La Tente des Glaneurs: fin de marché solidaire

La Tente des Glaneurs: fin de marché solidaire

Environnement/territoire

La Tente des Glaneurs: fin de marché solidaire

«Jeter, c’est jeté. Donner, c’est mangé.» La Tente des Glaneurs est née un dimanche de Noël, au marché de Wazemmes, à Lille, en 2010. Elle redistribue, à la fin du marché, du pain, des légumes et des fruits qui ne correspondent plus aux critères de vente mais sont parfaitement comestibles. Manière de mêler développement durable et lutte contre la précarité alimentaire. Même des fleurs sont sauvées de la poubelle. Étudiants, retraités, sans domicile, migrants, salariés pauvres font chaque dimanche la file pour remplir leur panier, mais aussi pour prendre l’air, discuter, échanger des sourires.

 

Julie Luong Images : Marie Leprêtre 05-03-2019

À l’origine de la Tente des Glaneurs, il y a Jean-Loup Lemaire, ex-cuisinier gastronomique reconverti en glaneur solidaire. «Avant, je donnais à manger aux riches, maintenant je donne richement à manger», aime à dire cet idéaliste fort en gueule, doté d’un sens de l’organisation sans failles. Une dizaine de Tentes existent aujourd’hui sur le territoire français et le projet, désormais marque déposée, pourrait prochainement s’implanter à Mons et Tournai.

Il est un peu plus de 11 h ce dimanche de février lorsque commencent à se réunir les premiers glaneurs au QG de la Tente, dans la cour de la mairie de Wazemmes, quartier populaire de Lille. Comme chaque semaine, Jean-Loup Lemaire, gilet avec logo sur le dos, est aux commandes. Enfant adopté, cet ex-cuisinier gastronomique a toujours fait du bénévolat, notamment pour les Restos du cœur où il œuvre depuis 27 ans.

« Sur 100% des produits qu’on fait entrer sur un marché en France, on peut en jeter jusqu’à 42%. »

En 2010, il décide d’ouvrir la première Tente des Glaneurs, dans l’idée d’étendre la récupération alimentaire des invendus – déjà autorisée en petites, moyennes et grandes surfaces – aux marchés, lesquels demeurent en France une institution et un lieu de sociabilité important. «Sur 100% des produits qu’on fait entrer sur un marché en France, on peut en jeter jusqu’à 42%. À Wazemmes, par exemple, le marché se tient le dimanche, le mardi et le jeudi. Mais le mardi, la plupart des denrées du dimanche ne seront plus bonnes pour la vente et partiront à la poubelle.»

Le bobo dans la file

Depuis, Jean-Loup Lemaire est devenu un personnage plutôt médiatique. Ce matin même, il avait rendez-vous avec des journalistes de Libé. En mars, un reportage de 18 minutes consacré à la Tente des Glaneurs sera diffusé sur TF1. Élu du conseil de quartier de Wazemmes, l’homme participe aussi tous les jeudis aux débats sur la loi anti-gaspillage à l’Assemblée nationale. Il lui arrive aussi d’intervenir au sein des institutions européennes, sans compter les colloques et manifestations divers auxquels il prend part. «Je passe une fois par mois dans les médias», résume-t-il sans déplaisir. C’est que Jean-Loup parle bien, fort et cash, le tout pour la bonne cause. Il ne manque pas non plus de réseaux, en bons termes avec la maire de Lille Martine Aubry, à l’aise pour tenir tête aux commerçants comme aux politiques.

