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Regroupement familial : évaluer avant de réformer

Depuis le 1er juin 2007, la loi de 1980 en matière de regroupement familial des ressortissants de pays tiers (non UE)1 connaît de nouvelles dispositions. Laréforme a en effet introduit deux conditions matérielles préalables à l’introduction d’une demande de regroupement familial : le fait de disposer d’uneassurance maladie invalidité, d’une part, et le fait de disposer d’un logement suffisant, d’autre part (cf. [url][/ Alter Échos n°233 2). Deuxdispositions qui se révèlent, dans leur application, particulièrement problématiques. À la veille d’une nouvelle décision de réforme duregroupement familial, il n’est donc pas inutile de revenir sur les dispositions précédentes.

12-09-2008 Alter Échos n° 258

Depuis le 1er juin 2007, la loi de 1980 en matière de regroupement familial des ressortissants de pays tiers (non UE)1 connaît de nouvelles dispositions. Laréforme a en effet introduit deux conditions matérielles préalables à l’introduction d’une demande de regroupement familial : le fait de disposer d’uneassurance maladie invalidité, d’une part, et le fait de disposer d’un logement suffisant, d’autre part (cf. [url][/ Alter Échos n°233 2). Deuxdispositions qui se révèlent, dans leur application, particulièrement problématiques. À la veille d’une nouvelle décision de réforme duregroupement familial, il n’est donc pas inutile de revenir sur les dispositions précédentes.

La loi sur le droit au regroupement familial indique que la notion de logement suffisant sera précisée par arrêté royal ; l’exposé des motifs ajoutantqu’elle ne sera pas appliquée de manière déraisonnable. L’arrêté royal du 8 octobre 1981 modifié par l’arrêté royal du 27 avril2007 précise dans son nouvel article 26/3 que le logement suffisant est « celui qui satisfait aux exigences de sécurité, de santé et de salubrité qui sont envigueur dans la région concernée ». Il confie aux autorités communales la compétence de procéder à cette vérification et de délivrer enconséquence une attestation de logement suffisant. L’administration communale doit aussi délivrer un accusé de réception à l’étranger qui demandeune telle attestation. En effet, la loi prévoit que si aucune réponse n’est donnée dans les six mois à dater de cette demande, le logement est réputésuffisant. Un mode de preuve simplifié – production d’un contrat de bail, d’une lettre d’engagement ou de tout autre document digne de foi – a cependantété introduit par la circulaire du 21 juin 2007 dans le cadre des demandes de visa de regroupement familial introduites simultanément à une demande d’autorisation deséjour provisoire (travail).

Or, quelques jours après la publication de la circulaire du 21 juin 2007, l’Office des étrangers a adressé aux communes un courrier leur demandant « dansl’attente d’une modification règlementaire, de fournir aux demandeurs de regroupement familial une attestation que le logement peut accueillir tous les membres de la famille». L’application de l’arrêté royal contesté est donc suspendue de facto par ce courrier.

« Confronté à la difficile application de cette condition, explique le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECLR)3dans son Rapport Migrations 20074, l’Office des étrangers a introduit une « souplesse procédurale » dans le traitement des demandes de visa pour regroupementfamilial. Le dossier peut ainsi être envoyé par le poste diplomatique à l’Office des étrangers même s’il comporte seulement une demanded’attestation de logement suffisant. L’Office établit une attestation de réception du dossier, le traite et, s’il n’y a pas d’autre problème que lelogement, prend une décision positive sous condition suspensive de la production de l’attestation de logement suffisant. Dès que le poste diplomatique reçoit cetteattestation, il peut délivrer le visa. En cas d’attestation négative, il n’y aura pas d’obligation de réintroduire un nouveau dossier, seulement de rentrer uneattestation positive. » Il n’est pas question d’étendre cette facilité aux personnes qui demandent le regroupement familial depuis le territoire belge. Elle comportecependant une contrepartie pour ceux à qui elle s’applique : le délai légal de neuf mois de traitement ne court pas, puisque le dossier n’est pas complet au sensstrict. En effet, exiger que soit remplie la condition de logement suffisant très longtemps à l’avance est disproportionné, selon l’Office des étrangers.

