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Regard critique · Justice sociale

Migrations

Primo-arrivant âgé, vieil arbre déraciné

Les personnes âgées issues de migrations récentes sont particulièrement fragilisées à la suite de l’expérience traumatisante de l’exil et audéracinement qu’il implique.

23-01-2011 Alter Échos n° 308

Tchétchènes, Arméniens, Rwandais… Les personnes âgées issues de migrations récentes sont peu nombreuses en Belgique. Mais elles se révèlentparticulièrement fragilisées suite à l’expérience traumatisante de l’exil et au déracinement qu’il implique.

La Clinique de l’exil1 aide les réfugiés ou demandeurs d’asile par des soins de santé mentale adaptés à ce public. « Lamajorité de notre public a autour de trente ans, expliquent Paul Jacques et Noune Kara Khanian, psychologues. Il y a très peu de personnes âgées chez les primo-arrivants,une quinzaine peut-être sur les mille quatre cents dossiers que nous avons actuellement. En général, après un certain âge, ils ne veulent plus quitter leur pays, peuimporte la situation de précarité dans laquelle ils vivent ; ils préfèrent mourir chez eux. » Car à cet âge-là, c’est bien dedéparts définitifs dont il s’agit.

Au centre Exil2, même constat. « Mais ce sont sans conteste les personnes les plus vulnérables, nous dit Froduald Gatarayiha, psychothérapeute. Ils sontfragilisés par leur parcours, ils ont connu des pertes multiples, en vies humaines, matérielles et de liens sociaux. Souvent les familles sont complètementéclatées. »

Si le réseau, familial ou professionnel, constitue un véritable vecteur de résilience (à savoir la capacité à rebondir après un traumatisme), chezles personnes âgées, il est difficile à activer. Les situations les plus difficiles sont celles des personnes qui arrivent seules. Parce qu’elles ne peuvent pas s’appuyer sur desmembres de leur communauté, peu nombreuse et éclatée dans différentes villes du pays. Et parce qu’elles connaissent peu de personnes de leur âge. La perte derepère est alors totale.

Quand elles rejoignent leurs enfants et petits-enfants, les problèmes ne sont pas résolus pour autant. On observe souvent une confrontation entre les rôles traditionnels etceux de la culture dans laquelle ils atterrissent : un sentiment d’inutilité, surtout chez les hommes, une remise en question par les petits-enfants du rôle de transmission devaleurs culturelles des grands-parents, des conflits de génération, bref, la perte de la reconnaissance ou du statut social acquis dans leur pays. « Ils ont souventl’impression que leur famille prend distance avec eux, le sentiment d’être une charge pour leur famille », explique Froduald Gatarayiha.

Et si le maintien de relations virtuelles avec leur pays est un facteur favorable au niveau de leur état psychique, la maladie et la mort de proches dans le pays d’origine sont par contretrès difficiles à vivre.

S’adapter, non s’intégrer

Les difficultés vécues par les personnes âgées se compliquent davantage quand elles ne parlent pas le français. On observe chez elles de réellesdifficultés à apprendre une nouvelle langue car elles ont des problèmes de mémoire et de concentration. C’est aussi l’absence d’un projet de vie (projet professionnel parexemple) qui entrave le dépassement des traumas et empêche ces hommes et ces femmes de « tourner la page ».

Pour Paul Jacques et Noune Kara Khanian, à partir d’un certain âge, on ne peut plus parler d’intégration, mais d’une adaptation, qui est elle même difficile.« Souvent ces personnes vivotent », nous disent-ils, même s’il existe de merveilleux contre-exemples. Comme le disait subtilement une de leurs patientesâgées : « C’est comme si on déplaçait un vieil arbre. Plus il est vieux, moins on a de chance qu’il reprenne racine. » « La souffrancene vient pas de ce qu’ils ont vécu, ajoute quant à lui Froduald Gatarayiha, mais plutôt de la perte de repères actuelle. »

En conséquence, on note chez ces personnes beaucoup de dépressions et de troubles anxieux, parfois doublés d’une dégradation physique, de difficultés demobilité voire de problèmes de santé plus sérieux. « Souvent ils passent leur temps de service en service, de consultation en consultation, ce qui complexifiela prise en charge, témoigne Froduald Gatarayiha. Or s’il existe des structures qui tentent de répondre aux problématiques des jeunes par exemple, ce n’est que très peu lecas pour les personnes âgées. »

1. La Clinique de l’exil :
– adresse : rue Docteur Haibe, 4 à 5002 Saint-Servais
– tél. : 081 73 67 22
– courriel : clinique.exil@province.namur.be
2. Exil asbl :
– centre médico-psychosocial pour victimes de violations des droits de l’homme, de la torture et pour personnes exilées (centre de santé mentale agréé)
– adresse : avenue de la Couronne, 282 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 534 53 30
– courriel : info@exil.be
– site web : www.exil.be

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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