Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

L'Impromptu : une équipe mobile qui prend le temps (psychique)

A Namur, une équipe qui bouge pour les jeunes atteints de troubles psychiatriques.

21-11-2010 Alter Échos n° 305

L’Impromptu est un service qui offre un suivi psychiatrique ambulatoire à des jeunes en risque de rupture. Ce type d’équipes mobiles est présenté comme lapanacée pour répondre à l’enjeu de la délinquance de jeunes souffrant de troubles psychiatriques. Mais cela correspond-il à la réalité ? Entretiencroisé de psychologues de l’Impromptu, basé à Namur.

La prise en charge de jeunes délinquants qui souffrent de troubles psychiatriques fait régulièrement débat. Marc Elsen, député CDH au Parlement de laCommunauté française, s’est fendu d’une nouvelle interpellation sur ce thème, le lundi 15 novembre, en attirant l’attention sur l’augmentation du nombre de jeunes« abîmés » mentalement. A propos des jeunes ayant commis des faits de délinquance et souffrant de troubles psychiatriques, il a défendu« l’ambulatoire », c’est-à-dire l’accompagnement dans le milieu de vie.

Aux yeux de nombreux acteurs, traiter des jeunes chez eux ou dans l’institution qui les accueille paraît à première vue plus adapté qu’un enfermement en IPPJ et moinslourd que des placements en unités psychiatriques. Alter Echos avait proposé, dans son n° 302, un tour complet de la question.

Sur le terrain, des équipes mobiles – dites « d’outreaching » – sont déjà actives. Parmi elles, le service« L’Impromptu », à Namur, est souvent cité. Il a pour particularité d’être à la fois financé par le fédéral et par laCommunauté française, en l’occurrence par le ministère de l’Aide à la jeunesse.

Ouvrir un espace d’écoute

Les interventions de L’impromptu1, dont l’équipe est composée de psychologues, d’un pédopsychiatre et d’une infirmière sociale, concernent des jeunes qui ontdes problèmes psychiatriques. Plus de la moitié sont suivis par l’Aide à la jeunesse. L’équipe se déplace pour environ septante à septante-cinq jeunes par anet propose un suivi intensif avec une à deux visites par semaine.

L’idée de constituer cette équipe mobile, il y a déjà dix ans, a jailli du terrain, comme nous l’explique Christine Valvert, psychologue à L’Impromptu :« On s’est rendu compte des parcours de certains jeunes qui enchaînaient les désinscriptions, qui allaient d’institution en institution et qui nécessitaient des soins.On voulait accueillir cette situation d’impasse des familles pour empêcher une désinscription du jeune. Le travail de notre équipe mobile vise à ouvrir un espaced’écoute, à dilater le temps pour, à terme, trouver l’endroit qui convient aux jeunes ». Mais comment le temps se dilate-t-il ? Voilà une question complexe àfaire frémir les scientifiques de la planète. La réponse est néanmoins assez prosaïque : « Nous avons besoin de travailler avec le réseau, le SAJ,les CPAS, le tribunal, les écoles, les centres PMS, ce qui permet de soutenir un temps social et nous laisse plus de place pour le « temps psychique », qui n’est pas du tout le même que letemps social. Notre suivi peut durer d’un mois à trois ans. » Le travail de ce service namurois se situe donc à l’intersection de différents champs, mais, insisteChristine Valvert, « pas à la place d’autres services ». Pour que l’offre de parole réussisse, il est primordial que d’autres acteurs remplissent leur mission(éducateurs, assistants sociaux, etc.)

L’offre de parole est la clé de l’intervention de L’Impromptu. Celle-ci a des effets de « subjectivation ». Autrement dit, le jeune se réapproprie sa proprehistoire, ce qui pose les bases d’un suivi thérapeutique. Les psychologues de ce service insistent surtout sur leur souplesse d’action. Si, par exemple, le délégué del’Aide à la jeunesse les interpelle, l’équipe de L’Impromptu discute du cas, fait une première hypothèse et adresse une offre de soin, au plus près des situations,en prenant son temps. Les premiers contacts avec le jeune se font généralement selon des modalités que ce dernier aura définies « afin qu’une alliancethérapeutique se mette en place », affirme Thomas Hosselet, lui aussi psychologue à L’Impromptu, car « nous sommes ses partenaires ». Selon lui, cettefaçon de travailler permet un certain apaisement au jeune, notamment dans des cas de violence ou de décrochage. Quant à l’efficacité du service, on préfèreà L’Impromptu évoquer l’efficience : « l’efficacité ne se voit pas à l’œil nu car notre travail prend du temps. Le jeune est souvent dans le brouillardpar rapport à ce qui lui arrive. La solution, on cherche à ce que les jeunes la trouvent eux-mêmes, grâce à leurs propres ressources. » Si Thomas Hosseletavoue volontiers que dans certains cas « ça ne se met pas », les jeunes dont le suivi à L’Impromptu se termine, poursuivent leur parcours dans différentesdirections : maintien dans le lien social (maintien de l’inscription dans l’institution, ou maintien dans le milieu de vie), réorientation vers un autre service, place qui se libère enpsychiatrie (avec le consentement du jeune et de sa famille) ou encore changement « d’inscription sociale » (par exemple vers un internat).

