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Regard critique · Justice sociale

ISP à Esneux : encadrez-vous qu'ils disaient

Fin 2009, le CPAS d’Esneux1 faisait la fête à son projet d’insertion socioprofessionnelle. Le projet semblait néanmoins menacé par la clôture du PST 3et certaines incertitudes concernant la convention-cadre Forem-CPAS.

18-01-2010 Alter Échos n° 287

Fin 2009, le CPAS d’Esneux1 faisait la fête à son projet d’insertion socioprofessionnelle à l’occasion de la publication d’une étude sur le sujet par l’asblRTA. Le projet semblait néanmoins menacé par la clôture du PST 3 (Plan Stratégique Transversal-inclusion sociale 3) et certaines incertitudes concernant la convention-cadreForem-CPAS. Si l’ambiance paraît aujourd’hui plus sereine, la convention-cadre sera néanmoins réexaminée.

Petit flash-back : le premier décembre 2009 à Tilff, le CPAS d’Esneux faisait salle comble lors d’une journée dédiée au projet d’insertion socioprofessionnelledont il est le porteur. Il faut dire que l’occasion était belle puisque le projet, mis en place depuis octobre 2006 dans le cadre de la convention-cadre Forem-CPAS et qui englobeégalement Grâce-Hollogne, Neupré et Anthisnes, venait de faire l’objet d’une étude menée par l’asbl RTA2. L’étude identifie lesprincipes-clés fondant son apparente réussite en termes de taux de réinsertion ou en ce qui concerne le parcours des usagers. L’humeur aurait donc dû être à lafête… Or, ce jour-là, l’ambiance était lourde et les sourires pour le moins crispés.

Quelques jours auparavant, le CPAS d’Esneux venait en effet d’apprendre que les points APE (délivrés dans le cadre du PST 3) finançant les emplois des trois agents d’insertiontravaillant sur le projet étaient menacés pour cause de fin de parcours du PST 3, programmée en décembre 2009. Plus inquiétant, les participants pointaientégalement le flou entourant le devenir de la convention-cadre Forem-CPAS. Pour rappel, cette convention signée le 4 mars 2005 s’inscrit dans la dynamique de partenariat et de servicesintégrés du DIISP (Dispositif intégré d’insertion socioprofessionnelle) et a pour ambition d’amplifier les synergies entre les politiques d’insertion des CPAS et celles duForem.

Dans la salle, les mines s’assombrissent donc lorsque Bernard Marlier, président du CPAS d’Esneux, prend la parole : « Cela devait être une journée defête. Cela sera une journée à la belge, une journée de flou institutionnel… » Pour la conclusion, Marie-Françoise Sanglier, conseillère en chargedu dossier au cabinet d’André Antoine (CDH)3, ministre wallon de l’Emploi et de la Formation, a été dépêchée par l’élu CDH afin de rassurerl’assemblée. « Nous sommes sur la piste d’une solution », avait-elle déclaré, avant d’ajouter : « Le PST 3 prend fin en décembre2009, il faudra autre chose puisqu’il est important de ne pas couper cette initiative [NDLR : le projet ISP d’Esneux] dans son élan. Quant à la convention-cadre, celle-ci possèdeune vie indépendante, elle est structurelle… »

De bonnes nouvelles pour 2010 ?

Un mois et demi et une réunion du Comité d’accompagnement de la convention-cadre (qui ne s’était plus réuni depuis les élections) plus tard, les nouvellessemblent plutôt rassurantes : les points APE seront reconduits pour une année supplémentaire, même s’ils n’émargeront plus au PST 3. La convention-cadre est quantà elle reconduite (même s’il n’y aurait à ce jour aucun document officiel confirmant la reconduction) mais elle sera réexaminée. Dans ce contexte, les actionsdéjà existantes pour lesquelles une demande de reconduction a été introduite seront prolongées d’office jusqu’au 30 juin 2010. Après, ce sera le règnede la « nouvelle convention-cadre ». « Nous sommes entrés dans une nouvelle législature et la convention a déjà quelques années,déclare aujourd’hui Marie-Françoise Sanglier. Or, si nous disposons de chiffres assez globaux pour évaluer les impacts en termes d’insertion de la convention-cadre, il n’existepas d’analyse plus approfondie. Nous estimons donc qu’il est difficile d’opérer une sélection des projets sur cette base. Nous avons dès lors voulu nous donner du temps afind’effectuer un travail de fond pour faire le point sur la convention-cadre et mettre en lumière les actions positives. » Un travail de fond qui devrait s’étaler de janvierà avril 2010 et devrait également inclure une consultation des CPAS. Deux réunions du Comité d’accompagnement sont d’ailleurs prévues en janvier et enfévrier.

