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Regard critique · Justice sociale

Maisons de jeunes et AMO : en quête de transversalité

Une étude, une interview et une expérience de terrain. Tout ça pour parler de transversalité entre maisons de jeunes et services d’aide en milieu ouvert.

29-08-2011 Alter Échos n° 320

A la demande de la ministre de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse, l’Institut de recherche, formation et action sur les migrations (Irfam)1 a publié une recherche surla transversalité entre maisons de jeunes et services d’aide en milieu ouvert (AMO). Interview, résumé et éclairage de terrain sur ces ponts jetés entre deuxsecteurs qui ne se connaissent pas toujours bien.

Alter Echos : La recherche de l’Irfam propose des balises méthodologiques pour la valorisation de la transversalité. Elle part d’un présupposé positif sur latransversalité et d’expériences réussies. N’est-ce pas un biais méthodologique écartant d’emblée des difficultés, voire des réticences ou descraintes qui peuvent s’exprimer sur le terrain, entre les deux secteurs ?

Patricia Alen, chargée de recherche et formation à l’Irfam : Le souhait de la ministre était effectivement de partir de pratiques positives pour voir ce qui avaitpermis la réussite de ces partenariats. Nous parlons d’ailleurs à propos de ces expériences « d’accidents positifs ». Nous n’avions pas la prétentionde dire que ces exemples étaient représentatifs des deux secteurs. Mais nous avons tout de même tenté d’éviter l’écueil que vous mentionnez enprocédant en deux temps. Tout d’abord, l’analyse en profondeur de projets positifs, impliquant des rencontres avec des acteurs qui travaillent en transversalité depuis longtemps. Puisnous avons lancé une série de cinq séminaires ouverts à tous les acteurs concernés en Communauté française afin de confronter ces expériencesà la réalité des secteurs. Ainsi, nous avons pu pointer des freins à la transversalité comme, par exemple, la crainte de perdre son territoire ou son public entravaillant avec une autre structure. Pour y parvenir, il a fallu prendre le temps, dépasser la langue de bois et les appartenances de secteurs très politisés. Mais dansl’ensemble, les acteurs ont joué le jeu.

Etude de l’Irfam : des ingrédients pour une transversalité digeste ?

« Maisons de jeunes – Services d’aide en milieu ouvert : co-construire des transversalités sectorielles pour une meilleure valorisation desdiversités », est le titre un peu long de la recherche menée par l’Irfam à la demande de la ministre de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse EvelyneHuytebroeck (Ecolo).

On peut lire dans cette recherche que des partenariats entre ces deux types de structures existent depuis des années, mais qu’ils sont « peu ou pas soutenus, valorisés,régulés ou pérennisés. » Le postulat de départ est que la transversalité est un objectif à poursuivre. Mais attention, ajoutent les auteursde l’étude, « si l’approche du jeune dans sa globalité est sans conteste une priorité, la transversalité en matière de jeunesse ne doit pas êtrelimitée aux éventuels tandems AMO/MJ. »

Les objectifs de cette recherche étaient « d’analyser les facteurs de réussite ou d’échec dans les collaborations entre AMO et MJ ».

Les chercheurs étaient épaulés par un comité d’accompagnement composé d’acteurs-clés du monde de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse ainsi quedes fédérations représentatives du secteur. Mais ce sont surtout douze expériences « positives » de transversalité entre AMO et MJ qui ontété épluchées à l’occasion de plusieurs rencontres de terrain. Enfin, cinq séminaires ouverts à l’ensemble des deux secteurs concernés ontété organisés.

Dans un premier temps, un diagnostic des partenariats transversaux est posé. Les partenariats, selon l’Irfam qui synthétise l’avis des acteurs rencontrés, « placentle jeune au centre des actions », permettent de « répondre à la demande du jeune dans le respect de la complémentarité des missions dechacun » et « d’élargir la palette des activités et accueillir de nouveaux public ».

