La suppression des avantages fiscaux au niveau fédéral pour les travaux économiseurs d’énergie a fait grand bruit. Mais quels pourraient être les effets de cettemesure sur les fameuses alliances emploi-environnement mises sur pied au niveau régional ?
Il y a un peu plus d’un mois, le (nouveau) gouvernement fédéral annonçait son intention de supprimer, dès le premier janvier 2012, la très grande majoritédes avantages fiscaux concernant les investissements économiseurs d’énergie (voir encadré). Une mesure qui en aura surpris plus d’un, mais qui était mentionnée dansla déclaration de politique générale, qui prévoyait qu’« en ce qui concerne les réductions d’impôts et autres avantages (exemple, labonification d’intérêt en matière de prêt vert) pour les dépenses faites en vue d’économiser l’énergie dans une habitation (…), lesRégions disposent déjà actuellement des compétences pour mettre en oeuvre leurs politiques ; un transfert de compétence n’est donc pas nécessaire.En vue d’éviter les interférences du pouvoir fédéral sur des matières relevant de la compétence des Régions, le pouvoir fédéralpourra cependant mettre fin dès le budget 2012 aux incitants existant actuellement à son niveau en la matière (…) ». Une loi a d’ailleurs étéadoptée à cet effet le 28 décembre 2011.
Vous avez dit suppression ?
L’avantage fiscal est supprimé pour les mesures suivantes :
• entretien ou remplacement d’une ancienne chaudière ;
• installation d’un système de chauffage de l’eau sanitaire au moyen de l’énergie solaire ;
• installation de panneaux photovoltaïques pour transformer l’énergie solaire en énergie électrique ;
• installation de double vitrage ;
• placement d’une régulation d’une installation de chauffage central par le biais de vannes thermostatiques ou d’un thermostat d’ambiance à horloge ;
• réalisation d’un audit énergétique de l’habitation ;
• construction ou transformation d’une habitation basse énergie, d’une habitation passive ou d’une habitation zéro énergie.
Rappelons que la réduction d’impôts s’élevait à 40 % du montant dépensé, avec un plafond maximum de 2830 euros. A l’avenir, seuls les travauxd’isolation des toitures dans les habitations existantes pourront encore donner lieu à un avantage fiscal, qui passera à 30 % pour les contrats signés après le 28novembre 2011.
Si la mesure semble avoir été durement ressentie par le secteur de la construction (la Confédération construction a publié de très nombreuxcommuniqués à ce sujet [voir encadré]), les particuliers se sont montrés également inquiets et ce, jusqu’au niveau régional, ce qui dénote d’ailleursune certaine confusion dans le chef de ceux-ci puisque les Régions wallonne et bruxelloise, notamment, encouragent également les économies d’énergie, mais à coup deprimes, et que celles-ci ne sont pas remises en cause. « Bruxelles environnement a en effet reçu beaucoup d’appels de particuliers stressés qui pensaient que les primes auniveau régional étaient supprimées, nous explique-t-on au cabinet d’Evelyne Huytebroeck (Ecolo)1, ministre de l’Environnement de la Région deBruxelles-Capitale. Nous prévoyons d’ailleurs de lancer une grande campagne de communication dans quelques semaines afin d’éviter toute confusion dans l’esprit des gens. »Une tendance que confirme d’ailleurs Laurent Schiltz, directeur adjoint de la Confédération construction Bruxelles-Capitale2. « Il y a eu un véritable rushsur les primes régionales à la suite de l’annonce faite par le fédéral », explique-t-il.
Confédération construction : des communiqués et des chiffres
La Confédération construction a largement communiqué, durant les mois de novembre et de décembre, à propos de la suppression des avantages fiscaux. Elle aaligné quelques chiffres :
• selon elle, le secteur de la construction tablait sur deux milliards d’euros de travaux économiseurs d’énergie en 2012. Avec 40 % de réduction fiscale, cela faitdonc 800 millions d’euros de déductions qui s’envoleraient, même si la confédération estime que la moitié des travaux prévus pourraient êtreréalisés ;
• 5 000 emplois seraient menacés ;
• pour la Confédération, le nouveau gouvernement a tablé sur une économie budgétaire de 260 millions d’euros en 2013 et de 520 millions en 2014, mais sanstenir compte du recul de l’activité de construction qui se produira dès 2012. Elle estime donc que la réelle économie budgétaire sera non pas de 780 millionsd’euros, mais de 240 millions ;
• pour obtenir un effet similaire, il suffirait dès lors, selon elle, de réduire l’avantage fiscal à 30 % pour les travaux effectués en 2012 et ensuite à20 % pour ceux effectués en 2013 et 2014. Ce démantèlement progressif permettrait d’éviter un « effondrement brutal du marché ».
Plus trop « funky », les alliances ?