Ces deux derniers points sont sujets à discussion selon le CECLR : « que l’administration doive compenser par des aménagements pratiques un cadre légalinapplicable ou inadéquat est une chose qui peut arriver. Il est alors essentiel que le législateur intervienne dans les meilleurs délais pour corriger cette situation. Mais celane devrait pas entraîner une situation dans laquelle ce sont les étrangers eux-mêmes qui sont amenés à choisir – pour profiter de l’aménagementpratique qui les aide à contourner une exigence légale parfois très difficile à remplir – de renoncer aux garanties légales destinées par ailleursà garantir un délai de traitement raisonnable de leur demande. »

Pas de possibilité de recours en cas de refus

Autre problème soulevé par le CECLR : aucun document n’est prévu pour formaliser une décision négative. Il n’y a donc pas moyen d’obliger lacommune à motiver sa décision, ni d’introduire un recours contre cette décision. « La notification des décisions négatives prend toutes sortes de formesdifférentes (appel téléphonique, courrier, etc.), l’arrêté royal tel qu’il est rédigé ne permet pas de délivrer une annexe »attestation de logement insuffisant ». Une décision négative sur le logement entraîne donc une décision d’irrecevabilité de la demande de regroupementfamilial. Cette décision est matérialisée dans la nouvelle annexe 14 ter contre laquelle un recours suspensif devant le Conseil du contentieux des étrangers estouvert. Elle oblige en tout état de cause le demandeur à déménager ou à mettre son logement en conformité si cela est possible. L’état du parclocatif en Belgique est pourtant une donnée de base problématique et bien connue », remarque le CECLR.

Enfin, il se pose également un problème quant aux bénéficiaires d’un logement social. En effet, ceux-ci ne peuvent pas postuler pour un logement plus grand, tantque le membre de leur famille n’est pas présent sur le territoire, tandis que leur demande d’autorisation de séjour ne sera examinée que si l’attestation delogement suffisant est dans le dossier.

Recommandation de l’AVCB

De son côté, l’Association de la ville et des communes de la Région de Bruxelles-Capitale (AVCB)5 qui avait déjà interpelé le ministre del’Intérieur sur cette matière en juillet 2007, rappelle aujourd’hui à ses membres dans un communiqué daté du 6 juin 20086 qu’enattendant une clarification définitive et officielle de la réglement
ation, le bourgmestre ne peut en aucun cas faire application d’une police spéciale comme le Code dulogement ou l’arrêté royal du 8 juillet 1997 déterminant les conditions minimales d’habitabilité en matière de bail de résidence principale. « Parailleurs, dit l’AVCB, les communes ne sont pas légalement habilitées à définir elles-mêmes la notion de logement suffisant. Seul un arrêté royalpourrait le faire. À défaut d’un tel arrêté, nous recommandons d’effectuer le contrôle de logement suffisant dans le cadre de la police administrativegénérale. Le bourgmestre ou son délégué délivre l’attestation sur la base d’une preuve de logement suffisant apportée par un contrat debail, un contrat de travail ou tout autre document digne de foi, et après enquête de police visant à s’assurer que l’immeuble en question ne présente pas deproblème de salubrité ou de sécurité publique au sens de l’article 135 de la nouvelle loi communale. »

Modalités divergentes

Reste que sur le terrain, les pratiques divergent fortement sur la manière de vérifier cette condition de logement suffisant. Ainsi, à Liège, c’est l’agent dequartier qui procède à la vérification. À Anderlecht, il s’agit du fonctionnaire communal attaché au service d’hygiène de la commune : «nous nous inspirons du code bruxellois du logement, mais nous ne l’appliquons pas à la lettre, nous confie un fonctionnaire anderlechtois, sinon peu de logements pourraient se voirdélivrer une attestation positive. Disons que nous avons une approche humaine et réaliste et nous regardons avant tout le nombre de personnes appelées à habiter dans lelogement, leur sexe et leur âge. Il est clair que si une famille avec quatre enfants loge dans une habitation qui ne comporte qu’une seule pièce, nous nous voyons obligés derefuser. En moyenne, sept attestations sur dix sont positives. »

Le CECLR, de son côté, a effectué une sélection aléatoire de communes dans les trois Régions (Bruxelles-ville, Molenbeek, Ixelles, Anderlecht,Liège, Charleroi, Gand, Anvers, Bruges, Genk). Résultat : en Région wallonne et en Région bruxelloise, ce sont pour la plupart des agents de quartier qui évaluentle caractère suffisant du logement (principalement la taille du logement) sauf à Bruxelles-ville dont les services refusent de procéder à l’enquête et àMolenbeek où ce sont des équipes interdisciplinaires qui ont été mises en place. En Région flamande, les administrations communales se sont tournées vers lesServices du logement de la Région qui appliquent les critères contenus dans le code régional du logement.

