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Regard critique · Justice sociale

«Il y en a, on demande, mais on sent qu’ils ne notent pas vraiment» ; «Je me sens respecté, mais cela se limite à l’agence, ils ne nous donnent aucuneautre piste, pas d’indication, pas d’autres infos, ils n’appellent pas, c’est un peu comme une loterie, il faut passer au bon moment»; «Les non-convenables, on nes’attarde pas, les peu qualifiés, on ne sait pas où les caser»; «On se sent vite classé, il n’y a pas de remarques désobligeantes, mais on sentqu’ils n’iront pas plus loin».
Ces quelques phrases sont extraites de témoignages recueillis à la sortie d’agences intérimaires par trois parlementaires Écolo, un Wallon : Pierre Hardy, unBruxellois : Fouad Lahssaini, un «fédéral» : Paul Timmermans et une assistante parlementaire wallonne : Caroline Évrard. Point de départ de la démarche: la prochaine ratification de LA directive de l’Organisation internationale du travail qui va permettre l’ouverture du marché du placement des travailleurs aux agencesprivées en supprimant le monopole du service public sur ce marché; sans compter la transformation imminente du T Interim en société anonyme de droit privé. Desmesures qui, selon les parlementaires verts, pourraient, si on ne met pas rapidement des balises, induire des effets pervers telle une plus grande marchandisation des travailleurs sans emploi.
Pour vérifier cette hypothèse, ils se sont donc rendus sur le terrain au 1er semestre 2001. «Dans un premier temps, nous nous sommes présentés nous-mêmes dansdiverses agences d’intérim, explique Pierre Hardy, parlementaire wallon. Nous nous étions construits une histoire et un profil mais très vite, on s’est aperçude l’indication “député” sur notre carte d’identité et si vous arrivez sans papiers, il n’est pas possible de recueillir des informations correctescar on vous invite à revenir avec vos papiers. Nous avons donc changé de méthode et décidé d’interviewer directement les personnes à la sortie desagences. Nous nous sommes rendus à Liège, Charleroi, Namur, Sambreville et Bruxelles afin d’explorer au mieux les disparités régionales.» Sans aucuneprétention scientifique quant à la méthodologie et à l’échantillonnage représentatif, les parlementaires ont ainsi effectué 25 entretiens donthuit en région bruxelloise.
Les constats
> Plus le niveau de qualification de la personne est faible, moins le temps investi par l’agence est important, parfois quelques minutes à peine.
> Peu de mise en réseau et d’informations relatives à des formations permettant à l’individu de sortir de la logique d’exclusion. «Il est obligéde revenir plusieurs fois par semaine entrouvrir la porte pour y espérer trouver enfin le job», commente Caroline Évrard.
> Des différences régionales ont été observées : l’accueil semble plus sympathique, tout en restant très technique, dans des régions moinstouchées par un taux de chômage élevé, tandis que dans les régions plus problématiques, les gens se sentent vite expédiés.
> Pas d’observation en tant que telle de discriminations, mais dans l’ordre du symbolique, les personnes les perçoivent comme larvées, signifiées de par le tempsd’attente, une communication verbale et non verbale peu empathique, pas de rappel et donc la nécessité de rappeler que l’on «existe» en passant plusieurs foispar semaine.
> Les personnes interviewées ayant travaillé dans le secteur de l’intérim font état dans leur témoignage de cette discrimination larvée. «Si,dans leurs représentations, le fait d’être en blouson ou avec des boucles d’oreilles et en plus basané n’est pas un problème, elles imaginent qu’ilserait peu sérieux pour l’agence de présenter tel ou tel candidat ou encore de prendre du temps avec celui-ci car, de toute façon, il est peu “vendable” carelles doivent répondre à des critères de rentabilité.»
> Le cumul de «handicaps à l’employabilité» ne favorise pas les meilleurs contacts avec l’agence. «En clair, si vous êtes peu qualifiée,que vous êtes femme seule avec enfants à charge et qu’en, plus votre nom a une consonance étrangère, vous passerez beaucoup plus de temps à frapper aux portesdes agences plutôt qu’à travailler pour elles.»
> «Nous avons aussi enregistré de la part des agences des demandes de divers documents et quelques personnes ont fait état de tests d’urine ou sanguins pour des jobs quia priori n’en requéraient pas, constate Caroline Évrard. Dans plusieurs cas, ces travailleurs sans emploi effectuaient ces tests à leurs frais. Cela pose à la foisla question de la légalité de ces pratiques et la question de la bonne information de leurs droits qui devrait être mise à leur disposition. Certaines agences ontégalement exigé que la personne s’inscrive uniquement chez elles.»
> Très peu d’infos sont données quant à la législation du travail intérimaire. «Des personnes se sont fait licencier sans que l’agenceintérimaire ne s’émeuve le moins du monde du pourquoi et du comment, il n’y a pas eu de suivi.»
> «De nombreuses personnes interviewées ont manifesté un certain fatalisme et ont ingéré les contraintes fixées par le marché comme normales,déplore Pierre Hardy : “C’est le privé, c’est normal, cela doit être efficace et rentable tout de suite, peut-être ne suis-je pas assezformé?” Elles n’ont plus aucune réflexion par rapport aux droits collectifs, tout est individualisé. Elles sont en fait porteuses en première ligne du rouleaucompresseur qui va les écraser.»
L’analyse
Les parlementaires préviennent : ils veulent éviter la stigmatisation des opérateurs privés qui s’occupent aujourd’hui de l’intérim et quipourraient demain s’occuper du placement. «L’objectif premier du secteur est d’être rentable et de faire des bénéfices, donc ils se positionnent en ce sensen éliminant les acteurs qui ne peuvent présenter pour diverses raisons un profil “exploitable”. Et c’est sans doute là qu’est le problème :pouvait-on ouvrir au secteur privé des secteurs où le champ du social, du relationnel et de l’économique s’enchevêtrent? Et ce, d’autant plus quel’intérim à l’instar du ‘just in time’ est devenu une manière de gérer son stock de ressources humaines à flux tendus. Ce sont lesfaiblement qualifiés qui en deviennent les premières victimes.»
Mais au-delà des constats sur la dualisation du secteur intérimaire (il y a ceux qui font le choix de l’intérim par le haut, ce qu&#821
7;on appelle l’intérimhaut de gamme et ceux qui subissent l’intérim par le bas, condamnés à la politique de gestion du personnel au «GSM»), les parlementaires Écolo veulentmettre en place un système qui oblige les agences à mieux informer les personnes et appréhender certaines personnes par une vision globale de leur histoire en termes de parcoursd’insertion. Ils réfléchissent également à un certain recadrage du travail intérimaire, non sans faire un appel du pied vers les syndicats. Avecl’adoption prochaine de l’OIT 181, la réforme du T-Intérim et du parcours d’insertion, ce n’est pas le boulot qui risque de manquer…
1 Groupe Écolo, Maison des parlementaires, rue Notre-Dame 9 à 5000 Namur, tél. : 081 25 94 65, fax : 081 22 99 01.

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