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Regard critique · Justice sociale

Justice

La justice sans jargon

L’Association syndicale des magistrats poursuit son travail de simplification du langage judiciaire. Après un premier vade-mecum sur le droit civil, elle s’attaque au pénal.

19-06-2010 Alter Échos n° 297

L’Association syndicale des magistrats (ASM)1 poursuit son travail de simplification du langage judiciaire. Après un premier vade-mecum sur le droit civil en 2003, elle s’attaqueau pénal2.

Article 149 de la Constitution. Les jugements doivent être motivés. Cela ne veut pas seulement dire que les décisions de justice doivent reposer sur une application rationnellede la loi, mais aussi que le justiciable doit en comprendre les tenants et aboutissants. Or, il faut le constater, le langage judiciaire sonne comme du chinois aux oreilles du justiciable lambda.L’Association syndicale des magistrats (ASM), fondée en 1979 par des magistrats militant pour une justice plus démocratique, a rendu son verdict : le langage judiciaire doit êtresimplifié.

Mais simple ne veut pas dire simpliste. Dans une matière aussi précise que le droit, un certain degré de technicité se doit d’être respecté.« Si on ne se réfère pas à des concepts précis, le risque est de créer une insécurité juridique. C’est encore plus vrai dans lepénal. D’un autre côté, il y a une série d’expressions archaïques, de mots sans caractère technique qui peuvent être facilement évités», remarque Jean-François Funck, coordinateur de l’ouvrage, juge au tribunal du travail de Nivelles et membre du Conseil supérieur de la justice.

Point à la ligne

Qu’il s’agisse de « condamner » un locataire à payer son loyer, ou de le faire « déguerpir » de son appartement, le langage judiciaire peut véhiculerune certaine violence, un certain mépris. On imagine aisément qu’un père ayant la garde de ses enfants le week-end ne voit pas d’un bon œil sa maison qualifiée de« domicile accessoire ».

Au-delà du vocabulaire, la longueur des jugements pose aussi question. Suivant la tradition classique, qui remonte au XVIIe siècle, un jugement tient en une phrase. Maisune phrase qui peut faire plusieurs pages ponctuées « d’attendu que », « par ces motifs », et ainsi de suite.

« Faire des phrases courtes, avec un verbe, un sujet, un complément et un point, ça paraît basique, c’est pourtant essentiel ! En réalité, la plupart de nosrecommandations sont très simples. » Ainsi, une idée-clé de la démarche est de mieux structurer les jugements : utiliser des titres et des sous-titres, citer lesarticles de loi plutôt que leur référence, distinguer clairement les parties qui s’expriment…

Prenons le cas concret d’un propriétaire, le « demandeur », réclamant un loyer impayé à son locataire, le « défendeur ». Riend’extravagant jusque-là. Le locataire fait appel. Il devient « l’appelant » et le propriétaire « l’intimé ». Pour corser le tout, lelocataire gagne et le propriétaire critique une partie de ce nouveau jugement en appel. Il deviendra alors « l’intimé appelant sur incident ». « On pourrait tout aussibien l’appeler « Monsieur Dupont » », fait valoir Jean-François Funck.

Le pouvoir des mots

Dans un article intitulé « Faut-il condamner la condamnation ? »3, Christian Wettinck, un des membres fondateurs de l’ASM, s’étonne que lesjuges portugais, régulièrement évalués par des inspecteurs, aient tendance à être notés sur la quantité de citations latines qu’ils placent dansleurs jugements. « De manière inconsciente, en partie du moins, il y a un plaisir à compliquer l’expression, une volonté de conserver le langage de la caste, du mondejudiciaire. Le langage est une forme de pouvoir », observe pour sa part Jean-François Funck.

Sans surprise, le projet de l’ASM a rencontré quelques résistances. Certains allant jusqu’à revendiquer que c’est le rôle des avocats d’expliquer les jugements. Maistout le monde ne se braque pas ainsi. Les « attendu que », constate le coordinateur de l’ouvrage, sont de moins en moins usités et les phrases raccourcissent.

La démarche des magistrats de l’ASM a, par ailleurs, suscité l’intérêt de certains avocats. Sous l’impulsion de l’ancien bâtonnier, Patrick Henry, leséditions du jeune Barreau de Liège planchent pour la rentrée sur une édition simplifiée du formulaire de procédure qui recense des centaines demodèles d’actes régulièrement utilisés par la profession. Pour citer un exemple, la formule toute faite « à l’honneur de vous exposer respectueusement,monsieur X, ayant pour conseil maître… » trouvera avantageusement à être remplacée par « monsieur X, qui a pour avocat… vous demande de bien vouloir…» CQFD.

1. Robert Graetz, secrétaire permanent de l’ASM :
– adresse : av. Général Michel, 1 B à 6000 Charleroi
– tél. : 071 32 86 23
– courriel : robert.graetz@asm-be.be
– site : www.asm-be.be

2. Dire le droit et être compris, Tome II Pénal, édition Bruylant, 2010, 22 euros.

3. Ce texte peut être consulté sur le site de l’ASM : www.asm-be.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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