Du logo à l’esthétique des étals, en passant par les vidéos plutôt pros de sa page Facebook, il semble doté d’un vrai sens de la com. Mais si l’homme aime le beau et le bon sens, ne lui dites surtout pas qu’il est dans l’air du temps. La Tente des Glaneurs, il l’a d’abord imaginée – neuf mois durant, le temps de roder le projet de A à Z – pour les gens qui ont faim, certainement pas pour soulager la culpabilité des bobos qui s’inquiètent du sort de la planète. L’aspect développement durable, s’il fait partie de la démarche, ne peut être coupé de cette réalité: chez nous, des gens continuent d’avoir des difficultés pour se nourrir et nourrir leurs enfants. «S’il y a un petit bobo qui vient dans la file pour manger à l’œil, il tient entre 7 et 11 minutes et ensuite, il s’en va tout seul. Parce que s’il vient par idéologie, il va se rendre compte qu’autour de lui, ce sont des gens qui ont faim et que ce n’est pas sa place. Il reste peut-être en tout et pour tout 1% de connards mais je ne vais pas fermer pour 1% de connards alors que 99% en ont besoin.»

Tel est le ton de Jean-Loup – raccord avec ce fond de colère où s’ancre souvent la générosité. Avec la Tente des Glaneurs, l’ex-cuisiner a voulu atteindre une frange de la population oubliée, ces citoyens qui échappent encore et toujours à l’aide alimentaire, «soit parce qu’ils éprouvent un sentiment de honte quand ils se présentent, soit parce qu’ils n’entrent pas dans les barèmes». Comment expliquer autrement, d’ailleurs, que l’on voie encore des gens fouiller les poubelles, un acte qui – si l’on s’y arrête deux secondes – serait impossible pour qui n’y serait pas contraint par la survie? C’est pourquoi la Tente des Glaneurs ne demande aucun papier, aucune preuve, aucune justification.

Tout le monde vient en confiance, et tant pis pour les accusations d’assistanat que doit encaisser Jean-Loup Lemaire de temps à autre. «Pour ouvrir une Tente, il faut d’abord faire comprendre aux commerçants que ce n’est pas un marché parallèle où leurs clients potentiels viendraient manger à l’œil. J’ai donc expliqué un par un aux commerçants qu’avec moi, ils allaient gagner de l’argent trois fois. D’abord, sur la taxe d’ordures qui s’élève à 100 ou 150 euros la tonne: moins ils jettent, moins ils paient. Ensuite, parce que s’ils sont identifiés commerçants solidaires, les gens vont préférer acheter chez eux plutôt que chez les autres. Enfin, parce qu’on fait avec eux de la survente, qui consiste à acheter chez eux quelque chose qu’on donne à une association. Si après ça, ils ne voient pas l’intérêt…».

Ce modèle pensé dans ses moindres détails, Jean-Loup Lemaire l’a déjà implanté dans une dizaine de villes françaises, notamment à Paris, Grenoble et Strasbourg. «La Tente des Glaneurs, une ‘association concept marque franchisée déposée de redistribution exclusivement gratuite sur les marchés de France et d’Europe’. Cela me permet d’ouvrir des franchises et d’avoir une homogénéité, que toutes les Tentes fassent pareil et qu’elles fonctionnent à partir d’une charte éthique du collaborateur bénévole et d’une charte éthique des accueillis. D’ailleurs, chaque équipe qui ouvre une Tente en France doit d’abord venir se former à Lille.» Et d’en appeler aux amis belges, chez qui Jean-Loup Lemaire espère s’implanter, une fois identifiés des coordinateurs motivés.

Des fruits et des fleurs

Dans la cour de la mairie de Wazemmes, il est midi trente et les bénévoles sont plus qu’au complet. «Pour que cette Tente, qui est la plus grosse de France, puisse fonctionner, j’ai besoin d’environ quinze bénévoles. Et j’en ai largement plus. Pourquoi? Parce que j’ai mis en place un bénévolat à la carte. Vous vous inscrivez dans un système Doodle et vous venez quand vous pouvez, pour quelques heures, une fois par semaine ou une fois par mois. C’est moderne, tout simplement», explique Jean-Loup Lemaire, pour qui le bénévolat classique, par ses contraintes d’horaire, éloigne beaucoup de volontaires potentiels. Puisque tout le monde est là, le temps est venu de se présenter. Comme aux Alcooliques anonymes, mais dans de grands fracas de rire. «– Je m’appelle Julie, je suis journaliste. – Bonjour, Julieeee.» Les équipes, très rapidement, se forment. Tout est rodé, chacun sait ce qu’il doit faire, quel est son parcours, et qu’il faut aller vite si l’on veut avoir fini pour 14 h, heure de la distribution.

