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Formation

Le numérique comme facteur d’insertion professionnelle

La révolution numérique rend l’accès au travail encore plus compliqué pour les personnes éloignées du marché de l’emploi. Pourtant, certaines initiatives font exception à cette règle. À Huy, le Centre d’orientation et de formation (COF) propose une spécialisation dans une technologie de pointe, l’impression 3D, à un public peu qualifié.

Manier une imprimante 3D ou comment créer un débouché professionnel (aussi en 3D). (c) Renaud De Harlez

La révolution numérique rend l’accès au travail encore plus compliqué pour les personnes éloignées du marché de l’emploi. Pourtant, certaines initiatives font exception à cette règle. À Huy, le Centre d’orientation et de formation (COF) propose une spécialisation dans une technologie de pointe, l’impression 3D, à un public peu qualifié.

La nuit vient de tomber sur le site du COF. Toutes les lumières sont désormais éteintes dans les bâtiments de ce centre de formation situé à Huy. Pourtant, quelques machines continuent de tourner inlassablement à l’intérieur d’un vieux conteneur maritime. C’est dans cet espace réaménagé en salle de classe que se déroulent les formations en impression 3D. À l’intérieur, les machines restent allumées après la journée de cours pour imprimer les différents travaux des élèves: un vase en plastique, une pièce de remplacement pour une débroussailleuse, le corps en bois d’une guitare électrique… Ce conteneur qui a parcouru les océans et transporté des milliers de marchandises s’est transformé en laboratoire créatif, aussi appelé «fab lab». Avec une particularité, celle d’être à la disposition des personnes en insertion socioprofessionnelle.

«Nous ne nous étalons pas sur les éléments théoriques. C’est cette approche trop théorique qui a éloigné de nombreux élèves de l’enseignement.» Cédric Lejeune, formateur COF

Ces cours ont été lancés en août 2016. Ils ont été créés pour les adultes éloignés du marché de l’emploi. En plus de cette spécialisation, le COF propose des formations dans des domaines qui vont de la soudure à la menuiserie en passant par l’électricité ou la végétalisation des bâtiments. En tout, ce sont 2.000 élèves – appelés «stagiaires» – qui foulent les couloirs de ce centre qui a été créé en 1993. Il occupe 70 travailleurs et plus de 200.000 heures de formation y sont dispensées chaque année. Après un passage au COF, 70% des stagiaires reprennent ensuite une autre formation ou trouvent un emploi. Les secteurs porteurs en matière d’emplois y sont ciblés. C’est pourquoi le centre renforce, notamment, ses formations dans le secteur «naval» et «métallique». Vu les bouleversements qu’il amène, le numérique ne pouvait pas être passé sous silence entre les murs du COF.

La fracture numérique

La formation en impression 3D est, sous deux aspects au moins, unique: par son décor tout d’abord, le conteneur maritime, mais aussi par sa symbolique. Le numérique pose un énorme problème au secteur de l’insertion socioprofessionnelle puisque les compétences à acquérir pour trouver un emploi dans ce monde de demain seront de plus en plus pointues. Pourtant, en une seule formation, le COF veut montrer qu’en utilisant la bonne formule, cette équation n’est pas insoluble. La solution? La personnalisation, «les élèves ont, tout au long de leur formation, la possibilité de créer des projets selon leurs envies et leurs passions», explique Cédric Lejeune, formateur. Il poursuit: «Nous avons par exemple un élève qui est fan de la série Games of Thrones. Lors de l’un de ses travaux pratiques, il a recréé, via l’impression 3D, un clavier à l’effigie de la série pour son ordinateur. Il a ensuite créé le “Trône de fer”, qui est un décor récurrent de la série.»

«L’impression 3D va s’étendre à énormément de secteurs : l’architecture, le design industriel, la création… et, pour imprimer ces projets, il faudra des personnes formées.» Michel Longueville, chargé de projet au COF

Car derrière les technologies du numérique se cache, souvent, une bonne dose de créativité. «Nous ne nous étalons pas sur les éléments théoriques. C’est cette approche trop théorique qui a éloigné de nombreux élèves de l’enseignement. Nous nous concentrons le plus rapidement possible sur la pratique. Et puis, partout en classe, ils peuvent observer les résultats de leurs travaux. Que ce soit au niveau de la décoration ou même des chaises sur lesquelles ils sont assis, elles sont aussi créées au COF!», ajoute le formateur.

