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Regard critique · Justice sociale

Culture

Populariser l'éducation permanente ?

Le secteur semble avoir digéré son nouveau décret. Et amorce un retour aux enjeux de fond.

17-02-2012 Alter Échos n° 332

A un an du dixième anniversaire du nouveau décret, des acteurs de l’éducation permanente s’interrogent sur leur identité. La transition vers le nouveau décret digérée, le sens de l’action et la qualification des pratiques reviennent en haut de l’agenda. La crise économique et financière interroge notamment leurs rapports aux publics pressentis et à leur implication.

« Il y a, dans les structures d’éducation permanente, un besoin de mettre en évidence ce qui les réunit, au-delà de l’éventail de leurs thématiques de prédilection et de la diversité de leur taille respective », explique Carmen Castellano, directrice de la Fesefa1.C’est l’un des enjeux majeurs des Ebullitions citoyennes, le processus de réflexion mené récemment par la fédération à destination de ses membres. Un enjeu qui se heurte à l’absence de lieu de rencontres entre acteurs du secteur. « Nous devons relever ce défi, en tant que fédération, qui consiste à créer des plate-formes de rencontres entre cadres, travailleurs, administrateurs, bénévoles et politiques. En invitant les politiques non comme les détenteurs d’une expertise mais comme des participants à part entière aux discussions. »

La question de l’identité est indissociable de celle des publics. Les Ebullitions de la Fesefa font ressortir deux grandes tendances : « Il y a celles et ceux qui considèrent que notre action doit se concentrer sur les personnes particulièrement fragilisées, sur le plan socio-économique notamment, rapporte Carmen Castellano. D’autres considèrent que, dans une perspective de transformation sociale, l’éducation permanente s’adresse à tous, de la personne sans diplôme à l’universitaire. »

La faute au nouveau décret ? Selon Anne-Marie Andrusyszyn, directrice du Cepag2, la notion de public populaire « n’apparaît plus que de façon succincte dans le texte. Il ne faut pas oublier cette notion : ce ne sont pas seulement les infrascolarisés et les personnes en difficulté économique, mais tous ceux qui participent à la société. »

Secteur cherche administrateurs (très) disponibles

La problématique des administrateurs intéresse tout particulièrement la Fesefa en tant que fédération patronale. Le sujet est abordé indirectement, à travers la nécessité maintes fois énoncée de réfléchir aux publics auxquels s’adresse l’éducation permanente aujourd’hui. Pour avancer dans cette problématisation, il faudrait associer tous les acteurs à la réflexion, en ce compris les administrateurs. Une gageure, semble-t-il. « Les nouvelles responsabilités qui pèsent sur les administrateurs associatifs – bénévoles – tarissent les vocations, analyse Carmen Castellano. En outre, de plus en plus d’administrateurs, une fois mandatés, se profilent comme garants d’une bonne gestion quotidienne. Cela peut créer un décalage avec ceux qui défendent surtout un projet politique. Et, parfois, aller jusqu’à perdre l’esprit du projet originel : beaucoup de structures adaptent leur projet pour obtenir un subside. »

Une tension entre gestionnaires et « militants » qui ne serait plus tout à fait d’actualité, selon Alain Leduc. « Simplement, pour des raisons démographique : les « militants » ne seront plus là dans dix ans. Et puis, on s’est battu pour qu’il y ait professionnalisation des secteurs. Dans la professionnalisation, il reste des formes de « militance » qui se traduisent par un combat des travailleurs sur la qualité de leur implication, de leur travail. » Et de reconnaître que, du côté du conseil d’administration de CFS, « ce sont les anciens qui continuent de dire les objectifs. »

Des pistes pour résoudre ces hiatus ? « Très concrètement, lance Carmen Castellano, les administrateurs devraient participer aux mises au vert des équipes, assister aux formations continuées destinées aux travailleurs. Mais on bute sur un problème de disponibilité… »

Pour Alain Leduc, du Collectif formation et société3, s’inspirant notamment des travaux de Christian Maurel (voir « Christian Maurel : « Imaginer d’autres façons d’agir » »), le terme « peuple » n’a rien de ringard si l’on veut bien considérer qu’il serait désormais constitué de toutes celles et ceux qui d’une manière ou d’une autre sont impliqués dans un processus dans lequel ils ressentent une souffrance. « Aujourd’hui, l’éducation permanente doit refaire du collectif à partir de ce que ressentent les gens, pour les amener à déconstruire les évidences, à comprendre leur environnement et à agir en conséquence », prône Alain Leduc.

Dans le public du Cepag, en priorité constitué de travailleurs actifs et non actifs, « on s’aperçoit qu’ils sont pris dans la pensée dominante, relève Anne-Marie Andrusyszyn. Nous travaillons à cette remise en question du discours dominant en mettant en évidence combien les gens sont dans des postures de soumission dans de nombreuses sphères de leur vie. » Elle reconnaît toutefois comme une ambiguïté du décret le fait d’induire une priorité à aller vers les publics précarisés ou déjà conscientisés, oubliant la grande majorité des autres groupes et personnes constitutives du « peuple ».