Ce sera avec David et Jimmy. Dans les allées du marché, particulièrement animées en cette journée de grand soleil, il faut se frayer un passage avec le caddie encore vide. Le marché de Wazemmes est l’un des plus grands marchés d’Europe. Très multiculturel, il peut prendre sous certaines lumières des allures de souk, si ce n’étaient les jeunes couples à la mode de Paris, flanqués de poussettes et de bières spéciales en terrasse. David a exercé un peu tous les métiers, de cuisinier à agent de sécurité. Il est l’un des plus anciens bénévoles. Ses quinze jours de vacances annuelles, il les prend en fonction de la Tente. Il ne se défilerait pour rien au monde. Jimmy est le frère de Jean-Loup. «Dans notre famille catholique, aider les autres, ça a toujours fait partie de notre vie», explique ce doux gars à queue de cheval que ses camarades surnomment le Viking. Au premier arrêt chez un commerçant partenaire, les caisses s’empilent. Prunes, framboises, bananes, carottes, poivrons, dattes, grenades. Les couleurs claquent. «Le deal, c’est que 30% de ce que nous donnent les commerçants doit être consommable. Au-delà, ça devient peu avantageux de trier», explique Jimmy.

Nous repartons pour une autre tournée, avec Stéphanie. Doc Martens montantes et jupette évasée, Stéphanie a des allures d’étudiante, mais sur ses frêles épaules repose en réalité le bon déroulement des opérations puisqu’elle est «pilote de tente» et qu’en cette qualité elle doit superviser l’ensemble des étapes. «J’étais secrétaire de direction dans une agence Véolia. Je ne me retrouvais plus dans mon travail, j’avais l’impression qu’on n’était là que pour faire du pognon et j’ai fini par arrêter de travailler. Mon ancien colocataire m’a parlé de la Tente, je suis venue un jour pour voir et j’ai eu un vrai coup de cœur. Depuis, j’ai retrouvé un taf – je suis devenue assureure –, mais pour moi, ma vraie vie, ce qui lui donne du sens, c’est ce que je fais ici de manière bénévole.» Nous traversons les imposantes halles couvertes de Wazemmes pour rejoindre le quartier des fleurs. «J’ai aussi inventé la récupération des fleurs», nous racontait Jean-Loup Lemaire un peu plus tôt, soulignant que Yann Arthus-Bertrand avait particulièrement été touché par cette initiative. Chaque accueilli repartira tout à l’heure avec quelques tiges, pour dégriser un décor que l’on imagine souvent plombé.