Si le but de l’opération ne semble pas être l’établissement de nouveaux critères de dépôt de projet stricto sensu, une plus grande formalisation desprocédures et une volonté de pouvoir dire aux porteurs de projet « à quoi nous [NDLR le cabinet] sommes attentifs » apparaissent comme des motivationsprobables du réexamen de la convention-cadre ; motivations auxquelles il se chuchote que s’ajouterait une volonté de donner une chance à l’émergence de nouveaux projets.Beaucoup d’initiatives « institutionnalisées » épuiseraient en effet une grosse partie de l’enveloppe financière disponible… Rappelons à ce proposque, outre les budgets propres des partenaires, la convention-cadre mobilise à l’heure actuelle un budget annuel de 400 000 euros à charge du Forem, ainsi que des revenus provenantnotamment du budget fédéral Intégration sociale comme l’arrêté royal « 500 euros ».

Le secteur attend

Du côté du terrain, on semble soulagé et l’on attend tout en ne prêtant pas malice aux décideurs politiques. « Le Comité a sauvé lesmeubles, nous dira un proche du dossier. Je ne pense pas, par exemple, que le cabinet d’André Antoine ait jamais voulu mettre les points APE en danger. C’est juste que le PST 3 estarrivé en bout de course, que ça a commencé à gueuler et qu’ils se sont alors dit « merde ». » De manière plus officielle, le soulagement paraîtégalement être de mise et la Fédération des CPAS4, par la voix de Christophe Ernotte, son directeur général, se montre plutôt satisfaite.« Nous ne voyons pas de problème à ce que la convention-cadre soit réexaminée, déclare-t-il. Nous verrons, mais personnellement je suis plutôtoptimiste quant à l’issue d’une réflexion à laquelle nous serons d’ailleurs associés. »

Si l’atmosphère est donc plus légère qu’à la veille des fêtes, du côté du CPAS d’Esneux, on reste tout de même vigilant. « Notreobjectif est que les nouveaux critères sortent le plus tôt possible afin de pouvoir nous préparer au plus vite, déclare à ce propos Jean Michel, coordinateur auservice insertion sociale et professionnelle du CPAS d’Esneux. Il ne faudrait pas que l’année passe sans que l’on puisse travailler dessus. »

Et si on parlait un peu de l’étude ?

Quoi qu’il en soit, l’étude menée en 2009 par l’asbl RTA
sur le dispositif ISP mené par le CPAS d’Esneux pourrait peut-être permettre aux initiateurs du projet d’avoirle recul nécessaire par rapport à leur pratique, un recul pouvant leur permettre d’« attaquer » au mieux d’éventuelles nouvelles procédures relativesà l’agrément dans le cadre de la convention-cadre. Il faut dire que cette étude se veut détaillée puisqu’elle propose une série de principes-cléspermettant d’expliquer la supposée réussite d’un dispositif ayant permis, entre 2007 et 2009, et selon les chiffres communiqués le premier décembre à Tilff, la miseà l’emploi de 50 bénéficiaires et l’entrée en formation de 17 autres sur les 139 personnes suivies au total. Un dispositif qui se composerait de cinq étapes : laconstitution d’une liste de personnes inscrites dans l’un des quatre CPAS partenaires et susceptibles d’entrer dans un processus d’ISP, une convocation écrite à une séanced’information obligatoire, la séance d’information proprement dite dont le but est d’« accrocher » les gens au parcours d’ISP, trois semaines de suivi collectif et, finalement, lesuivi individualisé.

