin ont donné la parole à leurs parents.

Il fallait oser. S’attaquer à un thème d’une rare complexité et sujet à de nombreux stéréotypes sans tomber dans la simplification, ni dans le «jargon » d’experts. En faire un objet d’analyse pour tirer des recommandations un minimum généralisables. Telle est la gageure de la Fondation Roi Baudouin avec larécente étude qu’elle a pilotée sur « La scolarisation des enfants Roms en Belgique »1. Le défi était d’autant plus difficileà relever qu’il s’est accompagné d’un parti pris présenté comme original : donner la parole aux parents rom à propos de leur propre scolarité et decelle de leurs enfants. Outre la rédaction de l’étude d’une soixantaine de pages (voir encadré), le sujet a donné lieu à un séminaire organisé par laFondation le 19 mars dernier et animé par des spécialistes – anthropologues, chercheurs, médiateurs, traducteurs et personnalités rom. Sujet complexe maiscaptivant à en juger par le public présent : tellement nombreux qu’il a fallu dédoubler l’auditoire !

L’anthropologue Alain Reyniers a commencé par retracer le contexte historique des flux migratoires expliquant la présence rom en Europe occidentale depuis six cents ans. Lespécialiste a brossé le portrait d’un peuple hétéroclite, ostracisé depuis longtemps, nuançant fortement la vision romantique des « gens duvoyage » pour celle plus regrettable d’un peuple souvent contraint à l’exil. Il a rappelé que les Roms ont depuis toujours été l’objetd’ignorance et de peur, qu’ils ont été victimes de discriminations, d’esclavage et même de tentative d’extermination lors de la Seconde guerre mondiale.« Dans de nombreux pays de l’Est de l’Europe, de nombreux Roms ont pu s’intégrer par l’école, le travail et il y avait une classe moyenne importante.Pourtant, cette intégration sociale n’a jamais fait disparaître le mépris à leur égard ». Le démantèlement de l’empiresoviétique et la guerre dans les Balkans ont provoqué une ultime vague d’exils.

L’école, un danger pour la moralité des filles

Cette mémoire des rejets séculaires nourrit évidemment la méfiance à l’égard des Gadje – littéralement « les étrangers», « ceux qui ne sont pas Rom ». « Beaucoup de Roms ont peur de leur identité, explique Safet Hajvazi, interprète assermenté. Au quotidien,quand je dis que je suis Rom, peu de gens savent ce que cela signifie exactement. Ce n’est pas équivalent à « voleur » ou « miséreux ». Souvent, nous avons dûchanger notre personnalité pour nous protéger, comme en Serbie d’où je viens. » L’importance de la scolarité, personne ne la nie dansl’assemblée mais l’obligation scolaire n’est pas perçue comme allant de soi. « Chez nous, cette notion d’obligation scolaire n’existe pas. Imposerl’éducation et l’obligation d’aller à l’école, est-ce que cela ne risque pas de dénaturer notre culture ? Que restera-t-il de notre histoirerom ? », questionne encore Safet. Une consoeur réplique : « Pourquoi sommes-nous ici aujourd’hui ? Pourquoi nous écoute-t-on ? C’est grâce àl’école. Elle permet de donner une reconnaissance citoyenne aux Roms. » Une médiatrice du Ciré recadre l’enjeu de la discussion. « Notre rôle estsouvent de traduire les incohérences de part et d’autre. Les uns parlent de règles, les autres de convictions. Pour beaucoup de gouvernements, la priorité était etreste de formater les Roms pour les rendre invisibles dans la société. » En d’autres termes, de gommer ce qui fait leur spécificité et leur fierté. On peutdès lors comprendre que l’école soit perçue aussi comme une usine d’assimilation culturelle.

Pour l’auteure de l’étude, l’anthropologue Iulia Hasdeu, une réticence importante tient également à la crainte que les valeurs morales transmises degénération en génération soient avilies par le système scolaire. « Il y a, d’une part, la peur que les enfants ne soient pas bien accueillis, voirerejetés ou maltraités, mais aussi que l’école occidentale véhicule des valeurs contraires à la morale rom, notamment en termes d’éducation sexuelle etde mixité. En ce sens, quand elles atteignent l’âge de la puberté, l’école est perçue comme un danger pour la virginité des filles. » Préserverla « moralité rom » passe par le contrôle des femmes, ce qui permet d’assurer la cohésion communautaire. En ce sens, la réussite sociale passe par un bonmariage, pas par la réussite scolaire. Ce que des parents expliquent de manière très claire : « Chez nous, le mariage est aussi important que pour les Belges, lesétudes. Les Belges cherchent à faire de bonnes études. Pour cela, ils cherchent la garantie d’une bonne école, ça veut dire un bon travail, un bon futur. C’estpareil pour nous à propos du mariage. »

