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Regard critique · Justice sociale

Reims : la cité des rois est la reine du logement public

En octobre dernier, la Société wallonne du logement (SWL) a organisé une visite professionnelle du patrimoine public de Reims, qui représente 43 % de l’immobilierlocal.

28-11-2011 Alter Échos n° 328

Les dernières « Journées du secteur » de la Société wallonne du logement (SWL) se sont déroulées à Reims. Troismots-clés étaient au cœur de cette visite professionnelle du patrimoine public rémois : observer, comparer, échanger.

Le choix d’une visite à Reims par les professionnels du secteur du logement wallon ne relève pas du hasard. La principale ville de Champagne-Ardenne se singulariseen effet par un nombre important de logements publics : environ 40 000 sur les quelque 92 000 logements que compte la ville. Avec un peu plus de 187 000 habitants, ladouzième commune de France par sa population compte ainsi 43 % de logements publics. Cet énorme patrimoine immobilier appartient à trois sociétés de logementqui en assument la gestion : le Foyer rémois, l’Effort rémois et Reims Habitat.

A première vue, ce pourcentage de logement public a de quoi donner le vertige, non seulement sur le plan architectural, mais aussi social : on craint le manque de mixitésociale, voire la ghettoïsation. D’emblée, Pierre Tridon, directeur de l’agence de l’urbanisme, de développement et de prospective de Reims, se veutrassurant : « Une telle densité de logements publics ne doit pas être considérée comme un élément négatif. 70 % du patrimoine sonttotalement intégrés à la ville. En outre, la présence à Reims de trois bailleurs à forte activité foncière a provoqué entre eux uneémulation constructive et favorisé une politique d’innovation qui s’est traduite dans de nombreux programmes depuis vingt ans. En vertu de cela, le savoir-fairerémois dans le domaine du logement social est aujourd’hui reconnu. »
D’autres chiffres sont également significatifs : environ 900 nouveaux logements sont construits chaque année, le taux de propriétaires est de 25 % pour unemoyenne nationale (MN) de 55 %, le taux de locataires est de 72 % (MN : 40 %), le nombre de personnes logées gratuitement est de 3,3 % (MN : 4,9 %), lenombre de maisons individuelles est de 22,3 % (MN : 56,8 %) et le nombre d’appartements de 74 % (MN : 40,4 %).

Un contexte historique

Quand on songe que la Wallonie ne compte que 8 % de logements publics, les pourcentages atteints à Reims laissent perplexes. En réalité, l’urbanisme et la politiquede logement d’une ville sont indissociablement liés à son histoire et à son au contexte économique, social et culturel. Sarah Hinnraski, chargéed’étude et de projet à l’agence de l’urbanisme de Reims, relève que « la rénovation architecturale et urbaine date del’après-Première Guerre mondiale. À la suite des destructions massives de la ville il y a près d’un siècle, celle-ci fut entièrementreconstruite. » Détruite à près de 80 % (dont sa fameuse cathédrale), Reims devient à l’époque, pour la France entière, lesymbole d’une « ville martyre ». Envisagée dès 1916, sa reconstruction bénéficie de moyens importants. Elle est le fait des trois organismeslogeurs précités créés entre 1912 et 1947. Le Foyer rémois est un pur produit du paternalisme (1912) tandis que Reims Habitat est créé parl’Etat et la ville (1921) et l’Effort rémois issu du mouvement syndical (1947). Le plan de reconstruction retenu par le conseil municipal en 1919 prévoit une douzaine decités-jardins. Celles-ci sont organisées en villages et reliées entre elles par une ceinture verte de parcs destinés à séparer les quartiers d’habitationsdes zones industrielles. Près de 400 architectes venus de toute la France participent à ce projet ambitieux.

Dans ce contexte de reconstruction, l’essor prédominant de logements publics sur le marché immobilier s’explique par un autre élément historique :jusque dans les années ’50, le développement industriel de Reims attire en masse une main-d’œuvre à qui il faut donner un toit. Après l’ère de lacité-jardin, le rythme de construction s’accélère dans les années ’60. Apparaissent alors, sur les extensions de la ville, de grands ensembles d’habitatsocial : Wilson, Orgeval, Europe, Châtillons, Croix-Rouge – la population de ce dernier quartier avoisinant les 21 000 habitants.

Durant les années ’80, Reims continuera à investir énormément dans la rénovation et l’agrandissement de son parc de logements.

