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Regard critique · Justice sociale

Nouveau décret pour les entreprises d'insertion

Il est entré en vigueur le 31 janvier 2013. Que contient-il et quelles seront ses conséquences ?

01-03-2013 Alter Échos n° 355

Il est entré en vigueur le 31 janvier 2013. Que contient-il et quelles seront ses conséquences ?

Nouveau décret, nouveaux enjeux ? Voire. Si le nouveau texte a été voté le 19 décembre dernier par le parlement wallon, ses conséquences semblent néanmoins plus répondre à un besoin d’ajustement du système qu’à une véritable envie de révolution. Et ce même si AtoutEI1, la fédération des entreprises d’insertion, parle d’un texte qui serait « plus qu’une simple réforme. Il y a beaucoup de changements ». Quels sont ces changements ? En opérant une sélection forcément subjective, on peut ainsi citer la suppression de la subvention de démarrage qui permettait notamment de couvrir partiellement la rémunération du chef d’entreprise, la fin de la dégressivité des subventions public-cible ou encore la liquidation des subventions.

Des modifications opérées afin d’éviter certains abus (la subvention de démarrage aurait engendré des effets d’aubaine), mais aussi de professionnaliser et de mieux définir le secteur. « Certaines notions évoquées dans le décret de 2003 comme l’accompagnement social, la tension salariale, la notion de chef d’entreprise n’étaient pas clairement définies. Ce qui a posé soit des problèmes d’interprétation au niveau de la Commission d’agrément comme au niveau de certaines EI, soit un biais juridique lors de recours introduits suite à un refus d’agrément ou de renouvellement d’agrément », nous explique-t-on au cabinet de Jean-Claude Marcourt (PS), ministre de l’Economie de la Région wallonne. Certaines nouvelles définitions ont été inspirées directement par des règlements européens, comme le RGEC (règlement général d’exemption par catégorie), en ce qui concerne les définitions relatives au public cible, maintenant défini et « classé » comme travailleur « défavorisé » ou « gravement défavorisé ».

Une histoire de PME

Si l’on parle du RGEC, c’est que celui-ci définit également ce qu’est une petite ou une moyenne entreprise (voir encadré) et que le précédent décret relatif aux EI mentionnait que le fait d’être une petite entreprise était « l’une des conditions d’agrément et de renouvellement d’agrément des entreprises d’insertion », d’après le cabinet de Jean-Claude Marcourt. Or « une grande majorité des EI agréées se sont progressivement écartées de la définition de la petite entreprise ». Concrètement, celles-ci dépassaient régulièrement la limite des 50 travailleurs. Décision a donc été prise d’élargir la possibilité d’agrément aux moyennes entreprises (limite à 250 travailleurs). Il était donc « impératif de modifier le décret pour se conformer à la nouvelle définition de la PME, telle que préconisée par le RGEC », explique-t-on au cabinet.

Dans son article 2 de l’annexe I, le RGEC stipule que :

– La catégorie des micro, petites et moyennes entreprises (« PME ») est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan annuel n’excède pas 43 millions d’euros.

– Dans la catégorie des PME, une petite entreprise est définie comme une entreprise qui occupe moins de 50 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total du bilan annuel n’excède pas 10 millions d’euros.

Une modification qui pourrait aussi trouver son origine dans la volonté de ne pas mettre de côté certaines grosses structures paracommunales. Comme les ALE, qui devraient être bientôt régionalisées ? C’est ce qu’on pense notamment du côté de Michel Thomas, administrateur délégué de deux EI – « Couleur terre »2, actif dans l’écoconstruction et « La coopérative de la savonnerie », titres-services. « Pour nous en tous cas, le problème de la taille ne s’est jamais posé, explique-t-il. C’est plutôt une question qui concerne quelques grosses EI actives en titres-services près des centres urbains. Il s’agit d’enjeux plus liés aux pouvoirs publics. On a juste reculé la limite. »

Et notre interlocuteur d’évoquer certaines des conséquences, plus concrètes, du nouveau texte sur le secteur. Une des celles-ci concerne le capital de base à mettre pour pouvoir prétendre au subventionnement, qui passe de 6 200 euros à 18 600 euros. « Nous allons devoir recapitaliser », dit-il. Une autre concerne le fait que les conseils d’administration des EI devront désormais compter comme membres exclusivement des personnes physiques n’étant ni conjoints ni cohabitants légaux d’autres administrateurs au sein de ce conseil et n’ayant entre elles aucun lien de parenté aux premier et deuxième degrés, avec un minimum de cinq personnes. A propos de cette mesure, AtoutEI déclare d’ailleurs que « cela va très loin, plus loin que ce que préconise le code des sociétés ».

Enfin, le public-cible n’étant plus subventionné (après quatre ans) pourra toujours être comptabilisé dans le quota de public-cible à prendre en compte pour la subvention des postes d’accompagnateurs sociaux. Ce qui n’était pas le cas avant. Une mesure qui permet « d’éviter une tentation de turn-over forcé, au niveau du public-cible, qui pouvait exister et pérenniser les postes des accompagnateurs sociaux », d’après AtoutEI. Ce que salue Michel Thomas, tout en soulignant que la Région « met beaucoup en place pour éviter le turn-over alors qu’on peut aussi voir celui-ci de manière parfois positive, en considérant les EI comme des tremplins vers autre chose. »

« Un peu de recul sur l’économie sociale d’insertion… »

C’est une chose de dire que les entreprises sociales sont un champ d’innovation, encore faut-il trouver le recul pour digérer les leçons à en tirer. C’est ce que propose l’ouvrage « Entreprise sociale et insertion. Une perspective internationale », codirigé par Marthe Nyssens, professeure à l’UCL3.

Qu’est-ce que l’économie sociale apporte aux dynamiques d’insertion professionnelle ? L’entreprise sociale va-t-elle plus loin que la combinaison de ressources publiques et marchandes ? Quelles sont les différentes manières dont les pouvoirs publics utilisent ses potentialités ? Et comment cela impacte-t-il le développement de ces entreprises ? Ces questions sont revisitées avec de nouveaux apports théoriques.

Le long chapitre consacré aux entreprises sociales wallonnes rassemble divers résultats de recherche, rappelant des réalités comme la plus-value réelle des subventions EI pour ouvrir des postes de travail aux publics les plus éloignés de l’emploi ; les difficultés d’insertion durable des personnes qui sortent de ces entreprises ; ou encore les spécificités et limites du modèle d’EI en titres-services. Les auteurs insistent également sur un modèle d’économie sociale d’insertion plus discret : celui d’asbl qui subsistent hors des agréments régionaux grâce aux points APE, et qui mobilisent jusqu’à un tiers de ressources non monétaires pour développer des services à destination de publics défavorisés.

Dans leurs conclusions, les auteurs ne nous disent pas que l’entreprise sociale va remettre 15 % des chômeurs au travail demain ! Par contre, au moment où les modèles économiques classiques avouent leur faillite à penser une sortie de crise, il est enthousiasmant de voir comment ces chercheurs rejoignent les efforts de centaines d’entrepreneurs alternatifs. Et peuvent les nourrir et les inspirer.

Dir. L. Gardin, J.-L. Laville et M. Nyssens, « Entreprise sociale et insertion », Desclée De Brouwer, Paris, décembre 2012.

1. AtoutEI :
– adresse : rue du Téris, 45 à 4100 Seraing
– tél. : 04 330 39 86
– site : http://www.atoutei.be
2. Couleur terre :
– adresse : faubourg Saint-Martin à 5570 Beauraing
– tél. : 082 71 10 52
– courriel : info@couleurterre.be
– site : www.couleurterre.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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