Le contact avec les familles au cœur du problème

Pour sa part, Koen Geurts, collaborateur « Roms et gens du voyage » au centre régional d’intégration Le Foyer2, relève l’importance d’établir uncontact personnalisé avec les familles, et non pas institutionnel. « Le problème du décrochage scolaire des enfants rom est très préoccupant. Or,parfois, il s’agit simplement de malentendus. Il faut reconnaître les efforts que les familles font pour envoyer leurs enfants à l’école, ce n’est pas quelque chose de facile dansun contexte de précarité. Les familles peuvent se demander ce qu’elles obtiennent en échange de ce sacrifice. Ce qui manque, c’est une meilleure communication entre les famillesrom et l’école. Il faudrait plus les impliquer dans les événements scolaires, former le corps enseignant au dialogue avec ces familles. Il faut expliquer le cadre et lesrègles mais aussi donner des exemples concrets de l’utilité de l’école pour les enfants. » Des propos confirmés par une directrice d’école en discriminationpositive dont les écoliers rom étaient en décrochage à plus de 70 %. Le corps enseignant a reçu une petite formation pour mieux appréhender lesfamilles rom et un dialogue s’est instauré avec les parents. « Les r&e
acute;sultats ont été immédiats : les enfants sont revenus à l’école,dans leur grande majorité », se félicite la directrice.

La prise en compte des spécificités des familles rom et la mise en place de lieux d’accueil et de médiation font partie des recommandations de la Fondation Roi Baudouinpour améliorer la scolarisation des enfants rom. La parole des parents suggère aussi que « la création de liens de proximité personnels et affectifs entrel’institution scolaire et la famille devrait permettre de contrecarrer la dynamique discriminatoire structurellement introjectée par les minorités rom. Ces liens conforteront lesRoms dans l’idée que leurs enfants ne sont pas en danger, ni exposé à une discrimination tant connue. » Autres recommandations : l’éducation et lascolarisation des adultes, la plus grande implication des pères dans la scolarité de leurs enfants et la prise en compte de leur parole ainsi que la prise en charge des frais scolaires,pour aider les familles les plus démunies.

Une étude qui manque parfois de nuances

Bien que toutes les précautions d’usage3 aient été prises pour cadrer l’enquête et ses résultats (explication trèsdétaillée de la méthodologie), la publication « Scolarisation des enfants Roms en Belgique », soutenue elle aussi par la Fondation Roi Baudouin, nous semblepâtir de faiblesses.

Si le parti pris de donner la parole aux principaux concernés pouvait sembler intéressant, on constate à la lecture complète de la recherche qu’il y a assez peude réflexions sur l’école à proprement parler. Les témoignages abordent les thèmes de l’identité culturelle, du genre, des traditions, du racismeet des difficultés d’intégration, certes intéressants, mais qui semblent comme autant de digressions dans un dialogue décousu entre la chercheuse et les personnesinterviewées. En fait, plusieurs biais peuvent expliquer ce manque de cohérence. D’une part, la chercheuse a dû faire appel à des intermédiaires(nommées opératrices) pour assurer la traduction et mettre les personnes en confiance, au risque de perdre le contrôle de la discussion. « Nous nous sommes parfoisretrouvées à bercer un bébé ou à amuser des fillettes avec des jeux de mains, plutôt que de superviser les questions de l’opératrice »,note-t-elle4.

De manière générale, la vision binaire Roms/Gadje (utilisée systématiquement dans l’étude) n’est pas sans déboucher sur desaffirmations pour le moins dérangeantes. « Ainsi les Gadje, éduqués ou non, pensent dans leur grande majorité que les Roms sont sales, voleurs et sauvages,cette idée leur paraissant d’une telle évidence et si fondée en réalité […] qu’ils ne reconnaissent même pas son contenu raciste et refusentgénéralement de discuter la question du racisme comme relevant de leur propre société »5. « Il arrive toutefois aussi que la différence, parrapport aux Gadje soit vue en termes positifs, favorables aux Roms. Pour la femme répondant ci-dessous, le fait d’être rom est un privilège d’êtremoralement au-dessus des Gadje (décence, respect, religiosité, contrôle de la sexualité féminine) »6. « On pourrait par ailleurs sedemander si les Roms ne sont pas plus égalitaires que beaucoup de Gadje en matière de responsabilité des hommes et des femmes envers les enfants »7,questionne encore l’auteure qui parle plus loin de « dimension raciste et anti-tsigane présente dans les pratiques policières et judiciaires »8 en Belgique. Cesdifférentes assertions ont évidemment un fondement, mais mériteraient sans doute d’être nuancées ou, à tout le moins, corroborées par des analyses pluspoussées.

1. L’étude est téléchargeable sur le site de la Fondation Roi Baudouin.
FRB :
– adresse : rue Brederode 21, 1000 Bruxelles
– tél. : 02 511 18 40
-site : www.kbs-frb.be
2. Vzw Foyer asbl :
– adresse : rue des Ateliers, 25 à 1080 Bruxelles
– tél.: 02 411 74 95
– site : www.foyer.be
3. « Une recherche de ce type ne peut guère être menée avec neutralité et ne saurait avoir d’ambition objectivante », op. cit. p. 39.
4. Op. Cit. p. 37.
5. Op. Cit. p. 21.
6. Op. Cit. p. 25.
7. Op. Cit. p. 62.
8. Op. Cit. p. 69.

aurore_dhaeyer

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)