Et en arrière-plan de ces formations se cache un autre objectif, celui de retrouver un rythme de vie semblable à celui du monde professionnel. «Il s’agit souvent de jeunes qui ont arrêté l’école, et qui sont en décrochage total avec le monde professionnel. Déjà la formation permet de retrouver un rythme de vie. Au lieu de se lever à 11 heures, le jeune doit être à 8 h 30 en classe. Il faut se lever tôt, organiser ses journées», raconte Michel Longueville, chargé de projet au COF, qui précise que «cela permet de se mettre dans le bon état d’esprit face à l’emploi.»

D’innombrables débouchés

Une fois la formation achevée, les stagiaires ont le choix de poursuivre des études dans ce secteur spécifique, notamment dans des centres de compétences, ou de chercher un emploi. Mais où postule-t-on lorsque l’on possède des compétences en impression 3D? «Un peu partout», souligne Michel Longueville. Ce dernier se saisit d’un modèle qui repose sur l’une des tables de classe. Il s’agit d’un petit restaurant en plastique, fraîchement imprimé en 3D. «C’est une maquette réalisée par un architecte. Ils ont simplement envoyé le fichier que nous avons imprimé. Cela leur permet de mieux visualiser le projet. C’est un exemple qui montre que l’impression 3D va s’étendre à énormément de secteurs: l’architecture, le design industriel, la création… et pour imprimer ces projets, il faudra des personnes formées.»

Ce conteneur «fab lab» n’est pas le seul projet créatif du COF. Sur les eaux de la Meuse, qui coule à côté du centre, navigue le «COF Boat», un bateau créé par des stagiaires soudeurs. Il se déplace pour organiser des activités de formation et d’insertion. Un «COF-e-Bus» prend le relais lorsqu’il s’agit de se déplacer sur les routes. Un atout de taille pour toucher un public vivant en milieu rural qui ne peut pas toujours se déplacer.

Le numérique, bête noire des chômeurs peu qualifiés?
Que réserve la révolution numérique au marché de l’emploi belge? Une étude du Conseil supérieur de l’emploi intitulée «Économie numérique et marché du travail» apporte un début de réponse.
Entre la transformation numérique des banques qui mène à des suppressions d’emplois et certains experts qui prédisent la création de centaines de milliers d’emplois dans les années à venir, difficile de voir clair concernant l’impact de la révolution numérique sur l’emploi. Mais un élément ressort, comme une constante: les travailleurs ayant une formation adéquate et avancée seront ceux qui subiront le moins d’effets néfastes liés à ces changements. Ce qui laisse planer de sérieuses inquiétudes à propos des personnes peu qualifiées et éloignées de l’emploi. En grossissant le trait, s’ils éprouvent déjà des difficultés à retrouver un emploi aujourd’hui, qu’en sera-t-il lorsque toutes les tâches, même les plus simples, se complexifieront avec la généralisation du numérique?
Le Conseil supérieur de l’emploi s’est posé la question dans cette étude «Économie numérique et marché du travail» sortie mi-2016. Il souligne que si, dans un premier temps, la numérisation va principalement remplacer des fonctions de qualification moyenne, les publics plus fragilisés pourraient être les vraies victimes de ces transformations. «La demande de main-d’œuvre tend à se polariser vers des fonctions hautement qualifiées d’une part et vers des peu qualifiées d’autre part, alors que le nombre d’emplois moyennement qualifiés diminue», souligne le rapport. Il indique ensuite que ces profils moyennement qualifiés viendront concurrencer les profils peu qualifiés sur le marché de l’emploi et que «même le contenu des emplois peu qualifiés va également considérablement changer, pour se complexifier, au cours des dernières décennies Du côté du Forem, la question se pose également. «On se rend effectivement compte que ces compétences techniques et numériques ne vont pas vers la simplicité…», précise Jean-Claude Chalon, responsable du service Analyse au Forem. La directrice adjointe du Centre d’orientation et de formation (COF), Stéphanie Close, observe cette réalité d’un autre point de vue, «nous, ce que l’on constate c’est que les technologies du numérique vont également créer d’autres fonctions connexes aux métiers hautement qualifiés. Dans le cas de l’impression 3D, il y aura l’ingénieur qui concevra les pièces et, à côté de cela, il aura besoin de profils qui connaissent les caractéristiques d’une imprimante 3D, qui pourront effectuer les impressions. Ce sont ces profils que nous formons aujourd’hui».

«L’art et le numérique, accroches vers l’insertion professionnelle», Vincent Balau, Alter Échos n°439, 13 février 2017.

Renaud De Harlez

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