Néanmoins, une autre question se pose : la décision prise par le fédéral peut-elle avoir d’autres conséquences, au niveau régional, que cellescitées plus haut ? On sait que du côté wallon et bruxellois, des alliances emploi-environnement centrées sur la construction durable ont étélancées ces derniers mois. La suppression des déductions fiscales risque-t-elle d’avoir un impact négatif sur ces alliances régionales en faisant chuter la demande ?A Bruxelles toujours, un grand nombre d’intervenants se veulent rassurants. L’alliance bruxelloise, disent-ils, insiste sur l’offre (elle prévoit notamment 55 000 heures de formation enconstruction durable ainsi qu’une aide à la création et au développement d’entreprises d’économie sociale actives dans le domaine de la construction durable), et non passur la demande. Un argument de poids, mais qui fait l’impasse sur un point : si l’offre dans le domaine de la construction durable augmente alors que dans le même temps la demande diminueà la suite des mesures prises au fédéral, un problème pourrait se poser.
Un enjeu que soulignait d’ailleurs déjà le cabinet d’Emir Kir (PS)3, ministre en charge de la Formation professionnelle à la cocof, en juin 2010 alors quel’alliance bruxelloise était en phase d’élaboration. « C’est une question [NDLR celle de la demande] importante pour le domaine de la formation, affirmait àl’&eacut
e;poque Bastien Manchon, conseiller formation au cabinet d’Emir Kir. Si l’on forme des gens et que les débouchés ne sont pas là, il y a un problème. »(voir Alter Echos n° 297 du 19 juin 2010 :« Alliances emploi-environnement, c’est parti… Mais qui fait quoi ? »)
Au cabinet d’Evelyne Huytebroeck, on admet que la suppression des avantages fiscaux pourrait avoir des effets, mais on se veut aussi rassurant. « Il est incontestable que la suppressiondes avantages fiscaux va ralentir la croissance dans le domaine, admet Mickaël Angé, directeur de cabinet adjoint. Mais je ne pense pas que nous soyons dans une situation où lademande va drastiquement baisser. Celle-ci a évolué, la situation a changé depuis quelques années, la législation européenne impose des normes deperformance. Et puis il y a aussi les primes régionales qui existent et qui ont été renforcées au niveau de Bruxelles puisque nous sommes passés, pour les primesénergie 2012, d’un budget de 12 millions d’euros à 18 millions. » Un point de vue que l’on retrouve aussi du côté du cabinet d’Emir Kir (« Cela peutêtre gênant, mais il reste les primes régionales. Il y aura de toute façon un besoin de formation ») et de Saw-b4, la fédérationpluraliste d’entreprises d’économie sociale. Saw-b avait, rappelons-le, participé aux travaux présidant à l’élaboration de l’alliance bruxelloise. « Lasuppression des incitants fiscaux risque d’avoir un effet, mais je ne suis pas sûre que ce sera considérable, note Marie-Caroline Collard, directrice. Ce qui nous préoccupe plus,en tant que secteur de l’économie sociale, c’est plutôt la difficulté pour les entreprises d’économie sociale de se lancer dans ce domaine, dans le cadre des alliances. Leproblème du différentiel de production avec les entreprises « traditionnelles » et la concurrence du travail au noir pèsent lourd. » Un problème qu’AlterEchos avait déjà mentionné pour l’alliance wallonne mais qui s’applique également à Bruxelles (voir Alter Echos n° 324 du 9 octobre 2011 :« Emploi-environnement : l’esprit de l’alliance en Wallonie »)
Des « bouquets de travaux durables »
Du côté wallon, la situation est quelque peu différente. L’alliance emploi-environnement prévoit justement une mesure censée doper la demande de travaux,dotée d’un budget de 150 millions d’euros. Baptisée « Bouquets de travaux durables », cette mesure propose de réaliser une combinaison d’au moins deux typesde travaux de rénovation différents en matière d’économie d’énergie. En échange, le ménage se voit « offrir » un financementà 100 % du coût total des travaux, composé d’une prime dont le montant dépend du type de travaux entrepris et de la classe de revenu du demandeur et d’un prêtà taux zéro pour la partie du financement des travaux non couverte par la prime5. « Néanmoins, il est vrai que cette mesure a étéadoptée avant la suppression des incitants fiscaux au niveau fédéral, explique Caroline Evrard, du cabinet de Jean-Marc Nollet6 (Ecolo), ministre wallon duDéveloppement durable. Et elle était conçue pour être complémentaire avec les mesures du fédéral. Pouvoir disposer des primes et des réductionsd’impôt était intéressant. » Et le cabinet Nollet, de déclarer qu’il n’a pas encore, à l’heure actuelle, de réponse à donner à laquestion de l’impact de la décision fédérale sur l’alliance wallonne. « Nous réfléchissons », nous dit-on.
