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Les jardins à vocation sociale. À Liège, la Ferme de la Vache, à Bruxelles, les « Jardins Racines »

Connus et structurés depuis longtemps en France, en Suisse ou au Québec, les projets de jardins sociaux ou solidaires ont à leur tour fleuri ici et là en Belgique etfont aujourd’hui de plus en plus parler d’eux1. Leur objectif est principalement la réintégration sociale ou économique par le jardinage des publics lesplus fragilisés. Certains prennent simplement la forme d’un terrain mis à la disposition des habitants par le CPAS moyennant une petite cotisation annuelle. D’autresaccueillent des chômeurs ou des minimexés en mettant l’accent sur la reconstruction du lien social ou proposent des formations en lien avec le travail de la terre. ÀBruxelles, c’est une paysagiste qui a réinvesti les jardins de maisons de repos avec la participation des résidants. Liège, dans le quartier Pierreuse, le projet de laFerme de la Vache2, opérationnel depuis 1998, concilie quant à lui insertion sociale et citoyenneté en développant un partenariat actif avec le réseauassociatif du quartier. Portrait d’un projet social à actions multiples.

27-07-2005 Alter Échos n° 166

Connus et structurés depuis longtemps en France, en Suisse ou au Québec, les projets de jardins sociaux ou solidaires ont à leur tour fleuri ici et là en Belgique etfont aujourd’hui de plus en plus parler d’eux1. Leur objectif est principalement la réintégration sociale ou économique par le jardinage des publics lesplus fragilisés. Certains prennent simplement la forme d’un terrain mis à la disposition des habitants par le CPAS moyennant une petite cotisation annuelle. D’autresaccueillent des chômeurs ou des minimexés en mettant l’accent sur la reconstruction du lien social ou proposent des formations en lien avec le travail de la terre. ÀBruxelles, c’est une paysagiste qui a réinvesti les jardins de maisons de repos avec la participation des résidants. Liège, dans le quartier Pierreuse, le projet de laFerme de la Vache2, opérationnel depuis 1998, concilie quant à lui insertion sociale et citoyenneté en développant un partenariat actif avec le réseauassociatif du quartier. Portrait d’un projet social à actions multiples.

De la préformation au jardin collectif d’insertion

Financièrement soutenu depuis 1997 par le ministère des Affaires sociales de la Région wallonne, le projet est avant tout lié à un site, celui de la Ferme de laVache ; daté du XVIe siècle, le bâtiment, aujourd’hui intégré au patrimoine du CPAS de Liège, porteur du projet, est classé pararrêté depuis 1981 et fait actuellement l’objet d’un programme de restauration. « Au départ, le projet théorique consistait en la réalisationd’un centre de formation pour personnes minimexées avec trois axes de travail : redynamisation et préformation en jardinage de type biologique, insertion sociale etcitoyenneté-quartier », relate Julie Croonen, coordinatrice. « Mais nous nous sommes vite aperçus que cette formule classique “théorie-pratique”,réalisée en partenariat avec l’AIGS qui nous détachait un formateur une à deux journées par semaine était trop rigide et ne s’adaptait pas aupublic très fragilisé, au parcours parfois chaotique, qui était le nôtre. »

C’est à la suite de ce constat et grâce à l’apport d’autres expériences de jardins d’insertion déjà éprouvées hors denos frontières qu’en 1999 la formule fut revue dans une version plus souple, nommée « Jardin collectif d’insertion » : sept stagiaires – exclusivementbénéficiaires de l’aide sociale – qui, huit mois par an à raison de 20 heures par semaine et pour un euro de l’heure de prime d’encouragement, utilisaientle jardinage comme outil leur permettant de retrouver l’énergie nécessaire pour passer à autre chose. « Nous travaillions les bases », explique Julie Croonen :« Réapprendre à se lever le matin, à respecter un horaire, retrouver le goût de faire quelque chose, resocialiser les personnes isolées, réapprendreà être en groupe, en sachant que la pratique du jardinage offre tellement de variations qu’elle permet de s’adapter aux besoins de chaque individualité».