L’assurance maladie

Autre nouvelle disposition depuis juin 2007 : désormais tout demandeur d’un regroupement familial doit apporter la preuve que l’étranger rejoint dispose d’uneassurance maladie couvrant les risques en Belgique pour lui-même et les membres de sa famille. Cette preuve peut être apportée de deux manières. Soit le demandeur produit lapreuve que l’étranger rejoint a souscrit une assurance maladie couvrant les risques en Belgique pour lui-même et sa famille (durée minimale : 3 mois – couvertureminimale : 30 000 euros). Soit le demandeur produit une attestation de la mutuelle à laquelle l’étranger rejoint est affilié confirmant la possibilitéd’affilier les membres de la famille dès leur arrivée sur le territoire belge. « Le problème, soulève le Centre pour l’égalité, c’est quel’Office des étrangers donne une interprétation stricte de la condition « dès son arrivée sur le territoire », entendant par là « dès l’instant desa présence physique sur le territoire ». Avec pour conséquence qu’il refuse de prendre en compte les attestations ordinairement délivrées par la mutuelle. Celles-ciprécisent que le regroupé sera affilié dès son inscription dans les registres de la population. Cela implique que tous les demandeurs de regroupement familial quiintroduisent leur demande depuis l’étranger devront faire appel – dans un premier temps à tout le moins – à un système d’assurance privée envue de l’établissement de leur dossier. » On peut aisément imaginer la difficulté de souscrire à une telle disposition…

Une réforme « prématurée »

Sur le terrain, communes et associations s’accordent pour dire que les deux nouvelles conditions matérielles posées au regroupement familial des ressortissants de pays tiers depuisle 1er juin 2007 soulèvent de nombreuses difficultés d’application pratique qui confinent parfois à l’absurde. « Ainsi, commente le CECLR,l’introduction de ces conditions dans la loi de base relative au droit des étrangers semble s’être faite sans tenir compte de leur compatibilité avec leslégislations régionales ou communautaires (pour le logement) ou avec les conditions légales propres au domaine (pour l’assurance maladie). » Et de pointerégalement le fait que la réforme a entraîné un recul en termes de garanties procédurales. Aujourd’hui, la seule instance qui se prononce au fond sur le droitde vivre en famille est l’Office des étrangers. À ce sujet, le Centre rappelle sa recommandation : il faut que le Conseil du contentieux des étrangers soit doté danscette matière d’une compétence de plein contentieux, c’est-à-dire avec un effet suspensif du recours et pleine compétence d’examen en faits et en droitdu dossier. Or, dans le « paquet immigration » en cours de négociation au gouvernement, il n’est pas question de revenir sur les dispositions précédentes, mais biend’ajouter encore dans la loi une condition de revenu – actuellement en vigueur pour certains cas de regroupement familial, elle serait généralisée dans tous les cas –voire même une condition d’intégration.

« Nous estimons qu’il est prématuré d’ajouter de nouvelles conditions matérielles au droit au regroupement familial alors que celles de logement et d’assurance maladie,introduites en juin 2007, n’ont pas encore été évaluées – et qu’elles dysfonctionnent manifestement, pointe Julie Lejeune, juriste à l’Observatoire desmigrations du Centre pour l’égalité. Sachant que la condition de revenu a fait l’objet d’un accord entre les différents partenaires du gouvernement, on en vient à seposer la question de savoir s’il ne conviendrait pas que la condition de revenu remplace les deux autres plutôt que de s’y ajouter… »

1. Le regroupement familial est la possibilité offerte de se faire rejoindre, en Belgique, par les membres de sa famille se trouvant à l’étranger. Ce droit concerne tantles Belges et les citoyens de l’Union européenne que les ressortissan
ts d’États extérieurs à l’UE, selon des modalités différentes.
2. Alter Échos n° 233 : Regroupement familial, une procédure désormais réservée aux plus nantis ?

3. CECLR (Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme) :
– adresse : rue Royale, 138 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 212 30 30
– courriel : epost@cntr.be
– site : www.diversite.be
4. Le Rapport Migration 2007, qui nous a servi de source pour cet article, est téléchargeable sur le site du CECLR à l’onglet Migrations.
5. AVCB Association de la ville et des communes de la Région de Bruxelles-Capitale :
– adresse : rue d’Arlon 53, boîte 4 à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 238 51 40
– site : www.avcb-vsgb.be
6. Le texte est disponible sur le site de l’AVCB, rubrique actualités, juin 2008.

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