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Regard critique · Justice sociale

Référendum marocain : « Ceci n'est pas une mosquée »

Des « mosquées » utilisées comme bureaux de vote pour l’organisation du référendum sur le nouveau projet de Constitution marocaine. De quois’interroger sur la séparation entre la religion et l’Etat.

10-07-2011 Alter Échos n° 319

Les 1, 2 et 3 juillet derniers, les autorités marocaines ont organisé en Belgique un référendum sur le nouveau projet de Constitution marocain. Dans la foulée duprintemps arabe qui secoue les régimes autocratiques au sud de la Méditerranée, le souverain marocain espère calmer les flammes de la révolte populaire du« 20 février » en renforçant sa légitimité à travers un nouveau plébiscite électoral. En marge du débat politiquemarocain et du résultat du référendum, il est utile de s’interroger sur l’organisation du vote en Belgique.

Sur le terrain, les autorités marocaines de Belgique ont mis en place un total de 23 bureaux de vote (Bruxelles, Liège et Anvers) dont 14 mosquées, pour recueillirl’avis des quelque 300 000 électeurs marocains. « Les activités politiques sont à proscrire dans les mosquées, d’autant plus que certaines d’entreelles sont en voie de reconnaissance par l’Etat et qu’elles bénéficieront d’un financement public », a réagi le député libéral Denis Ducarme quiajoute que l’organisation du vote dans les mosquées confirme par ailleurs « l’ingérence persistante des Etats étrangers dans l’organisation du culte islamique enBelgique ».

Un avis que semble notamment partager l’islamologue belgo-marocain Yacob Mahi qui estime qu’« on prend la communauté marocaine en tenaille dans des mosquéesqui appartiennent aux musulmans, il n’y a pas que des Marocains dans les mosquées, je pense qu’il faut respecter la neutralité de ces espaces. Certains imams se sont permis de tenir despropos incitants les Marocains à voter et dire oui, ça je pense que c’est une forme d’ingérence des instances politiques étrangères. »

Le Belgo-marocain bruxellois Mohammed Saïd « se demande pourquoi le gouvernement belge et le ministère de la Justice, en charge des affaires confessionnelles et des lieux deculte, restent muets. La Belgique ne défend-elle pas les valeurs de la laïcité et la séparation entre la religion et la politique ainsi que la non-intervention des religieuxdans les affaires politiques ? »

Asbl, pas mosquée ?

L’ambassadeur du Maroc Samir Addahre répond que « ce sont des asbl et à ce jour, ces mosquées ne sont pas reconnues comme étant des mosquées, cesont des salles de prière, ce sont des asbl, ce sont des écoles, des centres culturels. Et donc, nous
avons eu affaire à des asbl. Je crois que c’est induire l’opinion publique en erreur que de dire que nous organisons le vote ou le scrutin dans des mosquées ; ça aussi,ça a été suscité par justement ces mouvances radicales pour essayer un peu de perturber le processus référendaire qui va avoir lieu dans les troisjours. » Le dirigeant de la mosquée Al Mohsinine à Saint-Gilles Kissi Benjelloul partage cette explication et affirme que « le vote n’a pas lieu à lamosquée car c’est une asbl (association sans but lucratif), un centre qui a beaucoup d’activités et parmi ces activités, il y a des bureaux. C’est la mosquée qui estdans le bâtiment du centre ayant beaucoup d’activités et non le contraire. »

Cette distinction subtile (mais aussi surréaliste) entre « mosquée » et « association » (asbl) relance la question de lanon-reconnaissance des centaines (environ trois cents) de lieux de culte islamique en Belgique. Sur le plan juridique belge, la mosquée peut-elle avoir une autre forme que l’asbl ?L’organisation d’un exercice électoral étranger au sein des mosquées aura-t-elle un impact indirect sur la reconnaissance de ces lieux ? Se basant sur lesexplications des responsables de ces mosquées qui cherchent une reconnaissance officielle pour avoir accès au financement public, le législateur régional pourrait limitersa reconnaissance (et le financement public) à la seule salle de prière.

Est-ce la trop longue non-reconnaissance de ces mosquées par les autorités belges qui expliquent la main-mise des autorités étrangères sur ces lieux de culte oubien l’inverse à savoir que l’ingérence des pays étrangers dans ces lieux qui expliquent l’absence de reconnaissance ? La reconnaissance favorisera-t-ellel’indépendance des imams et des mosquées belges vis-à-vis des pouvoirs étrangers ou facilitera-t-elle l’emprise du discours politico-religieux lors des enjeuxélectoraux ? Des réponses à trouver avant le prochain scrutin électoral en Belgique où une partie des enjeux se décide dans ces mêmes lieux deculte.

Mehmet Koksal

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