Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

En 1998, une vingtaine d’organisations créaient le Mouvement national de régularisation des sans-papiers et des réfugiés. Ce 18 mai, après quatre ans delutte, le MNRSPR organisait un «happening de la régularisation» et rappelait à cette occasion qu’après deux ans l’opération n’étaittoujours pas terminée – des milliers de gens attendent encore une décision ou leurs papiers – bien qu’on en annonce la fin. Profitant de ce moment, le Mouvement avoulu évaluer et ouvrir de nouvelles perspectives : «Nous avons gagné une bataille, mais la lutte pour les nouveaux immigrés continue». Un après-midi dedébats qui s’est clôturé par un moment de convivialité partagé avec tous les acteurs de l’opération de régularisation autour d’unprogramme de musiques du monde.
Où en sont les dossiers?
Lors de ce happening, Yves Caelen, directeur du Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers)1 depuis six mois, a tracé le bilan de larégularisation et énuméré les différentes revendications du mouvement, toujours en attente de réalisation.
« En tant que groupe de pression, nous avons constamment défendu depuis 2000 les intérêts des demandeurs d’asile devant le gouvernement et l’administration.C’était nécessaire car dans certains esprits, la régularisation a été difficilement acceptée, voire volontairement entravée. Aujourd’huinous n’avons pas l’intention de lever la pression sur les politiques. Nous promettons à tous ceux qui attendent encore une réponse de rester vigilants jusqu’àce que le dernier des 37.000 dossiers soit clôturé. Après plus de deux ans et trois mois, il faut bien constater que la régularisation n’est pas encoreterminée. Le 1er février, nous avons offert au ministre Duquesne un gâteau d’anniversaire pour les deux ans de la régularisation. Nous avions reçul’assurance que tout serait terminé pour le 1er avril. On en est loin.»
À la mi-avril, en réponse à une question parlementaire de MmePehlivan, sénatrice SP.A, Antoine Duquesne, ministre de l’Intérieur, précisait que 1.900dossiers resteraient encore à traiter.
> 768 sont actuellement examinés par le ministre, dont 500 pourraient faire l’objet d’une exclusion pour raison d’ordre public
> 184 sont encore à la Commission de régularisation.
> 973 sont retenus au parquet en raison de soupçons de fraude
Dans des cas de plus en plus nombreux, il semblerait selon le Ciré que le ministre prenne l’initiative de s’éloigner des décisions rendues par la Commission et depasser outre ses avis positifs. Ainsi par exemple, certains avis des chambres faisant état d’éléments d’intégration postérieurs à la date de lademande de régularisation seraient systématiquement ignorés. Des recours au Conseil d’État ont d’ailleurs été introduits à ce sujet dansle cadre de plusieurs dossiers.
Pour ce qui concerne les retards dans les instructions aux communes, qui permettent aux personnes concernées de bénéficier pleinement des effets de la régularisation, M.chewebach, de l’Office des étrangers affirmait ce mois-ci que 4.000 dossiers d’instruction aux communes restaient encore à boucler, parmi lesquels 1.500 dossierspositifs.
Ce sont donc en tout près de 6.000 dossiers, sur les 37.000 introduits qui ne sont en fait pas clôturés.
Face à cette situation, le Ciré et l’Ociv, son équivalent flamand, posent les exigences suivantes :
> « Maintenir et accentuer l’effort pour résorber l’arriéré dans les instructions aux communes
> †onner aux personnes un accès rapide et aisé à l’état de leur dossier, afin d’éviter d’entretenir inutilement leur attenteangoissée.
> Demander aux parquets de clôturer leurs enquêtes rapidement, ou du moins de libérer copie des dossiers qu’ils détiennent.
> Appeler le ministre à suivre, à moins d’éléments nouveaux significatifs, les avis positifs émis par les chambres de régularisation.»
Et les personnes régularisées?
« En ce qui concerne les personnes régularisées, il faut en outre constater qu’aucun moyen supplémentaire n’a été accordé aux communes et CPASconcernés pour leur permettre d’en assurer l’accueil», dénonce le Ciré. «Nous exigeons donc que des moyens soient rapidement alloués aux CPAS et/ouà des associations spécialisées, dans le but, en particulier, d’assurer l’insertion socioprofessionnelle des personnes régularisées.»
Enfin, s’il est clair que la régularisation ouvre aux personnes concernées le droit à un séjour illimité et à la dispense de permis de travail, lamention de ces possibilités sur le document de séjour délivré est encore laissée à l’appréciation des communes. L’absence de ces mentionsest, selon Yves Caelen, un obstacle de plus à l’insertion des personnes régularisées. «Nous demandons donc que les régularisés bénéficientd’un document de séjour clair :
> sur lequel la mention de l’interdiction d’exercer un travail lucratif ne figure pas, ou du moins est biffée ;
> sur lequel les mentions «séjour illimité» et «dispense de permis de travail» figurent obligatoirement.
