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Le règlement collectif de dettes, une spirale sans fin

En 1998, le parlement fédéral approuvait la loi relative au règlement collectif de dettes (RCD). Un règlement qui a fait l’objet d’une évaluation par le Réseau belge de lutte contre la pauvreté (BAPN), en identifiant des problèmes et en formulant des recommandations face au problème de l’endettement des citoyens. Rencontre avec Judith Tobac, auteure du rapport «Sortir de l’endettement» (1).

25-09-2020
© Kanar

Pour le BAPN, l’une des constatations les plus importantes est que les gens ne sont pas suffisamment informés au début d’un règlement collectif de dettes. «Le RCD étant une procédure longue et très invasive, un tel processus doit toujours être un choix mûrement réfléchi. Cependant, de nombreuses personnes indiquent qu’elles n’ont pas eu suffisamment d’informations au début de la procédure pour être en mesure de faire ce choix de manière éclairée», explique Judith Tobac, auteure de l’étude.

Le BAPN constate que de nombreux problèmes se posent dès la phase initiale de la procédure avec la mise en place du plan d’apurement. «Souvent, il n’est pas clair pour les débiteurs qu’ils ont le droit d’avoir leur mot à dire à ce stade important de la procédure.» Raison pour laquelle le BAPN plaide pour que le débiteur donne toujours son consentement explicite au plan d’apurement. De même, au cours de la procédure, ils ne sont pas suffisamment informés de l’état des lieux de leur dossier. «Ils ne savent pas combien d’argent il y a sur le compte, quels revenus ils ont ou n’ont pas reçus et combien de dettes ont déjà été remboursées. Cela crée beaucoup de tension et d’anxiété inutiles», pointe encore Judith Tobac. «Ce n’est qu’après huit ans que j’ai su si toutes mes dettes avaient vraiment disparu, y compris mes dettes fiscales», indique un citoyen ayant eu recours au RCD. Juridiquement, le médiateur de dettes ne doit présenter qu’une fois par an un rapport au tribunal sur l’état d’avancement du RCD. Le demandeur recevra ensuite une copie de ce rapport. «Un rapport très technique et incompréhensible pour la plupart des gens», continue Judith Tobac. Aussi le BAPN plaide-t-il pour que le médiateur de dettes rencontre au moins une fois par an le demandeur pour faire le point sur leur dossier.

Pendant le RCD, beaucoup de gens ont également trop peu leur mot à dire, par ailleurs, et ne sont pas suffisamment impliqués dans la prise de décisions importantes. «Les gens se plaignent que le médiateur de dettes répond souvent tard ou ne répond pas du tout. Certains ne réagissent que lorsqu’un travailleur social ou un autre professionnel facilite le contact», relève Judith Tobac. «Les personnes en situation de pauvreté font état du fait que nombreuses décisions sont prises par-dessus leur tête pendant un RCD. Les gens n’ont pas le sentiment d’être reconnus comme un partenaire à part entière», poursuit l’auteure de l’étude. «Au cours du RCD, le médiateur de dettes a un grand contrôle sur le budget de la personne endettée, continue-t-elle. De ce fait, il a un grand contrôle sur sa vie privée. Trop souvent on impose actuellement des restrictions sans en parler au débiteur ou sans les lui expliquer. Les gens ont l’impression de perdre leur autonomie.»

Manque de transparence

Comme le relève le BAPN, certains médiateurs de dettes ont à leur charge un nombre énorme de dossiers qui sont ensuite souvent traités par leur personnel administratif. «Ils considèrent que leurs tâches sont très limitées et ne font que ce qui est strictement nécessaire», constate Judith Tobac. Contexte qui favorise les négligences telles que des retards de paiement de factures ou du pécule. En outre, souligne le réseau, il n’existe pas non plus de dispositions ou de règlements qui définissent clairement l’éventail des fonctions et des services offerts par les médiateurs de dettes. «Le médiateur de dettes joue un rôle crucial dans le RCD et a un impact énorme sur le déroulement de la procédure. Les médiateurs disposent à l’heure actuelle d’une grande liberté pour traiter le RCD comme ils l’entendent et ils diffèrent largement dans leur approche. Situation qui conduit à de grandes inégalités sur le terrain», relève l’auteure de l’étude. Un constat appuyé par ce témoignage d’un citoyen ayant eu recours au RCD: «Il ne devrait pas y avoir toutes ces différences entre les médiateurs de dettes. Lorsque j’ai mentionné le nom de mon médiateur à mon assistante sociale, elle m’a dit que j’avais beaucoup de malchance. Il devrait être le même partout.»

