Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Le ministre Verwilghen1 partait d’un constat partagé par tous les praticiens : le système du pro deo était à revoir pour permettre à plus de personnesprécarisées un meilleur accès à une défense digne de ce nom. Il fallait d’une part harmoniser le fonctionnement et l’organisation de l’attributiondu pro deo dans les barreaux du pays, et d’autre part revoir les conditions d’octroi d’un pro deo aux personnes « aux ressources insuffisantes ».
Un accès restreint à la justice
Mise en œuvre depuis janvier 2001, le pro deo s’appelle désormais « aide juridique de première et de deuxième ligne », les bureaux de consultation et de défense(BCD) sont rebaptisés « bureaux d’aide juridique » (BAJ) et l’organisation de l’aide juridique est déléguée à une commission (CAJ). Si lespraticiens s’accordaient sur la question du lifting du pro deo, le chirurgien qui pratiqua l’opération l’aurait ratée au point de prêter le flanc à devirulentes critiques jusqu’à un recours en annulation au Conseil d’État de la part du syndicat des avocats pour la démocratie2. Le bâtonnier de Bruxelles, MarcWagemans, avait eu des mots très durs pour l’organisation de l’aide juridique, « massacrée par le politique. Les montants servant de seuil à l’accès de cette aide sontindignes, avait-il ajouté. Les avocats sont payés avec deux ans de retard pour ces prestations » (in Le Soir 8 février 2001).
Les tables de la loi
La loi du 23 novembre 1998 (Moniteur belge du 22 décembre 1998, p. 40.568) relative à l’aide juridique, entrée en vigueur le 31 écembre 1999 (Moniteur belgeüdu 30décembre 1999, p. 50.054), organise l’aide juridique dispensée par les avocats et rémunérée par l’État, « aux personnes disposant de ressourcesinsuffisantes ». Elle insère dans le Code judiciaire un article 446bis, ainsi qu’un livre IIIbis intitulé De l’aide juridique de première et de deuxième ligne sous lesarticles 508/1 à 508/23, et modifie les articles 580, 676 et 704 du même Code, ainsi que l’article 184bis du Code d’instruction criminelle. Les articles 455 et 455bis du même Code– seules dispositions légales régissant jusqu’alors « l’assistance des personnes dont les revenus sont insuffisants » – sont abrogées. Quatre arrêtésroyaux et deux arrêtés ministériels ont été pris le 20 décembre 1999, en exécution de la loi, dans la plus grande précipitation (l’article11 de la loi prévoit en effet que « l’ensemble de la présente loi entre en vigueur au plus tard le 31 décembre 1999 ».)
Une réforme fort contestée
Avant d’aborder le volet plus pratique et citoyen de la réforme, il faut savoir dans quel contexte elle a été mise en route : les arrêtésd’exécution ont été publiés la veille de l’entrée en vigueur de la loi! Denis Dobbelstein, avocat, membre de la commission d’aide juridique deBruxelles : « Le législateur avait abandonné à l’exécutif le soin de trancher des questions aussi essentielles en termes de démocratie que les conditions etles modalités d’accès à l’aide juridique ou la représentativité des organisations d’aide juridique de première ligne, et ce, au motif quela dimension budgétaire était incontournable. Il était sans doute utopique que le ministre animât un débat que le parlement n’était pas parvenu àgérer en son sein. À ce stade on reste donc frustré d’une réponse crédible à cette question légitime : quel effort collectif et quels moyenspour atteindre un niveau de santé juridique satisfaisant au sein de la population? Qui plus est, la question nous intéresse tous si l’on considère que dans unesociété aussi complexe que la nôtre, le droit étant omniprésent, la santé juridique de chaque personne influence directement la cohésion sociale »(« L’aide juridique nouvelle est arrivée… : les enseignements concrets et les options fondamentales des arrêtés d’exécution » in L’aide juridique,formation jeunesse et droit, 2000-2001).