Une volonté politique

La politique du logement à Reims existe depuis près de 100 ans alors que celle de la Wallonie date à peine d’une trentaine d’années. Alain Rosenoer,directeur général de la SWL, insiste sur le fait que « l’habitat social est un enjeu politique. L’intervention des pouvoirs publics dans le secteur du logementn’a jamais fait l’unanimité en Belgique. Et en Wallonie, nous n’avons pas dépensé le moindre crédit durant les années ’80 pour construire del’habitat social. Aujourd’hui, notre parc de logements publics locatifs est inférieur à 8 %, soit moins de la moitié du logement public locatif en France. Ladifférence est encore plus criante avec Reims, où l’on atteint les 43 %. »

Chez nous, le retrait des pouvoirs publics du logement locatif social dans les années ’80 coïncide avec la création de la Région wallonne : « Lors de lacréation des Régions, celles-ci ont repris partiellement la dette du logement social. Ceci était couplé à une lente mise en route des nouveaux outilsrégionaux, le tout dans un contexte général d’assainissement des finances publiques. L’ensemble de ces éléments a ébranlé le secteur dulogement social. Le retrait des pouvoirs publics du logement locatif social a d’ailleurs touché l’Europe entière… sauf la France et le Danemark ! »,poursuit Alain Rosenoer.
Alors qu’à Reims quelque 900 nouveaux logements publics continuent d’être construits chaque année, au sud de la Belgique la situation n’évolueguère : la Wallonie est passée de 100 220 logements publics fin 1999 à 100 962 dix ans plus tard.

Des profils d’offres et de demandes différents

D’autres éléments expliquent encore l’écart énorme de pourcentages de logements publics disponibles à Reims et en Wallonie. Il y a desdifférences dans le potentiel de logements disponibles sur le marché locatif public d’une part et, de l’autre, dans le profil des candidats demandeurs en raison desconditions d’accession. Ainsi, l’offre de logement public wallon est-elle nettement inférieure à la demande. Avec plus de 3 000 demandes actuellement insatisfaites
et untaux de rotation de 7 % à peine, le délai d’attente moyen d’un logement social est de quatre à cinq ans contre six mois seulement à Reims. L’une desraisons étant que nos logements sont occupés pour deux tiers par leurs propriétaires contre une moyenne de 55 % en France et de 25 % à Reims.

85 % des ménages wallons en quête d’un logement public sont en situation précaire et seuls 20 % des ménages occupant ce type de logementbénéficient d’un revenu du travail. La Wallonie compte à peine 781 logements moyens parmi ses 100 000 logements publics ; le reste relevant pratiquemententièrement du logement social. La loi impose que les logements publics wallons soient attribués selon la clé suivante : deux tiers pour des ménages en état deprécarité et un tiers maximum pour des ménages à revenus modestes. La difficulté est d’autant plus grande en Wallonie que les comitésd’attribution de logements publics ont l’obligation de piocher les candidatures de manière paritaire dans deux types de listes : l’une liée àl’ancienneté de la demande et l’autre liée aux personnes prioritaires. Ce système excessivement rigide rend obligatoire la concordance de la typologie du logement et cellede la famille. La latitude laissée à ces comités est faible, tout comme les facultés d’obtenir à la fois une grande mixité sociale et des revenusgarantis. Il va sans dire que la pression sur le secteur du logement public wallon est très forte.

En France, la situation est tout autre. D’abord en raison des conditions et des critères d’attribution d’un logement public (en bref, 70 % de la population estéligible à un logement public). Ensuite, divers mécanismes de financement permettent aux sociétés de logement de proposer des loyers différentss’apparentant soit à des loyers privés, soit à des loyers sociaux, soit à des loyers « très sociaux ». Enfin, des mécanismesd’aide aux personnes permettent aux locataires de logements publics de bénéficier d’une intervention directe de l’Etat dans le paiement de leur loyer. L’ensemblede ces mécanismes offre évidemment aux sociétés de logement public des garanties de paiement des loyers à longue échéance ainsi que despossibilités d’autofinancement importantes pour les projets de rénovation et de construction de leurs parcs d’habitats. Un univers bien différent de celui de laWallonie !