L’Irfam relève des conditions de réussite des projets de transversalité et notamment la « volonté de travailler ensemble, la bonne connaissance de la missionet des rôles de l’autre secteur, la proximité géographique, des formations communes, voire certains appels à projets facilitateurs. »

Des freins sont aussi soulignés, comme « les différences de salaire et de conditions de travail, les différences de publics et de tranches d’âge (les AMOaccueillent des jeunes mineurs alors que les maisons de jeunes sont compétentes pour la tranche douze/vingt-six ans) ou l’esprit de méfiance liée à la course auxsubsides. »

De ces constats, l’Irfam a émis quelques recommandations à destination des structures elles-mêmes, des fédérations et du politique. Citons à titred’exemple : « Mettre en débat la définition du cadre des partenariats, professionnaliser et formaliser la transversalité (notamment via des formations communes),favoriser la transversalité via des subventions structurelles ou conjoncturelles, mener une réflexion de fond sur les salaires, les tranches d’âge, coordonner les politiques etinscrire les actions dans la durée et le temps. »

AE : Avec cette méthodologie, vous avez donc pu confirmer votre point de vue positif sur la transversalité…

PA : L’hypothèse de départ c’est que la transversalité offre une plus-value, c’est « 1 + 1 = 3 ». Mais cette plus-value ne peut exister quedans certaines conditions (volonté de travailler ensemble, respect du secret professionnel, compréhension des missions de l’autre secteur, etc.) et surtout lorsque les partenariats sontpérennisés. Dans ces conditions, il y a une plus-value pour les structures, pour le personnel et pour les jeunes.

AE : Pour les jeunes, quelle est cette plus-value?

PA : Nous n’avons pas mené une consultation des jeunes pour connaître leur perception. Néanmoins, nous avons pu identifier les impacts indirects de partenariatsAMO/MJ sur les jeunes à travers une série d’exemples et d’observations récurrentes des acteurs de terrain. Ces impacts sont presque tous positifs : mixité despublics, ouverture vers d’autres compétences, lutte contre les replis identitaires, apprentissage de la mobilité, réponse adaptée aux besoins diversifiés. Car lesmissions des AMO et des MJ se complètent bien.

AE : Une transversalité positive pour tout le monde… pourtant on entend souvent s’exprimer, dans le secteur Jeunesse, une certaine frustration vis-à-vis d’unetransversalité versatile. Appels à projets avec la culture, puis avec l’insertion socio-professionnelle, puis avec l’aide à la jeunesse en fonction des compétences desministres…

PA : Il est vrai que
les MJ, mais aussi les AMO, ont relayé ce sentiment. Un coup, on leur dit : « vous en faites trop avec le secteur de la culture », ou« pas assez avec l’enseignement ». Lors de nos entretiens avec le cabinet de la ministre nous avons noté une réelle volonté de pérenniser lacollaboration au-delà d’une législature. La recherche donne des pistes en ce sens. Par ailleurs, nous avons posé un constat : la transversalité doit êtreenvisagée de façon plus large, impliquant d’autres secteurs.

Les missions des acteurs

Services d’aide en milieu ouvert (AMO). Ces services font partie du secteur de l’Aide à la jeunesse et s’adressent donc aux jeunes « en difficulté ». Ilsproposent une aide à visée préventive pour des mineurs. Cette aide se décline de trois manières : aide individuelle, aide sociale et éducative ettravail communautaire, sans que ces dernières ne deviennent un objectif en soi. En gros, c’est l’aide individuelle qui prime afin d’éviter la dégradation de l’environnementsocial et familial du jeune.

Maisons de jeunes (MJ). Elles font partie du secteur « Jeunesse » et ont pour objectif de développer chez les jeunes une « citoyenneté critique,active et responsable ». « L’accueil et la participation du public à la réalisation d’actions collectives et d’animations d’activitéssocioculturelles » font partie de leurs missions. Tout jeune de douze à vingt-six ans peut participer aux activités d’une MJ.

AE : Les différences de point de vue entre fédérations ont-elles posé problème ? Par exemple entre la Fédération des centres de jeunes enmilieu populaire plus axée sur le travail social et la Fédération des maisons de jeunes dont l’ADN la rapproche du secteur culturel ?

PA : Il y a ces différences, mais elles n’ont pas posé problème. Au contraire, le fait de voir des fédérations importantes du monde de la jeunesse etde l’aide à la jeunesse autour de la table était très positif. Cela n’a jamais été évoqué dans les freins, par contre, on note certaines divergencesdans les recommandations. Une fédération s’est positionnée en faveur d’un cadre légal favorisant la transversalité alors que l’autre rejetait cette proposition,à l’image des acteurs de terrain. Ces derniers avaient justement peur que cette recherche cache un agenda secret de la ministre visant à contraindre les collaborations. Ce qui n’estabsolument pas le cas. L’Irfam ne propose pas un tel cadre légal dans ses recommandations.

AE : Des critiques ont-elles été émises contre la logique d’appels à projets transversaux qui met en concurrence les structures pour peu de moyens et quifavorise en plus des partenariats de court terme ?