Le ministre Verwilghen défend sa politique dans un communiqué de février 2001 : «L’arrêté royal déterminant les conditions de la gratuité dubénéfice de l’aide juridique de première ligne (ouverture du dossier) et de la gratuité partielle ou totale du bénéfice de l’aide juridique dedeuxième ligne (désignation de l’avocat pro deo) et de l’assistance judiciaire fait l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État introduit par l’asbl « Syndicat desavocats pour la démocratie ». D’après cette asbl, l’arrêté royal attaqué déterminerait, pour certaines catégories de justiciables, des conditionsd’accès à l’aide juridique (totalement ou partiellement) gratuite moins favorables que celles qui existaient antérieurement. Le projet d’arrêté royal tend àpréserver la sécurité juridique et à éviter tout dommage aux différents intervenants. Il établit l’égalité entre les isolés avecpersonne à charge et les ménages. Il restructure et clarifie en outre certaines dispositions». Nous verrons plus loin qu’effectivement, certaines personnes se retrouventhors accès à l’aide juridique gratuite avec pourtant des ressources insuffisantes. La contestation ne s’arrête pas là; car les avocats sontexcédés par une série de problèmes liés à la justice. En mars 2001, réunie pour la première fois sous sa forme communautarisée (lesavocats flamands ayant abandonné l’Ordre national), la « conférence des barreaux francophones et germanophones » (14 barreaux pour 5.439 avocats), l’organe de réglementationprofessionnelle des avocats remarque que «ses membres mettent au moins 30 millions chaque année de leurs poches pour assurer les pro deo, elle demande dès lors une interventionfinancière plus importante de l’État et la modification des seuils d’accessibilité à l’aide juridique» (in Le Soir, 26 mars 2001).
================================
En pratique
L’aide juridique de première ligne est accessible à tous, sans condition de nationalité, de régularité de séjour ou de revenus.
Certaines catégories de justiciables bénéficient, de plein droit, de la gratuité totale, sur présentation des pièces justificatives déterminéespar arrêté royal. Il s’agit
> de la personne isolée qui justifie que son revenu mensuel net est inférieur à 25.000 FB,
> du cohabitant, marié ou non, dont le revenu mensuel net du ménage est inférieur au minimum insaisissable (34.400 FB),
> du bénéficiaire du minimex ou de l’aide sociale,
> du bénéficiaire du revenu garanti aux personnes âgées,
> du bénéficiaire d’allocations de remplacement de
revenus aux handicapés auquel une allocation d’intégration n’est pas accordée,
> de la personne qui a à sa charge un enfant bénéficiant de prestations familiales garanties,
> du locataire social dont le loyer est inférieur à la moitié du loyer de base,
> du mineur,
> de l’étranger en demande de régularisation de séjour ou en recours contre un ordre de quitter le territoire,
> du demandeur d’asile ou de la personne qui a introduit une demande de statut de personne déplacée.
Pour déterminer le revenu net à prendre en considération, il est tenu compte:
> d’une déduction de 10% du minimex, par personne à charge,
> des charges résultant d’un endettement exceptionnel,
> de tout autre moyen d’existence, à l’exception des allocations familiales.
