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Regard critique · Justice sociale

Petite faim ? Grosse portion ? Pas dans votre assiette ? Les raisons de ne pas finir son plat au restaurant sont nombreuses. Pourtant, à Bruxelles, demander à emporter ses restes n’est pas encore entré dans les mœurs, malgré l’initiative “Rest-O-pack” (doggy bag) lancée en 2017 par Bruxelles Environnement.

Lancée et portée par la Région de Bruxelles-Capitale pour une durée de cinq ans (2016-2020), la stratégie Good Food vise à placer l’alimentation au cœur de la dynamique urbaine, en l’abordant à la fois dans ses dimensions, économiques, sociales et environnementales. Sa double ambition? «Mieux produire» – c’est-à-dire cultiver et transformer localement des aliments sains et respectueux de l’environnement – mais aussi «bien manger» – c’est-à-dire rendre accessible à tous une alimentation savoureuse et équilibrée, composée d’un maximum de produits locaux. Parmi les objectifs prioritaires de cette stratégie? La lutte contre le gaspillage alimentaire qui, pour le seul secteur de la restauration à Bruxelles, représente quelque 12.000 tonnes… «On sait qu’en ce qui concerne le gaspillage alimentaire, il y a un énorme écart entre le déclaratif – ce que les gens pensent jeter – et les pratiques – ce qu’ils jettent réellement. Alors qu’on peut avoir une perception relativement correcte de sa consommation de viande ou de produits bios, le gaspillage est largement sous-estimé, a fortiori dans le secteur de la restauration qui a souvent le nez dans le guidon», explique Joséphine Henrion, chargée de projet à Bruxelles Environnement.

Retour assiette

Dans ce cadre, Bruxelles Environnement a donc lancé en 2017 une opération «Rest-O-pack», en fournissant aux restaurateurs  un starter kit comprenant des boîtes “doggy bag”, des cartons d’information et des autocollants à afficher sur leur devanture. «Le frein pour demander un doggy bag est surtout un frein psychologique. Dans les cultures anglo-saxonnes, c’est pourtant devenu un réflexe. Chez nous, le consommateur voudrait pouvoir récupérer les restes, mais généralement, il n’ose pas le demander, de peur de passer pour un radin. Le restaurateur est généralement partant lui aussi, d’autant qu’il s’agit de denrées qu’il a lui-même préparées, mais il est souvent dans le rush et n’a pas toujours le réflexe de le proposer», explique Joséphine Henrion. Ces « Rest-O-pack » ont par ailleurs été érigés comme un des critères optionnels pour obtenir le label «Good Food». Ce label, qui certifie les restaurateurs engagés dans une démarche durable, garantit au minimum le respect de quatre autres critères: respect de la législation applicable au secteur de la restauration, communication sur la démarche durable, bannissement des produits de 5e gamme (à savoir tous les produits agricoles cuits sous vide, pasteurisés ou stérilisés, prêts à l’emploi ou conservés grâce à une réfrigération), et enfin proposition d’au moins une offre végétarienne.

« Le frein pour demander un doggy bag est surtout un frein psychologique. Dans les cultures anglo-saxonnes, c’est pourtant devenu un réflexe»

Selon Bruxelles Environnement, le «Rest-O-pack» aurait permis à 72% des restaurants participants de réduire leur gaspillage alimentaire, mais sans que cette réduction soit réellement significative. «Nous considérons que cet outil fait partie d’une sensibilisation plus générale par rapport au gaspillage alimentaire. Nous avons donc décidé de ne pas renouveler la campagne», explique Joséphine Henrion. «Notre but était de tester l’impact de l’outil et, à terme, qu’un repreneur gère lui-même les boîtes avec un système payant ou des sponsors. Mais nous avons évalué la faisabilité économique de ce genre de modèle par rapport aux boîtes en aluminium ou en plastique habituellement utilisées dans l’Horeca et on n’arrive pas pour l’instant à un business model rentable.» Les restaurateurs ayant participé à l’opération ne forment par ailleurs pas un échantillon représentatif du secteur. «Il s’agissait de restaurants déjà relativement engagés. Nous n’avons pas testé le dispositif dans les snacks ni chez les grands étoilés qui, de toute façon, ne sont pas très fans de mettre des autocollants sur leur porte…»

Demi-portion

 «De toute manière, le doggy bag soigne le symptôme, mais pas la cause : l’assiette trop chargée !», rappelle encore Joséphine Henrion. Il convient donc d’activer d’autres leviers pour réduire le gaspillage, par exemple en offrant aux clients la possibilité de se resservir plutôt que de trop charger les assiettes. Ou encore en proposant des plats «petites et grandes faims» pour que chacun puisse passer commande en fonction de son appétit du moment. L’idéal? Parvenir à réduire le gaspillage alimentaire tout en augmentant parallèlement la qualité des produits utilisés, de manière à conserver un «food cost» identique. «À côté du retour assiette, on essaie aussi d’encourager la lutte contre le gaspillage en cuisine, notamment par une carte réduite, l’utilisation prioritaire de produits frais, la créativité dans la récupération – adapter les restes de légumes en soupe par exemple – et une bonne gestion des stocks.»

Pour augmenter l’impact de la lutte contre le gaspillage, il faudrait passer par un diagnostic, à savoir calculer son gaspillage pendant une semaine et essayer de voir ce que ça représente en termes de ‘food cost’

Mais pour Joséphine Henrion, la prise de conscience ne pourra se faire de manière massive qu’à partir du moment où les restaurateurs accepteront de se soumettre à un diagnostic précis. «Pour augmenter l’impact de la lutte contre le gaspillage, il faudrait passer par un diagnostic, à savoir calculer son gaspillage pendant une semaine et essayer de voir ce que ça représente en termes de ‘food cost’. Cette quantification – il est vrai assez chronophage – pourrait être réalisée une fois par an et entrer dans les critères, optionnels ou obligatoires, pour avoir le label.» Regarde en face ce que tu jettes, je te dirai ce que tu perds…

 

 

Julie Luong

Julie Luong

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