La longiligne Iris, tresse par-dessus l’épaule et charme pince-sans-rire, pousse le caddie qui se remplit de boutons blancs, orange et roses. «Je suis d’abord venue à la Tente car j’avais des petits soucis pécuniaires. Comme je suis végétarienne et que les fruits et légumes sont la base de mon alimentation, ça devenait compliqué de se nourrir. Ne parlons même pas de manger bio et durable. Je suis venue quelques fois à la Tente et j’ai trouvé que tout était génial. Le concept, les gens. Tout est parfait», nous raconte cette étudiante en cinéma d’animation à Roubaix. Son cas, renseignements pris, est loin d’être une exception. À la Tente, il n’y a pas d’un côté les accueillis et de l’autre les bénévoles. Celui qui a reçu sera peut-être demain celui qui donne, par envie de rendre la pareille, et tout simplement parce que la galère de l’intérim s’est imposée dans bien des vies. L’équipe «fleurs» est encore complétée par un nouveau venu, Thierry, qui devrait accompagner la Tente des Glaneurs dans certains de ses développements à venir, côté business et stratégie. «Je suis un financier. La vie m’a beaucoup donné et j’ai envie de donner à mon tour, explique ce patron sensible à la démarche de Jean-Loup Lemaire. Je suis convaincu qu’il y a une relation à nouer entre les entreprises et les associations, nous explique le fondateur de la Tente des Glaneurs. On dit que les entreprises ne font que du pognon, mais en fait, à l’intérieur, on cantonne les individus à ce pour quoi on les a engagés. C’est pourquoi j’organise des ‘team buildings’ pour les entreprises. Cela permet de révéler les talents, de créer de la cohésion mais surtout de permettre aux gens de toucher au moins une fois dans leur vie à une action bénévole et de les sensibiliser à la solidarité alimentaire.»

Un sourire contre un cabas

L’heure du tri a sonné. Jean-Loup Lemaire tient à nous présenter un autre de ses bénévoles, Ali, 28 ans. Avec son français parfait et ses allures raffinées, Ali fait partie de ces Afghans aux airs asiatiques, qui doivent répondre à longueur de temps que non, ils ne sont pas des touristes japonais. Originaire de Ghazni, à 150 kilomètres au sud-ouest de Kaboul, Ali est arrivé en France en 2015 après une interminable traversée et un an de travail en Iran, dans une usine de marbre. En Afghanistan déjà, il a eu mille vies: policier, photographe amateur, bénévole dans une association de défense des femmes, auteur de livres politiques dont l’un, vendu alors à 15.000 exemplaires, lui a valu les graves ennuis qui ont précipité son départ. «Dès que je suis arrivé en France, j’ai voulu faire du bénévolat. J’ai toujours voulu faire ça: donner le sourire aux gens. J’ai découvert la Tente des Glaneurs et j’ai adoré.» Pour Jean-Loup Lemaire, la présence d’Ali parmi les bénévoles est un pied de nez à tous ceux qui l’accusent de «nourrir les migrants», la preuve ultime que «les migrants ne sont pas tous des salops» dans cette France qu’il soupçonne de devenir franchement raciste. Ali, lui, n’en reste pas moins sidéré de voir tant de misère dans ce pays qui n’est pourtant pas en guerre. «Jamais je n’aurais imaginé ça en arrivant en France. Au début, je pensais que toutes les personnes qui venaient à la Tente des Glaneurs étaient des migrants. Mais ce n’est pas du tout le cas.»

Très loin, même, d’être le cas, si l’on en croit la file qui commence à se former dans la cour de la mairie. «Avant, nous étions dans un autre lieu, mais il y avait le désavantage que la file se formait dans la rue, ce qui n’était pas sécurisant avec le passage des camions. Et puis, le fait que ce ne soit pas à rue est moins stigmatisant pour les accueillis, explique Jean-Loup Lemaire. Parmi les accueillis, on compte environ trois cinquièmes d’étudiants, un cinquième de retraités et tous ceux que j’appelle les chaos: familles monoparentales, salariés pauvres, SDF, des personnes sorties de prison, des migrants…» Quelques mères de famille portant le voile, plusieurs personnes avec des béquilles, un jeune homme en surpoids, des femmes âgées et pomponnées. «Pour beaucoup, la Tente, c’est la sortie de la semaine. Je l’ai aussi créée pour ça. C’est un relais social maquillé: les mecs se rasent et se coiffent, les femmes s’habillent et maquillent. Du coup, on me dit: tu es sûr qu’ils ont besoin? Mais oui, ils ont besoin. Seulement, c’est la sortie de la semaine. Parfois, à Noël ou pour un anniversaire, ils nous ramènent aussi des gâteaux, des confitures… alors qu’ils n’ont rien. Et si un collaborateur n’est pas là, ils vont s’inquiéter, demander où il est. C’est un peu comme une famille.» Jean-Luc, menu retraité portant casquette et s’exprimant avec la délicatesse d’un professeur de lettres, les connaît tous, les collaborateurs. Il vient chaque dimanche depuis des années. «La semaine dernière, j’ai eu un potimarron. Ça m’a fait toute la semaine.» Jean-Luc pourrait se plaindre du manque d’argent mais ce qui l’indigne, c’est de voir tant de jeunes dans la file. Et il nous parle de la marche pour le climat, en Belgique, car, malgré ses difficultés, il s’inquiète beaucoup pour l’avenir de la planète, que sa télévision lui prédit catastrophique. Il n’a rien d’un bobo, mais pour lui, la Tente, ce n’est pas seulement une aide alimentaire: c’est aussi une manière de lutter, avec les moyens du bord, contre les dérives de la surconsommation. Avant, il venait parfois glaner seul sur le marché de Wazemmes. Mais il préfère largement cette formule, qui lui permet de voir du monde. «C’est du cinquante-cinquante», résume-t-il: moitié pour se nourrir, moitié pour sourire.