================================
La réforme : points forts et points faibles
Celui qui fréquente les palais de justice du pays aura constaté que souvent l’ex-BCD ressemblait à la cour des miracles. «La réforme prévoit pour lejusticiable un double sas d’entrée, d’une part l’accès à un conseil, un avis et d’autre part l’attribution d’un pro deo» expliquel’asbl Solidarités nouvelles. « La première ligne fonctionne mal, elle reste mal organisée dans les arrondissements (Bruxelles notamment), elle constitue une perte de tempspour le justiciable, surtout s’il se rend au palais de justice, à partir de 9 h 30 il est trop tard pour obtenir un rendez-vous le jour même… Cela renvoie de facto lapersonne vers les associations qui prodiguent des conseils juridiques gratuitement. C’est aussi une mauvaise idée, et une entrave à l’accès à la justice, dedemander une participation de 500 francs au justiciable pour un conseil qu’il peut avoir gratuitement ailleurs, d’autant qu’il lui faut prouver qu’il a droit àl’aide juridique gratuite. Pour nous, la première ligne est inefficace. »
C’est surtout sur la question des montants de revenus permettant l’accès à une défense gratuite que les critiques de la réforme se sont faites les plus vives,de l’Association syndicale des magistrats3, du Syndicat des avocats pour la démocratie, ou de la conférence des barreaux francophones et germanophones, tous déclarent queles montants prévus par la loi sont un véritable déni de démocratie pour le justiciable. «Nous avons eu le cas d’une dame avec enfants et mère àcharge, qui était chef de ménage au chômage, et qui pourtant n’entrait pas dans les conditions d’accès à l’aide juridique gratuite», raconteSolidarités nouvelles4. « Beaucoup de personnes à petit salaire, qui appartiennent à la classe moyenne, échappent à l’aide gratuite alorsqu’objectivement, elles n’ont pas les moyens de payer les honoraires d’un avocat et les frais de justice. »
Côté positif, les praticiens sont heureux de la mise en place d’une commission d’aide juridique composée pour moitié d’avocats, pour un quart dereprésentants de CPAS et pour un quart de représentants d’asbl agréées. Outre l’organisation matérielle des permanences d’aide juridique de premièreligne, la CAJ a pour mission d’organiser la concertation entre les organisations d’aide juridique dont l’offre est aujourd’hui multiple et dispersée, en vue d’optimaliser l’aide juridique depremière ligne, par la création d’un « réseau », de diffuser auprès de ceux qui en ont le plus besoin, et là où elle est dispensée, des informations surl’existence et les conditions d’accès à l’aide juridique (sic), et enfin de formuler des recommandations au ministre en vue de l’amélioration de la politique d’aide juridique surla base des rapports qui lui sont adressés par les avocats.
Les objectifs avoués de cette réforme étaient concrètement d’harmoniser l’aide juridique dans chaque arrondissement judiciaire, d’offrir une aidejuridique de « première ligne », coordonnée et décentralisée; d’améliorer la qualité de l’aide juridique et d’instaurer un contrôle dequalité ainsi qu’une meilleure formation de ceux qui la dispensent de manière volontaire; d’uniformiser les conditions d’accès à la deuxième ligneet d’instaurer un recours en cas de refus d’octroi de l’aide (sic). Exit le certificat d’indigence, une humiliation en moins pour le justiciable…
Etant entendu en outre que lorsqu’il y a conflit d’intérêts entre cohabitants, la personne demandeuse de l’aide est considérée comme une personne isolée.
Le détenu, le prévenu visé par la loi sur la comparution immédiate et la personne malade mentale sont présumés indigents.
Tous les autres justiciables sont tenus au paiement d’une « contribution forfaitaire » fixée par arrêté royal à 500 FB. Ce montant sera adapté chaque fois que l’indexvariera, à la hausse ou à la baisse, de 5%. Cette contribution forfaitaire sera perçue, pour compte de la CAJ, par l’avocat qui assure la permanence; elle s’ajoute au subside quereçoit la CAJ pour rémunérer les permanences de première ligne.
1 Cabinet Verwilghen, bd de Waterloo 115 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 542 79 11, fax : 02 538 07 67.
2 Syndicat des avocats pour la démocratie, Cunic, av. Général Michel 1/B, local 321 à 6000 Charleroi, tél. et fax : 071 50 69 63, e-mail :synd.avocats.democrat@swing.be
3 Association syndicale des magistrats, av. Général Michel, 1/B à 6000 Charleroi, tél. : 071 32 86 23.
4 Solidarités nouvelles, rue de la Porte-Rouge, 4 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 512 71 57 et 512 02 90, fax : 02 512 76 68, e-mail : solidarités.bxl@misc.irisnet.be, site :http://users.swing.be/solidarites.bxl

Agence Alter

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)