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Regard critique · Justice sociale

Ecole et entreprise

L’école à l’heure de l’entreprise

Des initiatives privées comme Kiddybuild ou Toekomst Atelier de l’avenir permettent à des élèves de s’immerger dans le monde du travail dès le plus jeune âge. Si ces opérations visent un public défavorisé, elles cherchent surtout à rapprocher l’entreprise de l’école.

(c) Besix Foundation

Des initiatives privées comme Kiddybuild ou Toekomst Atelier de l’avenir permettent à des élèves de s’immerger dans le monde du travail dès le plus jeune âge. Si ces opérations visent un public défavorisé, elles cherchent surtout à rapprocher l’entreprise de l’école.

Équipés de casques et de chaussures de sécurité, des élèves d’Anderlecht de 6e primaire partent à la découverte d’un chantier sur le plateau Engeland à Uccle. C’est la Besix Foundation à travers son projet Kiddybuild qui permet aux enfants de découvrir les métiers de la construction. Pendant une journée, ils ont cours au milieu de futurs appartements à travers une série d’ateliers lors desquels ils ont pu fabriquer une maison passive, se repérer sur un plan ou encore poser une brique.

Depuis 2014, le groupe belge de construction accueille des élèves de 5e et 6e primaire issus d’écoles à discrimination positive. «Au risque de caricaturer, la majorité de ces enfants ont des parents qui n’ont pas eu de formation, des parents sans emploi. Du coup, ils n’ont pas de rôle modèle pour les motiver. C’est pour cela qu’on vise ce public-là, et pas du tout, comme certaines personnes pourraient le croire, en pensant que ces enfants ne sont bons qu’à devenir de futurs ouvriers», explique Donatienne de Spirlet, de la Besix Foundation.

«Si on peut revaloriser ces filières qualifiantes, cela permettra de changer cette logique d’échec propre à notre système scolaire, tout en cassant l’image négative du monde de la construction.», Donatienne de Spirlet, Besix Foundation

Outre le fait de travailler avec ce jeune public, l’objectif de la journée est de donner une meilleure image du monde de la construction, en revalorisant les filières professionnelles. «Le secteur souffre d’une image négative, alors qu’il y a autant de métiers manuels qu’intellectuels», poursuit-elle. «À cet âge-là, les enfants n’ont aucune limite. Tout est encore possible, tout est encore ouvert pour eux. À l’adolescence, on risque d’être cassé par le système scolaire, en étant relégué dans des filières dans lesquelles on n’a pas envie d’être. Généralement, la construction est un choix par défaut, pas par vocation. On veut casser ce cercle vicieux dans lequel, malheureusement, arrivent en technique et professionnel des jeunes qui ont raté en latin. Si on peut revaloriser ces filières qualifiantes, cela permettra de changer cette logique d’échec propre à notre système scolaire, tout en cassant l’image négative du monde de la construction», continue Donatienne de Spirlet.

«Il est intéressant que les enfants aient une idée des métiers manuels. C’est souvent pour eux une réelle découverte. Il y a là un aspect social à ne pas négliger, en montrant comment fonctionne un secteur professionnel», renchérit Patrick, instituteur en 6e primaire à l’Institut des Sœurs Notre-Dame d’Anderlecht. Il faut dire que la Besix Foundation prépare tout, avant et après cette journée sur le chantier pour que Kiddybuild s’inscrive dans le cursus ordinaire à travers un dossier pédagogique qui fait le lien avec les autres cours. «On demande aussi un feed-back de la part des écoles afin de savoir ce que les jeunes ont aimé comme activité, s’ils ont envie de travailler dans la construction… Généralement, on a vraiment un mixte avec des enfants qui n’ont pas du tout envie, et d’autres qui y pensent après cette journée», ajoute Donatienne de Spirlet.

Donner des perspectives: l’enseignement n’y arrive plus

Si Kiddybuild a pu voir le jour, le mérite en revient notamment à Toekomst Atelier de l’avenir (TADA). Ici, le dispositif est plus long puisqu’il accompagne chaque samedi pendant trois ans, de la 5e à la 1re secondaire, 650 élèves, issus d’écoles à discrimination positive, à la découverte de plusieurs métiers sur trois antennes (Saint-Josse, Molenbeek et Anderlecht). Des professions pas forcément manuelles puisque, cette année, les jeunes découvrent les métiers autour du droit et de la justice (avocat, juge, policier…).