Le jardin gourmand

Pratiquée jusqu’à fin 2003 parallèlement à de multiples autres activités (de quartier, destinées aux enfants…), la formule du jardincollectif d’insertion, entre-temps mise en œuvre par d’autres opérateurs liégeois (comme avec le projet de la Bourrache, à l’initiative d’un ancienstagiaire de la Ferme de la Vache), s’est mutée en janvier de cette année en « jardin gourmand »3.

Ouvert à tous tout au long de l’année au même titre que les autres activités d’insertion de la Ferme4, le jardin gourmand est un atelier pratiquespécialement consacré aux différents travaux de saison au jardin selon un thème défini tous les deux mois. « Le but est de favoriser l’insertion etd’éviter les stigmatisations en créant une mise en avant du travail effectué et une mixité du public, tout en sachant que celui-ci reste majoritairementcomposé de personnes bénéficiant d’allocations et socialement défavorisées puisque les activités se déroulent en journée ».

Citoyenneté-quartier : jardins familiaux et tâble d’hôtes

Parallèlement à ce volet d’insertion sociale, le projet de la Ferme de la Vache se définit également par un objectif de citoyenneté, et adéveloppé différentes activités permettant « un important brassage social où les personnes, quel que soit leur statut social, peuvent se côtoyer sansclivages dans un environnement serein ». Parmi celles-ci, les jardins familiaux, soit 15 parcelles mises à la disposition des habitants du quartier qui ne possèdent pas de jardinet qui leur ont permis, moyennant une contribution aux frais de matériel, de construire un travail collectif productif et de tisser un véritable réseau d’entraide.

Autre activité conviviale de quartier, la table d’hôtes, ouverte tous les mercredis dans les locaux d’une ASBL voisine : elle permet aux habitants comme aux personnesextérieures de se rencontrer autour d’un repas à un prix modique concocté par un cuisinier d’un soir, encadré par deux travailleurs sociaux. Valorisation descompétences et du travail individuel plutôt que du statut social sont aussi les maîtres mots des ateliers peinture et jeux de société (en cours de réalisation)ou du Petit canard de la Ferme de la Vache, trimestriel d’information des activités de la Ferme dont les articles sont rédigés par les membres des équipes.

Enfin, aboutissement de ces deux grands axes, « Oh près de la Vache », comptoir de distribution des légumes cultivés dans les jardins5, a ouvert sesportes voici un an, à titre de projet social et de quartier : chômeurs, bénéficiaires d’allocations sociales comme habitants du quartier peuvent y acquérirà des prix modulés légumes de saison, quiches, soupes, conserves ou confitures. À terme, ce projet pilote d’économie sociale devrait déboucher, avecl’aide d’autres personnes du quartier, sur l’ouverture d’une épicerie.

Les jardins des maisons de repos transformés en lieux de vie avec « Jardins Racines »

Paysagiste et architecte de jardin, Charlotte Dufour1 s’est transformée depuis quelques années en animatrice de jardin auprès des personnes âgées dans lesmaisons de repos et de soins. « Revitaliser l’être humain et humaniser des lieux de vie à travers une histoire de jardins », c’est le projet qu’elles’est décidée à concrétiser après avoir participé à un forum à Nantes en 1999. La paysagiste s’est transformée en «passeur de mémoires pour permettre à des personnes en difficulté avec la maladie et confrontées à l’âge d’entrer en relation avec leur lieu de vieet d’y inscrire quelque chose d’elles-mêmes ».

Rendre la dignité et le plaisir aux personnes placées

Charlotte Dufour a été propulsée dans son projet par la directrice de la résidence Jean Van Aa (CPAS d’Ixelles). « Mme Auquier est une femme solaire quim’a ouvert les portes en réunissant toutes les maisons de repos des CPAS de Bruxelles. Elle met toute son énergie à rendre la dignité aux personnes placées,à leur rendre le plaisir de vivre. Elle pense qu’une fois qu’une personne a un projet à partager avec d’autres, il faut mettre tout en œuvre pour qu’ilexiste. Elle fait en sorte que ces institutions soient des lieux de vie et non des mouroirs ».