Actuellement, la teneur du document de séjour qui est remis aux régularisés accentue le sentiment d’insécurité. La carte mentionne en effet que leséjour est limité à un an et qu’il est interdit d’exercer un travail lucratif.
Pour l’avenir
«Si nous ne devions retenir qu’une seule leçon de la procédure de régularisation qui s’achève, elle résiderait dans ce constat simple etincontournable du fait que la politique d’immigration telle qu’elle est menée actuellement dans notre pays conduit immanquablement à la création de personnes ensituation de clandestinité, d’illégalité ou de statuts de protection faibles (comme les personnes inexpulsables, dont l’ordre de quitter le territoire estrégulièrement prolongé, souvent pour de très longues périodes; sans ouvrir le droit à aucune forme d’aide ou moins encore d’intégrationsociale). Comme le gouvernement l’avait promis en 1999, la régularisation doit donc s’accompagner d’une réelle amélioration qualitative (et pas d’unesimple accélération) des procédures actuellement en vigueur en matière d’asile. La procédure doit être juste et, dans la mesure del’équité, rapide, tant en recevabilité que sur le fond.»
============================================
Statistiques de la C
ommission de Régularisation au 17 mai 2002
I. Nombre total de dossiers introduits : 37.058
Soit :
> 32.662 auprès d’une administration communale
> 557 directement à la Commission
> 3.839 dossiers «art. 9.3 Loi de 1980» (autorisation de séjour pour raison humanitaire) transmis par l’Office des étrangers.
II Nombre de dossiers traités : 34.645
Soit :
> 24.488 dossiers régularisés
> 5.653 dossiers refusés
> 3.982 dossiers sans objet
> 522 dossiers exclus
III. Nombre de dossiers à cloturer :
> 1.019 dossiers à traiter par le secrétariat d’Instruction
dont :
> 973 présumés frauduleux saisis par le parquet
> 30 incomplets
> 16 restant à traiter
> 1.394 dossiers en cours de traitement.
dont :
> 123 au secrétariat-greffe
> 708 chez le ministre
> 563 à l’Office des étrangers pour enquête complémentaire «ordre public».
============================================
Pour une régularisation structurelle
Le MNRSPR veut se battre désormais pour une régularisation structurelle, rendue possible par l’article 9 de la loi de 80 sur les étrangers. La modification de la loireprendrait les critères qui ont été retenus pour l’opération de régularisation (maladie€ attaches sociales durables…). Écolo et le PS sontd’accord. Reste à le mettre en œuvre. Voici les propositions du mouvement :
> «Un véritable statut complémentaire doit être créé pour les personnes qui ne relèvent pas de la convention de Genève :déplacés de guerre, victimes de violence ou personnes craignant pour quelque raison que ce soit pour leur sécurité.
> Une régularisation de type structurel doit être mise en place, sur la base de la jurisprudence des chambres, notamment en ce qui concerne les cas médicaux et les personnesayant développé des attaches durables dans notre pays.
> ne instance permanente pourrait être créée à cet effet, sur le modèle de la Commission, avec un pouvoir d’avis ou de décision.»
Des propositions qui ont peu de chance d’aboutir sous cette législature-ci, aucun travail législatif n’étant envisageable tant que le gouvernement est divisésur la question de l’asile. La régularisation sera-t-elle alors un enjeu électoral ? «Nous comptons bien mettre la pression», menace Yves Caelen.
Il reste aussi à voir comment le MNRSPR pourra acquérir un nouveau souffle pour lancer la mobilisation, une nouvelle plateforme de mobilisation est actuellement en constitution.
« Le point de départ de la création de cette plateforme, explique Yves Caelen, réside dans la conviction commune des associations membres du Ciré que :
> La loi de 1980 n’est plus adaptée aux nouvelles réalités migratoires
> Le droit d’asile doit être non seulement administré avec une plus grande équité, mais aussi réformé en profondeur et, en particulier,dépasser le cadre de la seule convention de Genève.
> Quel que soit leur cadre, les migrations ont besoin d’un statut clair fixé par des règles bien définies.»
Le contenu de ses revendications fait en ce moment l’objet de discussions régulières, un programme d’action complet devrait être présenté à larentrée.