PA : Oui, parfois… mais d’autres ont insisté sur le fait que de tels appels à projets peuvent enclencher une bonne collaboration. Pour dépasser cette logique du« one shot », pourquoi ne pas imaginer des appels pluriannuels renforçant les liens sur la durée ? C’est en tout cas une proposition qui est faite dans larecherche.

AE : Y aura-t-il des suites concrètes à cette recherche ?

PA : La plupart des personnes rencontrées semblent satisfaites de cette recherche qui va servir de tremplin pour une série d’actions. Je pense qu’il y a beaucoup àfaire au niveau de l’information et des formations communes entre les deux secteurs. Un des freins à la transversalité est une méconnaissance mutuelle entre AMO et Maisons dejeunes. D’autres points devraient être discutés : une meilleure coordination entre administrations, ainsi qu’au niveau des inspections. L’harmonisation des grilles barémiquesaussi devrait être discutée, voire des tranches d’âges pour lesquelles ces structures sont compétentes. Notre proposition est que, dans certains cas, les cadresréglementaires soient modifiés, lorsqu’ils limitent les actions communes. Il s’agit en tout cas de ce que nous recommandons.

A Comblain-au-Pont, les jeunes font leur cirque

Cela fait maintenant trois ans que la maison de jeunes L’Aventure2, à Comblain-au-Pont, propose son atelier cirque. Les jeunes de la MJ apprennent les techniques etinvestissent des lieux publics pour des représentations. Pour Alain Gabriel, l’animateur principal de la Maison de jeunes, « le cirque a une réelle importance pour certainsjeunes. Ils se sentent valorisés ». Certains des participants ont acquis une expertise en matière de techniques du cirque qui leur permet, toujours selon Alain Gabriel,« d’initier d’autres jeunes ».

De son côté, le service d’aide en milieu ouvert (AMO) La Teignouse3, habituée aux partenariats avec la MJ, a tout de suite vu une utilité pour son public dese lancer dans les jongleries et autres clowneries de rue. « Quand les jeunes sont en rue, les habitants les voient comme bruyants et fauteurs de troubles, explique VéroniqueDetaille, la directrice de l’AMO. Le cirque permet d’occuper la rue de manière positive et c’est aussi un moyen de valoriser les jeunes tout en leur apprenant des techniques variées quiimpliquent la concentration et la découverte de talents. » Le partenariat s’est donc noué en toute logique. Les jeunes de la MJ enfilant le costume d’instructeursauprès des jeunes de l’AMO. Après quelques sessions d’apprentissage, les jeunes se sont confrontés au public lors de prestations estivales.

Une trentaine de jeunes se sont investis cet été dans ces ateliers cirque, tant à Comblain-Au-Pont qu’à Aywaille. Cet évènement a étépartiellement financé par l’appel à projet « histoires croisées » lancé par la ministre de l’Aide à la jeunesse Evelyne Huytebreock (Ecolo),mais la MJ et l’AMO n’ont pas attendu cet appel pour travailler ensemble. Cette collaboration relève de l’évidence pour Alain Gabriel : « On trouverait dommage qu’unemaison de jeunes et une AMO dans le même quartier se tirent dans les pattes. »

« L’idée de projets transversaux, c’est de mutualiser les ressources, affirme Véronique Detaille, et nous avons une longue expérience en lamatière ». Pour la directrice de La Teignouse, une transversalité qui fonctionne doit s’inscrire dans la durée : « C’est bien sûr leproblème des appels à projets, ils sont limités dans le temps. Mais ils peuvent aussi inciter à travailler ensemble ; pour certains, ça peut casser desbarrières. Nous avons toujours pratiqué la transversalité car en milieu rural, on n’a pas vraiment le choix. Mais il faut être clair sur son rôle et sonidentité, alors les jeunes sauront ce qu’est une AMO, ce qu’est une maison de jeune, il n’y aura pas de confusion. »

Crédit photo : Agence alter

1. Irfam :
– adresse : rue Agimo
nt, 17 à 4000 Liège
– tél. : 04 221 49 89
– site : www.irfam.org

2. Maison de jeunes L’Aventure :
– adresse : clos Nolupré, 4 à 4170 Comblain-au-Pont
– tél. : 04 369 44 64
– courriel : mjlaventure@belgacom.net

3 La Teignouse AMO :
– adresse : clos Nolupré, 17c à 4170 Comblain-au-Pont
– tél. : 04 369 33 30
– site : www.lateignouse.be
-courriel : amo@lateignouse.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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