Contributions à un bilan du décret

Normalisation

Au rayon des appréciations globales du nouveau décret, Alain Leduc relève qu’il signe un tournant managérial qui a contribué à normaliser le secteur : « Les activités sont réparties en quatre axes, des normes spécifiques à chacun d’eux sont précisées qui renvoient à des indicateurs quantitatifs et produisent une certaine bureaucratisation. » Pas fataliste ni défaitiste pour autant, il ajoute : « L’associatif doit apprendre à résister, il reste des failles. Les pouvoirs publics sont eux-mêmes pris dans des dynamiques européennes normatives qui ont pour horizon l’ouverture des secteurs au privé. Pour cela, il faut se méfier de cette tendance. Mais nos dispositifs d’action et d’intervention étaient relativement invisibles jusqu’alors. Nous adapter nous a obligés à réfléchir à notre objet, à lui conférer une qualité et une visibilité qu’il n’avait pas jusqu’ici. »

Partenariats

L’un des objectifs manqués, jusqu’ici, du nouveau décret, réside dans l’incitation à nouer des partenariats. « On s’aperçoit que des associations voisines de quelques rues, qui auraient tout intérêt à travailler ensemble, ne se connaissent même pas », constate Carmen Castellano. Ce n’est pas seulement l’absence de lieu de rencontre qui est en cause. Dans certains cas, les mesures régissant la formalisation des partenariats ont joué comme des « désincitants » : obligation de passer une convention, répartition plafonnée des heures valorisables dans l’agrément de chacun…

« Il y a eu un flottement. Maintenant, les associations ont pu intégrer le décret et commencent à revenir à des logiques de partenariats, de réseau », estime Anne- Marie Andrusyszyn. Flottement que relativise Alain Leduc : « Rédiger et co-signer une convention précisant qui fait quoi dans le partenariat, ce n’est quand même pas insurmontable. »

Animation du secteur
 
Côté animation du décret, l’idée d’un référencement commun et d’une meilleure diffusion des diverses études semble faire son chemin. Avec des nuances. Alain Leduc estime pour sa part que « le volume important des études produites en éducation permanente gagnerait à être centralisé ». Y aurait-il des redondances dans les productions ? « Au Cepag, note sa directrice, je demande régulièrement à plusieurs collaborateurs de produire chacun une note sur un même sujet. C’est plutôt intéressant cette diversité de points de vue. » Quant à tout centraliser sur un site portail, elle estime que c’est un moyen de diffusion utile mais insuffisant. « Quand je reçois une étude par courrier postal, je vais la transporter avec moi et la lire dans les périodes creuses », explique-t-elle.

Des chiffres ou des lettres ?

« Nous qualifions nos pratiques au quotidien. Nous faisons valoir tout cela dans nos rapports d’activité. Mais on a l’impression que du
côté des autorités de tutelle, on ne regarde que les chiffres, regrette Anne-Marie Andrusyszyn. C’est comme si on avait dû quantifier le nombre d’heures nécessaires pour mener la Révolution française ! »

A un contrôle normé et quantifié, les acteurs préfèrent souvent une approche en termes d’accompagnement. Outre un appel à une simplification administrative des rapports d’activité, Carmen Castellano aimerait que l’administration joue surtout un rôle de facilitateur. « La logique d’accompagnement existe, estime-t-elle, mais les fonctionnaires ne sont pas assez nombreux pour l’appliquer durablement et systématiquement. Nous invitons également nos membres à considérer l’administration comme un partenaire à qui ils ne doivent pas hésiter à demander conseil. » « Les autorités devraient plus faire confiance aux associations et renouer avec la logique d’évaluation formative qui prévalait avant 2003 », renchérit Anne-Marie Andrusyszyn.

Vous avez dit « [auto-]évaluation(s) » ?

Reste que la prudence – voire le scepticisme – prévaut face aux recommandations du récent rapport d’évaluation (voir « Evaluation du décret de 2003 : les flous et leurs effets »). Ses auteurs proposent deux scénarii d’auto-évaluation participative, l’un n’impliquant que les acteurs du secteur, l’autre reposant sur une démarche délibérative avec un évaluateur externe, garant d’une certaine « décentration » et de l’anonymat parfois requis.

« Il faut être très prudent avec les interprétations que l’on produit dans une évaluation, note Carmen Castellano. A quel titre un tiers peut-il venir évaluer sur des aspects qualitatifs ? Ce type d’approche suscite beaucoup de réticences. » Pour illustrer la suspicion vis-à-vis des audits externes centrés sur le quantitatif, Anne-Marie Andrusyszyn évoque ce cas d’un groupe de travailleurs sans emploi qui s’est retrouvé sans participants à la suite des rappels à l’ordre de l’Onem. « On ne peut pas se contenter de comptabiliser statistiquement un groupe qui s’est dissous. Il faut pouvoir décrire et analyser le phénomène. »

Alain Leduc rappelle que l’auto-évaluation est permanente dans le secteur : « Chez CFS, chaque formation se termine par une évaluation avec les participants. Ces évaluations alimentent une évaluation annuelle interne menée avec des participants et des partenaires. » L’intérêt d’un évaluateur externe lui apparaît comme limité sauf à constituer un appui pédagogique et à ne pas déboucher sur un surplus de bureaucratie.

1. Fédération des employeurs des secteurs de l’éducation permanente et de la formation des adultes, Carmen Castellano, directrice
– adresse : bd E. Jacqmain, 4 bte 4 à 1000 Bruxelles
– courriel : secretariat@fesefa.be
– tél. : 02 502 46 73
– site : http://www.fesefa.be
2. Centre d’éducation permanente André Genot, Anne-Marie Andrusyszyn, directrice :
– adresse : rue de Namur, 47 à 5000 Beez
– tél. : 081/26 51 52
– courriel : cepag@cepag.be
– site : http://www.cepag.be
3. Collectif formation et société asbl:
– adresse : rue de la Victoire, 26 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 543 03 00
– courriel : info@cfsasbl.be
– site : http://www.cfsasbl.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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