«Il ne devrait pas y avoir toutes ces différences entre les médiateurs de dettes. Lorsque j’ai mentionné le nom de mon médiateur à mon assistante sociale, elle m’a dit que j’avais beaucoup de malchance. Il devrait être le même partout.» Un citoyen ayant eu recours au RCD

Un autre facteur aggravant est que les critères de désignation des médiateurs sont très opaques. En outre, les personnes qui rencontrent des problèmes avec leur médiateur de dettes, ont du mal à trouver à qui s’adresser en raison de l’absence de procédures disciplinaires ou de médiation adéquates. «Tout cela crée une insécurité juridique sur le terrain», ajoute Judith Tobac. Enfin, les tarifs des médiateurs sont loin d’être transparents. Les gens qui connaissent les honoraires de leur médiateur de dettes parlent de montants entre 1.200 et 3.400 euros par an. «Malgré le fait que la loi prévoit que les personnes en RCD reçoivent annuellement un relevé des honoraires, personne n’a la moindre idée des coûts facturés par le médiateur de dettes.» Le BAPN réclame que les tribunaux surveillent de près l’indemnisation que l’avocat-médiateur se paie lui-même. «Afin d’assurer une bonne relation entre le débiteur et le médiateur de dettes, il devrait y avoir plus de transparence sur les frais exigés», rappelle l’auteure de l’étude.

Pas une solution à tout le monde

Une autre difficulté soulevée par le BAPN est que le règlement collectif de dettes n’offre pas une solution à tout le monde. «Le RCD est une procédure qui exige beaucoup d’efforts de la part de toutes les parties concernées et devrait donc être une mesure exceptionnelle. Beaucoup de gens endettés n’en voient pas la fin…» L’objectif du règlement collectif est pourtant de permettre aux personnes surendettées de rembourser autant de dettes que possible, tout en leur garantissant une existence digne. A la fin de la procédure, ils doivent être en mesure de prendre un nouveau départ. «Cependant, l’expérience des personnes en situation de pauvreté montre que pour de nombreuses personnes, ni la dignité d’existence ni un nouveau départ ne sont garantis.»

Pour les personnes à faible revenu, il est souvent impossible de rembourser des dettes sans mettre en danger une vie décente. Comme le relève le BAPN, si les dépenses mensuelles sont supérieures au revenu disponible, le «nouveau départ» espéré ne peut pas être atteint. De plus, toutes les dettes ne sont pas annulées. Les pensions alimentaires, les amendes pénales et les dettes qui subsistent après la clôture d’une faillite doivent continuer à être payées après la fin du règlement collectif de dettes.

«Certains budgets sont si faibles qu’en dépit d’efforts acharnés pour joindre les deux bouts chaque mois, les gens sont obligés de contracter de nouvelles dettes, ce qui met en péril l’ensemble de la procédure.» Judith Tobac, BAPN

Durant le règlement collectif de dettes, beaucoup de personnes ne bénéficient donc pas d’un pécule suffisant pour garantir une vie digne. «Certains budgets sont si faibles qu’en dépit d’efforts acharnés pour joindre les deux bouts chaque mois, les gens sont obligés de contracter de nouvelles dettes, ce qui met en péril l’ensemble de la procédure.»

Dans ses recommandations, le BAPN appelle à ce que le pécule soit augmenté au minimum jusqu’au niveau des budgets de référence. «En outre, le médiateur de dettes devra toujours vérifier individuellement si la personne en question n’a pas besoin de plus pour vivre dignement», poursuit Judith Tobac. En effet, le BAPN observe qu’en cas de perte soudaine de revenu, certains médiateurs de dettes décident d’écrémer encore davantage le pécule, en dessous des limites minimales légales pourtant déjà insuffisantes.

Plus qu’un suivi juridique

Les personnes endettées ont souvent besoin de plus qu’un simple suivi juridique de leur problème. Selon leur situation, les gens souhaitent pouvoir compter sur une certaine forme de soutien psychosocial ou administratif. Cependant, le BAPN a vu que l’aide n’est pas toujours accessible et que certaines institutions arrêtent simplement l’aide lorsqu’un règlement collectif de dettes est lancé. «Pourtant, demander et recevoir de l’aide à temps est crucial si l’on veut que la situation ne s’aggrave. Toutefois, les communes n’offrent pas toutes une aide en matière d’endettement. Un autre fait troublant est que de nombreux CPAS cessent d’apporter leur aide lorsque quelqu’un entre en RCD», termine Judith Tobac.

(1) «Sortir de l’endettement – Le règlement collectif de dettes: problèmes et solutions pour et par les personnes en situation de pauvreté», Judith Tobac, BAPN, septembre 2020, https://bapn.be/storage/app/media/BAPN-Rapport2020%20fr%20laatste%20versie.pdf

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste (social, justice)

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