«On s’est limité aux familles les plus défavorisées. On veut donner un coup de pouce, là où il y a un énorme besoin d’abord.», Sofie Foets, Tada

«Pour ces jeunes, les perspectives d’avenir sont souvent très réduites. Notre but est de les leur ouvrir au maximum en les mettant au contact de professionnels et en leur proposant un coaching très encadré pour découvrir qui ils sont et quelles sont leurs potentialités, ce que l’enseignement traditionnel n’arrive plus à faire», précise Sofie Foets, fondatrice de Tada qui a découvert le concept aux Pays-Bas. «Comme ce coaching coûte très cher, on s’est limité aux familles les plus défavorisées. Évidemment, ce serait intéressant pour chaque enfant. Mais on veut donner un coup de pouce, là où il y a un énorme besoin d’abord. Il suffit de voir les chiffres de l’inégalité dans l’enseignement, ils sont catastrophiques en Belgique. Toute organisation qui voudra diminuer le problème doit avoir la possibilité de le faire», poursuit-elle. D’ici à 2020, Tada souhaite d’ailleurs s’étendre et soutenir entre 1.000 à 1.500 familles.

Suivre les évolutions de l’entreprise

À travers Kiddybuild ou Tada se pose la question des rapports entre l’entreprise et l’école. Des rapports qui dans l’avenir devraient se systématiser à en croire le futur pacte pour un enseignement d’excellence, notamment pour l’enseignement qualifiant. Pour cause: «Près de 50% des élèves, la majorité à indice socio-économique faible, sont scolarisés dans l’enseignement qualifiant. Le parcours de ces élèves est trop souvent le fruit de réorientations successives au sein des formes et filières de l’enseignement, justifié par les échecs scolaires créant un phénomène de relégations successives et menant à un pourcentage important d’élèves quittant l’enseignement sans certification», indique l’avis n°3 du pacte. D’où la volonté, souvent répétée par le passé, de réformer l’enseignement qualifiant, ses filières professionnelles et ses liens avec le monde de l’entreprise, quitte à l’adapter toujours plus aux réalités du marché de l’emploi. Le pacte prévoit par exemple la création d’un «observatoire du qualifiant, des métiers et des technologies» au sein de l’administration. «Le pilotage de l’offre d’enseignement qualifiant doit s’appuyer sur un ensemble de données et d’analyses pertinentes relatives au marché du travail et à l’évolution du tissu socio-économique, notamment celui des secteurs, et également dans une perspective anticipative des évolutions structurelles et sociétales», lit-on dans l’avis. Il en sera de même pour les options: l’offre doit reposer sur des critères précis en lien avec les évolutions du monde socio-économique. Autre nouveauté: la «certification par unité d’apprentissage» qui doit permettre aux élèves de valider progressivement leurs acquis dans une formation conçue comme un tout et menant à un métier bien défini.

Des réformes qui vont dans le bon sens, à entendre Olivier Remels, de la Fondation pour l’enseignement qui réunit depuis 2014 les divers réseaux scolaires et les fédérations d’entreprises de Wallonie et de Bruxelles. «Actuellement, les jeunes vont vers le technique et le professionnel dans une situation d’échec. Face à l’ampleur du phénomène, on comprend évidemment qu’il est difficile d’avoir une image positive des filières qualifiantes, et des métiers qui y sont derrière. Le pacte veut renverser la vapeur, en prévoyant un entretien d’évaluation avec les élèves avant de les autoriser à aller dans l’enseignement qualifiant pour vérifier leur degré de motivation et leur appétence pour un métier», explique Olivier Remels. L’autre aspect à revaloriser, selon la Fondation pour l’enseignement, est la qualité des filières elle-même. «Celle-ci passe à travers un parcours scolaire mieux identifié, sous forme de parcours-métiers avec des interactions progressives, adaptées à chaque âge avec le monde de l’entreprise.» Olivier Remels admet toutefois que la méfiance de l’entreprise vis-à-vis de l’école reste bien vivace. «Les entreprises n’ont pas pour vocation première d’accueillir des jeunes qui ne sont pas prêts à aller vers l’entreprise. Par contre, elles ont une véritable responsabilité sociétale de contribuer à l’information et à la formation des jeunes pour leur permettre d’apprendre sur le terrain un métier.»

En savoir plus

«L’entreprise, acteur de la formation et de l’enseignement comme un autre?», Alter Échos n° 434, 30 novembre 2016, Francois Corbiau

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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