La Confédération construction wallonne, elle, a une position plus appuyée quant aux effets de la suppression des déductions fiscales, même si l’on se veutmesuré. « Avec cette suppression, il y a un des aspects de l’alliance qui est plombé, c’est celui de la demande privée, regrette Francis Carnoy, directeurgénéral de la Confédération construction wallonne7. On paie très cher l’assainissement budgétaire. Certains secteurs risquent de souffrir plus qued’autres, comme le solaire thermique ou le remplacement des vitrages. En Wallonie, plusieurs centaines d’emplois risquent d’être perdus et, à la marge, le travail au noir pourraitêtre renforcé. Cela dit, il ne faut pas non plus être trop catastrophiste : les travaux d’économie d’énergie restent rentables pour les gens, et nous sommestrès heureux de la mise en place de la mesure des bouquets de travaux. »
En ce qui concerne l’économie sociale, ConcertEs8, la plate-forme de concertation des organisations représentatives de l’économie sociale, qui a participéà l’élaboration de l’alliance wallonne, admet ne pas s’être penché sur la question.
Des Régions en manque des moyens
On le voit, les avis divergent selon les positions, même si personne ne semble sombrer dans le pessimisme. Cela dit, certains chiffres posent question. Si l’on en croit laConfédération construction, c’est ainsi 800 millions d’euros (voir encadré plus haut) qui auraient pu être déduits fiscalement, en 2012, pour des travauxéconomiseurs d’énergie si les incitants fiscaux avaient été maintenus. Selon certaines sources, 30 millions de réductions étaient prévus àBruxelles. La Région bruxelloise, avec ses 18 millions de primes, peut sembler dès lors un peu en dedans, tout comme, dans une moindre mesure, la Wallonie avec ses 150 millionsétalés sur trois ans (50 millions par an en 2012, 2013 et 2014).
Autre question : les Régions envisagent-elles de compenser ce qui a été abandonné par le fédéral ? Ici, la réponse est claire :c’est non, les Régions ne disposant pas des marges budgétaires nécessaires. Toutefois, cette situation fait réagir. « Le fédéral dit ne pasvouloir empiéter sur les Régions et supprime les incitants, souligne Mickaël Angé. Mais cette mesure implique aussi que des moyens soient prévus pour lesRégions. Nous attendons du fédéral qu’il ne prenne pas le citoyen en otage. » Et notre interlocuteur de continuer en élargissant le débat et enévoquant le protocole de Kyoto. « Pour la période 2008-2012, la Belgique doit réduire ses émissions de CO2 de 7,5 %. Dans ce cadre, en 2004, les troisRégions s’étaient fixé des objectifs en matière de réduction. Le fédéral s’était quant à lui engagé à p
rendre des mesures,parmi lesquelles la construction du RER qui est en retard, et la mise en place des incitants fiscaux, qui viennent d’être supprimés. C’est donc un point dont on va reparler. Nousdemandons au fédéral : qu’allez-vous faire ? »
1. Cabinet d’Evelyne Huytebroeck :
– adresse : rue du marais 49-53 à 1000 Bruxelles
– tél.: 02 517 12 00
– courriel : info@huytebroeck.irisnet.be
– site : http//:evelyne.huytebroeck.be
2. Confédération construction Bruxelles-Capitale :
– adresse : rue du Lombard 34-42 à 1000 Bruxelles
– tél.: 02 545 58 29
– courriel : bruxelles.capitale@confederationconstruction.be
– site : http://confederationconstruction.be
3. Cabinet d’Emir Kir :
– adresse : bd Saint-Lazare 10 à 1210 Bruxelles
– tél.: 02 506 34 11
– courriel : info@kir.irisnet.be
– site : ww.emirkir.be
4. Saw-b :
– adresse : rue Monceau-Fontaine 42/6 à 6031 Monceau-sur-Sambre
– tel. : 071/53 28 31
– site : www.saw-b.be
5. Le tout pour un plafond maximum de 30 000 euros, deux bouquets de travaux étant accepté sur une période de trois ans, ce qui fait un plafond maximum de 60 000 euros parlogement sur une période de trois ans.
6. Cabinet de Jean-Marc Nollet :
– adresse : place des Célestines 1 à 5000 Namur
– tél.: 081 32 17 11
– site : www.nollet.info
7. Confédération Construction Wallonne :
– adresse : rue du Lombard 34-42 à 1000 Bruxelles
– tél.: 02 545 56 68
– courriel : info@ccw.be
– site : www.confederationconstruction.be
8. ConcertES :
– adresse : place de l’Université 16 à 1348 Louvain-la-Neuve
– tél.: 010 45 64 50
– courriel : contact@concertes.be
– site : www.concertes.be