« Certains de ces jeunes sont totalement lâchés »

Lorsqu’on fait état à l’équipe de L’Impromptu des récentes discussions relatives à l’ambulatoire, présenté comme une alternative à la foisà l’enfermement des jeunes délinquants ayant des troubles psychiatriques en IPPJ et à la fois aux placements dans des unités psychiatriques résidentielles, onperçoit de l’étonnement. Sous leur regard affûté de spécialistes, on comprend que la question ne se pose pas vraiment en ces termes. « Ici, c’est unemodalité d’offre dans le parcours du jeune, explique Thomas Hosselet. Pour sa réinsertion, c’est la collaboration entre les différents services qui importe. » PourChristine Valvert, qui renchérit, « se retrouver dans un cadre fermé peut apporter beaucoup de sécurité. D’autres jeunes ont besoin de soins adaptés dansune structure résidentielle. Les problèmes sont ailleurs. Je prends l’exemple de cette jeune fille de quinze ans, qui passe d’institution en institution, puis retourne chez elle,jusqu’au prochain acte de délinquance et quinze jours d’IPPJ alors qu’elle devrait être accueillie dans un service de psychiatrie à long terme. Mais beaucoup d’institutionspsychiatriques ont un ensemble de critères qui excluent les jeunes les plus violents. Le parcours de ces jeunes, les allers-retours entre institutions ne sont pas très pensés, etfinalement certains d’entre eux sont totalement lâchés, ce qui est très inquiétant. » Pour y remédier, Christine Valvert évoque volontiers lanécessité de &laqu
o; décloisonner » les secteurs, pour qu’ils travaillent ensemble, dans l’intérêt du jeune. Le décloisonnement, latransversalité sont les marottes introuvables du social… mais il faut chercher plus loin. Christine Valvert pointe une certaine méconnaissance de la psychiatrie au sein duréseau social : « Nous avons une bonne relation avec le SAJ, mais c’est plus difficile avec le SPJ qui a tendance à chercher une solution un peu toute faite pourarrêter l’affaire, alors qu’il faut toujours inventer. L’œil du social est parfois trop porté sur les manifestations des problèmes des jeunes, donc sur certains faits deviolence. Du coup, cela renforce la peur et entraîne de la précipitation dans les prises de décisions. »

Les réponses que la société offre à ces jeunes qui ont dérapé interrogent notre rapport à la violence. C’est du moins ce qu’affirme Thomas Hosseletqui a l’impression que le seuil de tolérance vis-à-vis de la violence est très faible : « il y a de plus en plus de mises en observation de jeunes enhôpitaux psychiatriques. Il arrive qu’une fille de neuf ans se retrouve en hôpital psychiatrique et « médiquée » à fond pour un seul acte dedélinquance. » Christine Valvert abonde dans son sens : « il y a un effet de sidération face à la violence, on se dit « c’est très grave », en effetc’est grave, mais ces jeunes sont ensuite laissés tomber. Pour nous le problème ce n’est pas le jeune. On accueille sa situation, mais on travaille avec ses parents, son entourage, pourdétendre des nœuds. Car la violence stigmatise et assigne à une place, vers l’exclusion. On essaye de désamorcer cette tendance car la violence est parfois lesymptôme d’un autre problème. On accompagne une personne pour que ce symptôme ne l’empêche pas de vivre avec les autres. » Aux dires de nos psychologues, c’est toujoursdans le lien à l’autre que se pose le problème, car ces jeunes qu’ils rencontrent évitent les autres et, parfois, les agressent car ils se sentent agressés. Des individusqui se sentent seuls, perdus. Le projet que défendent Christine Valvert et Thomas Hosselet tente de s’attaquer à cette réalité, en allant vers ces jeunes. ChristineValvert explique simplement son travail : « On essaye de recréer autour du patient une institution avec des intervenants qui gravitent autour de lui. »

1 L’Impromptu :
– adresse : rue Galliot, 22 à 5000 Namur
– tél. : 081 46 24 78
– courriel : impromptuasbl@hotmail.com

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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