Actuellement, dans le jardin du home Jean Van Aa les résidents construisent un arbre de 2,5 m de haut avec Charlotte Dufour qui travaille en collaboration avec une céramiste. Maisles résidents sont libres de participer ou non. « Ils n’ont pas toujours envie ou peuvent être occupés à autre chose. Il faut qu’ils puissent entrer etsortir, qu’ils aient le plaisir d’être ensemble autour d’un projet. Même si certaines personnes sont seulement présentes, elles sont une couleur parmi les autres.Il y a plein de façons d’être présent. »

Investir le jardin, source de cadeaux

« D’une maison de repos à l’autre, les personnes vivent l’approche différemment. Certaines n’ont pas du tout confiance en elles, ne veulent ni toucherun crayon ni une matière. D’autres ont été rudoyées par la vie et ont plutôt fréquenté les parcs publics. D’autres encore ont une joieextraordinaire et en redemandent », témoigne Charlotte Dufour. Celle-ci les invite à sortir et à investir le jardin, à y poser des objets.

Dans une maison de repos, elle fait un travail de mémoire avec les gens qui ont vécu à Bruxelles, qui ont connu les parcs publics, des plantes, des villes différenteset ainsi elle rassemble des morceaux de mémoire pour en faire une carte imaginaire. Cela leur permet à la fois de parler d’eux et de construire un projet collectif. Elletransforme ainsi les jardins souvent désertés en lieux d’échanges et de rencontres où chacun peut se sentir bien. « Le jardin devient source de cadeaux et lejardin de tous, tant des résidents que des soignants ou des cuisiniers. La plupart du temps, les résidents n’ont rien à offrir. En s’appropriant le jardin, ilspeuvent remplir des paniers de groseilles, de courges, de fleurs… »

Charlotte Dufour apprend à cueillir les « simples »2 en s’accompagnant d’un botaniste « qui enseigne le geste du cueilleur ». Elle peut raconter descontes et légendes sur les arbres ou les plantes comme celle du millepertuis qui ramène la lumière. « Pour ouvrir le champ dans la tête, pour permettre derêver. Souvent ces personnes n’ont pas choisi cette vie communautaire, mais ce n’est pas pour cela qu’elles doivent être oubliées. »

1. « Jardins Racines », J.B. Charlierlaan, 84a à 1560 Hoeilaart, tél./fax. : 02 662 04 32, GSM : 0495 44 31 75 (contact : Charlotte Dufour). Plusieurs projets de «Jardins Racines » ont été primés par la Fondation Roi Baudouin (2001) et par la Fondation Yves Rocher (2003). Des ateliers sont en cours dans plusieurs maisons de repos deBruxelles (Les Ursulines-CPAS de Bruxelles, CPAS d’Ixelles, de Berchem-Ste-Agathe, de Boitsfort).
2. Plantes médicinales.

1. Une première brochure de présentation des jardins sociaux de Wallonie est disponible au cabinet des Affaires sociales et de la Santé de la Région wallonne, rue desBrigades d’Irlande 4 à 5100 Jambes, tél. : 081 32 35 13.
2. La Ferme de la Vache, rue Pierreuse 113-115-117 à 4000 Liège, tél. et fax : 04 223 52 84.

3. Renseignements sur place le vendredi matin ou auprès de Dominique Boileau ou Daniel Pécheux au 04 223 52 84.
4. Les autres activités d’insertion développées par La Ferme de la Vache sont : l’atelier-jardin « Volière », en collaboration avecl’hôpital psychiatrique Agora-Volière et permettant à ses participants de pratiquer des activités en dehors du centre ; « Le Bricoleu », centre de jourpour personnes handicapées mentales adultes ; des ateliers-jardin pour les enfants, organisés à la demande d’asbl en charge d’enfants et ne possédant pas deterrain ; des journées d’animations pédagogiques à destination des écoles en discrimination positive ou d’asbl en charge d’enfants en difficultésociale ; des stages d’une semaine pour enfants axés sur le sport, la nature et les activités artistiques (durant les vacances de Pâques, juillet et août : 10 eurospar semaine pour les enfants dont les parents sont sans emploi).
5. Ouvert tous les mardis et jeudis de 10 à 18 heures.

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