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Regard critique · Justice sociale

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Je suis colère

La colère n’est plus contenue et s’est déferlée ces dernières semaines sur les rues de France et de Bruxelles. Insaisissable et composite, elle inquiète et questionne ceux qui d’en haut entendent ces cris. Dans les rangs politiques, la colère semble légitime, tant qu’elle n’est pas accompagnée de violences…

© Henry Burrow

Depuis le 10 décembre, la Ligue des droits de l’homme s’appelle la Ligue des droits humains. Ce changement symbolique permet de «réaffirmer que les droits humains concernent tout le monde par définition» et de «donner de la visibilité aux luttes contre les discriminations de genre afin d’atteindre une égalité réelle», a expliqué son directeur.

L’espace sémantique est aussi un espace politique. Comme l’explique Olivier Starquit dans son ouvrage Des mots qui puent (Éditions du Cerisier, mars 2018), «le langage n’est pas un simple outil qui reflète le réel, mais il crée également du réel en orientant les comportements et la pensée. Les mots portent, emportent avec eux une vision du monde, une logique politique».

C’est dans cet esprit qu’est né le documentaire radiophonique Charges déraisonnables, inspiré d’un terme utilisé par Maggie de Block, que vous découvrirez dans les pages de ce numéro. Il entend décortiquer le langage du pouvoir et décrypter «les concepts flous inventés pour brouiller les pistes, pour catégoriser et opposer les gens».

Les mots puent. Les discours tuent, aussi. Le 1er décembre dernier, le mouvement psychanalytique international ZADIG (Zero Abjection Democratic International Group) organisait un forum européen appelé «Les discours qui tuent», en réaction aux dérives extrémistes des discours populistes en Europe et dans le monde. «Une Internationale transatlantique de la xénophobie s’installe. Le langage qu’elle parle est simple, ses formules se résument à une pédagogie de la haine. Il y a nous, et il y a eux; il y a ici, et il y a ailleurs; il y a dedans, et il y a dehors; il y a les amis, et puis des ennemis; ceux qu’on connaît, et les étrangers», explique Geert Hoornaert, un des organisateurs du forum, dans un article à lire sur notre site(2).

Les intervenants – psychanalystes, juristes, philosophes et travailleurs de rue – ont souligné l’omniprésence du mot «peur», relayé par les politiques et certains médias. Un mot qui polarise, divise, diabolise certaines catégories – migrants, pauvres, chômeurs… – et justifie des politiques liberticides.

La peur. Et même la terreur est une émotion régulièrement mobilisée dans les discours. La Libre Belgique, dans un récent édito, rebaptisait les gilets jaunes «des citoyens, au commencement, mécontents et en colère» en «gilets de la terreur» semant la «haine et la violence»(3).

La colère n’est plus contenue et a déferlé ces dernières semaines sur les rues de France et de Bruxelles. Insaisissable et composite, elle inquiète et questionne ceux qui d’en haut entendent ces cris. Dans les rangs politiques, la colère semble légitime, tant qu’elle n’est pas accompagnée de violences. Qu’est-ce qu’une «colère saine» pour reprendre l’expression de Ségolène Royal dans le débat présidentiel qui l’opposait à Nicolas Sarkozy en 2007? Et que range-t-on du côté des ressentiments stériles?

Comme l’explique Frédéric Gros, philosophe et auteur de Désobéir (Seuil, 2017), dans les colonnes de Libération, «on voudrait une colère, mais polie, bien élevée, qui remette une liste des doléances, en remerciant bien bas que le monde politique veuille bien prendre le temps de la consulter. On voudrait une colère détachée de son expression. Il faut admettre l’existence d’un certain registre de violences qui ne procède plus d’un choix ni d’un calcul, auquel il est impossible même d’appliquer le critère légitime vs illégitime parce qu’il est l’expression pure d’une exaspération. Cette révolte-là est celle du ‘trop, c’est trop’, du ras-le-bol. Tout gouvernement a la violence qu’il mérite»(4).

Une colère que nous ne voulons ni contenir, ni nourrir, mais dont on s’efforce, page après page, de comprendre les ferments. Des histoires de droits humains, finalement.

Titre librement emprunté à Monsieur Manatane.

(2) «Ces discours qui tuent», Alter Échos, 3 décembre 2018, Pierre Jassogne. 

(3) «Populisme, haine et violence ou les gilets de la terreur», édito, La Libre Belgique, 8 décembre 2018, Dorian de Meeûs.

(4) «On voudrait une colère, mais polie, bien élevée», Libération, 6 décembre 2018.

Agence Alter

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