Une densité de population très forte

Après quasiment un siècle de construction intensive de logements, l’expansion de Reims n’est pas sans conséquence : la densité de population de laville est de 3 900 par km2, tandis que celle de son agglomération frise les 2 400 habitants, le double de la moyenne nationale française ! La disponibilité dessurfaces à Reims est d’autant plus problématique que les rares espaces libres sont plus volontiers destinés à l’accueil d’activitésqu’à celui de logements. La pression se reporte donc naturellement sur les communes plus éloignées.
Cependant, l’agglomération est cernée par une agriculture riche et puissante – nous sommes en Champagne ! – qui rend le prix des terrains élevé. Enoutre, les élus de ces bourgs ruraux organisent des positions défensives, se regroupent en communautés de communes, entendent choisir eux-mêmes leur mode dedéveloppement et privilégient, parmi les populations qu’ils accueillent, les ménages aux revenus les plus élevés. Pierre Tridon, directeur de l’Agencede l’urbanisme, estime « qu’on est ici dans des jeux politiques parfois très éreintants, où le maire d’une ville de 200 000 habitantsn’est pas toujours en mesure d’imposer son point de vue au maire d’une ville de 500 habitants. La vision technique ne suffit pas non plus pour que l’urbanisme sedéveloppe de manière cohérente ; il y a beaucoup de gens à convaincre. A l’étroit dans ses limites territoriales, l’agglomérationrémoise n’a pourtant d’autre issue que de se tourner vers la partie rurale qui l’entoure. »

Reims 2020 : un vaste projet d’aménagement et d’extension

C’est donc en toute logique que, depuis quelques années, Reims s’est engagée dans un immense projet d’aménagement et d’extension de la ville :« Reims 2020 ». La nouvelle majorité politique en place – de gauche – a pour ambition de transformer Reims en une « mégamétropoledurable ». Le développement est envisagé sous de multiples aspects : habitat, urbanisme, économie, enseignement, transports, culture, etc. Il touche la ville deReims, sa métropole et, plus loin, le « G10 », allusion faite à la convention passée entre les dix villes de la région (Reims,Châlons-en-Champagne, Charleville-Mézières, Château Thierry, Epernay, Laon, Rethel, Sedan, Soissons et Vitry-le-François). Ce territoire représente un bassinde vie de près d’un million d’habitants.

Reims 2020 est motivé par la nécessité de trouver de nouveaux espaces pour le logement. Mais ce n’est pas la seule raison. Comme l’explique Pierre Tridon,« avec le temps, l’équilibre de certains quartiers s’est fragilisé pour des raisons structurelles et sociales. Ces ensembles se sont révélésinadaptés à l’évolution des modes de vie et les plafonds de ressources ont été appliqués avec une grande rigueur, ce qui a entraîné unphénomène de ségrégation. »

Trois architectes de renom ont été retenus : Christian Devillers, Bruno Fortier et Philippe Panerai. Durant deux ans, ils ont procédé à un état deslieux de la ville : sa population, son dynamisme, son rayonnement culturel, son urbanisme, etc. Comme l’explique Eric Quenard, premier adjoint au maire et président de ReimsHabitat, les architectes se sont associés à des équipes très larges : « Nous avons mobilisé toutes les forces vives de la ville : urbanistes,paysagistes, économistes, philosophes, sociologues, gens de la culture, milieux syndicaux et habitants. Ces derniers ont été consultés via des forums urbains, des groupesde travail, des ateliers, des conseils de quartier et des conseils de développement. Ensemble, nous avons imaginé tous les développements possibles de la ville. »

Pierre Tridon ajoute que « ces équipes ont réfléchi au développement du territoire rémois avec la question centrale de savoir comment rendre Reimsplus attractive sur la scène nationale. La proximité de Paris, à trois quarts d’heure de TGV, atomise complètement notre ville. Ceci se ressent notamment au niveaudes u
niversités et en termes d’attractivité d’emploi. Il nous faut donc reconsidérer la ville dans une optique durable, notamment sur le plan de la mobilité.Il est essentiel, par exemple, de pouvoir se déplacer dans la ville en diminuant le recours à la voiture. »

Aujourd’hui, chacun de ces trois projets d’architecte est à l’étude. Le programme de renouvellement de Reims et de ses alentours est l’un des plus importantsde l’Hexagone. D’ici à la fin de la décennie, il ne fait aucun doute qu’il aboutira entre autres à la réhabilitation du patrimoine, à desdémolitions d’immeubles pour redonner une nouvelle dynamique à la ville et à la construction de nombreux logements neufs. Nul doute non plus que d’ici là, lesreprésentants des sociétés de logement wallonnes auront encore trouvé, comme à l’occasion du présent séjour à Reims, bon nombre desources d’inspiration…, mais aussi de frustration !

En savoir plus :http://reims2020.fr

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