===============================================
Régularisation : Yvan Mayeur interpelle les autorités fédérales
ýu CPAS de Bruxelles-ville, le constat du MNRSPR est partagé. Lors d’une conférence de presse organisée le 15 mai dernier, Yvan Mayeur, président du CPASdénonçait les dysfonctionnements de la procédure de régularisation, loin d’être selon lui la panacée…
La situation à Bruxelles-ville
Le nombre de demandes de régularisation se chiffre à 2.800 sur le territoire de la ville (sur 37.000 pour toute la Belgique). À la mi-avril, 1.902 dossiers ont ététraités et acceptés, 177 ont été refusés. Il en reste encore 721 à traiter. «Cela à des répercussions qui ne sont pas anodines pour leCPAS, déclare Yvan Mayeur. À la suite de la régularisation, 1.022 dossiers ont été ouverts, qui concernent 1.826 personnes2. Actuellement, le CPAS aide 1.711personnes régularisées3. En trois ou quatre mois, nous avons dû faire face à un afflux de demandes. Nos assistants sociaux sont submergés. Le gouvernement nous avaitpromis de mettre du personnel à disposition. Nous n’avons toujours rien vu venir…»
Le CPAS de la ville a depuis plusieurs années augmenté le nombre de ses assistants sociaux qui sont passés de 80 à 130. «Je ne vois pas comment je pourrais faire uneffort supplémentaire, poursuit Yvan Mayeur. J’applique la norme d’un assistant social pour 65 dossiers. Pour les régularisés, je demande un assistant social pour 100dossiers. Je suis donc généreux avec le gouvernement.»
Aide médicale d’urgence : insuffisant!
Autre problème tout aussi préoccupant et soulevé par le président du CPAS de Bruxelles-ville : que fait-on avec les réfugiés qui ne rentrent pas dans lacatégorie des régularisés? Ils n’ont pas droit à l’aide sociale, seulement à l’aide médicale d’urgence qui est loin de couvrir tousles besoins. Que faire alors quand c’est un peu moins qu’urgent? Les cas de conscience du personnel des CPAS se multiplient. Ainsi le docteur Paul Dierckx, médecin directeur àl’hôpital St-Pierre, déclarait lors d’une interview accordée à nos confrères du JT de la RTBF le 19 mai dernier : « On est évidemment un petit peugêné de laisser partir des malades sachant que s’ils arrêtent leur traitement parce qu’ils n’ont pas pu l’obtenir dans les filières classiques, ils risquent derécidiver, de présenter des problèmes médicaux extrêmement graves. C’est un problème déontologique, un problème humanitaire, médical.Laisser sortir un homme tuberculeux tout en sachant qu’il va cruellement manquer de soins dehors, c’est dur, on a donc tendance à le garder le plus longtemps possible à l’hôpital,avec le coût que ça entraîne et que les CPAS assument difficilement. Les bénévoles et les fonds privés doivent souvent prendre le relais. Mais ce n’est pasuniquement une question de moyens.»
Yvan Mayeur poursuit : «Nous devons choisir entre deux valeurs, soit respecter la loi, valeur importante ou une autre valeur qui est de soigner les êtres humains et venir en aide auxêtres humains. Laisser des gens avec des infections lourdes dans la nature, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne solution pour la santé publique. Mais au-delà des enjeuxmoraux, il y a sans doute des enjeux politiques. Je crois que le calcul cynique de certains au gouvernement est de ne pas venir en aide aux personnes, de ne pas leur accorder le moindre soutien si cen’est l’aide médicale mais dans la situation d’urgence de manière à décou
rager le plus possible de gens de venir en Belgique.» Une situation qui a desrépercussions non négligeables à l’hôpital Saint-Pierre. En 2001, 22% de la population qui est passée à la garde ne bénéficiait pasd’une couverture sociale. Ce qui signifie qu’un cinquième des patients ne paient rien. Pour remédier à cette situation, Yvan Mayeur propose d’étendre lanotion d’urgence au suivi médical et social. Le problème se présente souvent dans toutes les grandes villes du pays. Un problème aux solutions difficiles maisparfois urgentes.
===============================================
1 Ciré, rue du Vivier, 80-82 à 1040 Bruxelles, tél. : 02 644 17 17 ou 02 629 77 11, fax : 02 646 85 91 ou 02 629 77 33, courriel : cire@brutele.be ou cire@skynet.be site :http://www.cire.be
2 Le plus grand nombre de dossiers de personnes régularisées actuellement aidées à Bruxelles-ville est constaté dans les quartiers Blaes, Béguinage etDan-Bodeghem, ce qui représente le centre du Pentagone.
3 Les dossiers des personnes régularisées qui sont actuellement aidées par le CPAS de Bruxelles-ville concernent 187 familles (personnes cohabitant, parents isolés,couples avec enfants) et 315 personnes isolées. Dans les 187 familles, il y a 328 enfants mineurs.

Thomas Lemaigre

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)