«Un sourire contre un cabas»: telle est d’ailleurs la devise de la Tente des Glaneurs. «Ça fait partie de la charte de l’accueilli. Car je pense que, quand les gens sourient, ils oublient leur condition», avance Jean-Loup Lemaire. Le sourire est en tout cas facilité par l’organisation même de l’étal, qui permet à chaque accueilli de faire son choix et de parler à plusieurs bénévoles en en faisant le tour. «Dans les centres de distribution ordinaire, on ne regarde même plus les gens. On dit: t’es le numéro un tel et tu as droit à ça.» Les produits s’alignent du plus lourd au moins lourd. On commence par les pommes de terre, on poursuit avec le pain et les tomates, on embraie avec les framboises, et on finit par les fleurs. Pour chaque catégorie de denrées, il est possible de choisir une certaine quantité, selon la glane du jour. Un système de comptage «soviétique» permet cette juste redistribution. «Tout ce qu’on récupère est quantifié. On divise le poids de ce qu’on a récupéré par le nombre de personnes dans la file et on obtient le cabas virtuel. On offre ainsi la liberté du choix et 100% de la récolte est redistribuée équitablement. On préférera donner un poireau et une patate à tous plutôt qu’un kilo à un seul.»

Pendant ce temps, la pilote de tente, Stéphanie, s’assure que tout se déroule sans anicroche. Elle se charge aussi d’assurer un traitement spécial aux enfants, en les prenant à part pour leur donner de la brioche ou des bonbons. «Mon rôle, c’est aussi d’aiguiller les bénévoles en fonction des personnes. S’il y a une personne qui n’a pas de quoi cuire parce qu’elle est à la rue, c’est indécent de lui proposer chaque semaine des pommes de terre. Idem pour les personnes qui ont des régimes spéciaux.» En bonne fée, Stéphanie a aussi réservé un bouquet de fleurs plus important pour une des accueillies, qui les apprécie tout particulièrement. Elle consacre aussi du temps à cette mère, à qui l’on vient de retirer la garde de sa fille. «Nous faisons du social caché. Nous essayons de remotiver les gens, de les aiguiller, de les aider peut-être à retrouver un travail.» En deux heures, la redistribution sera accomplie, les étals rangés. Aujourd’hui, 374 cabas auront été emportés. Le chiffre, Jean-Loup Lemaire l’annonce comme chaque dimanche lors d’un débrief convivial avec petit blanc et tapenades. À nous, il demande trois mots pour résumer ce que nous avons vu aujourd’hui. «Incroyable mais vrai» vient à l’esprit. L’utopie, à petite échelle, fonctionne – à tout le moins un dimanche de soleil quelque part à Wazemmes.

Julie Luong

Julie Luong