Premier principe-clé, le dispositif tel que mis en place à Esneux provoquerait une brèche dans le processus de stigmatisation généré parl’idéologie de l’État social actif à l’égard des personnes sans emploi. Une brèche qui serait générée par les trois semaines d’approchecollective proposées aux personnes inscrites dans le programme. Organisé de 9 h à 12 h, tous les jours de la semaine, ce travail inaugure le suivi des personnes. Au programme :différentes activités de dynamique de groupe, des mises en situation, des rencontres et des visites, des échanges et des débats, des démarches de réflexionquant à l’emploi souhaité et aux compétences qu’il nécessite, une série de sensibilisations aux démarches à réaliser ou encore desinformations sur les différents acteurs mobilisables. D’après l’étude, « […] la démarche collective de trois semaines a pour but de relever lesressources des personnes, de mettre en évidence leurs compétences, de leur proposer un soutien qui sera apporté tout autant par les professionnels que par les autres membres dugroupe. […] Par l’écoute, par l’absence de jugement de valeur, les professionnels démontrent que tout ne peut être ramené au stigmate, que leuridentité sociale [NDLR celle des demandeurs d’emploi] ne se résume pas uniquement à l’absence d’emploi et à leur statut d’allocataire social. Cetteattitude non jugeante et empathique des professionnels est particulièrement mise en évidence par les stagiaires dans leur témoignage. […] Les trois premièressemaines organisées sur un mode collectif sont véritablement présentées par les personnes comme une étape-clé du processus. Elles permettent aux personnes deprendre conscience de la dimension collective de l’épreuve personnelle qu’elles vivent. En constatant que d’autres personnes de qualité vivent la même situation,les mêmes difficultés, elles comprennent que l’absence d’emploi ne leur est pas imputable individuellement mais qu’elle est une situation vécue parénormément de monde et qu’elle résulte davantage de faits de structure que d’une déficience individuelle. »

Deuxième principe, l’étude souligne l’importance croissante du capital culturel dans une société de l’immatériel où l’économie matérielle necesse de perdre du terrain. Dans ce contexte, note-t-elle, « […] Le dispositif d’insertion socioprofessionnelle étudié mobilise et solliciteparticulièrement ce capital culturel, dans un cadre qui ne se limite pas à une acquisition et à un développement utilitaristes de celui-ci. Cela provoque d’ailleursl’étonnement de certains usagers dans les premiers temps du suivi, notamment dans les trois premières semaines de travail collectif. En effet, les professionnels utilisent parfoisle terme de “formation” pour désigner cette première phase de travail. »

Un horaire d’entrepreneur ?

Dans une troisième réflexion, l’étude constate le développement, pour les chômeurs, de ce qu’elle appelle un temps contraint programmé « de fauxentrepreneur » fait d’échéances imposées par les intervenants sociaux ou encore d’injonctions à s’organiser un planning digne d’un chef d’entreprise ; unetendance imputable à l’État social actif, un système « […] fondé sur la croyance que les personnes sans emploi ne vivent qu’une forme de temps vide (« laglande ») et plus généralement, une forme de déstructuration complète du temps (« ils se lèvent à pas d’heure, ils sont incapables de respecter un horaire,etc. »). » Elle note également l’existence, pour les demandeurs d’emploi, d’un temps libre dévalorisé (le temps vide des personnes sans emploi) et d’un temps contraintd’urgence et de contraintes souvent dénié par l’intervention sociale. Ce dernier temps serait fait d’exigences et d’échéances diverses, notamment en lien avec certainesproblématiques et la situation familiale des personnes. Il ferait en sorte, surtout, que pour les personnes concernées par ce temps contraint d’urgence, trouver un emploi ne peut pasêtre la priorité.

Ce constat posé, RTA observe que « […] Tout d’abord, la formation collective de trois semaines, permet de suspendre ce temps contraint programmé de fauxentrepreneur que les personnes ont généralement intériorisé. La formation collective de trois semaines est basée sur ce principe : on va se « poser », prendre letemps de la réflexion, de chercher ce qui convient vraiment et, dans un même temps, seront également suspendus les convocations et les entretiens programmés par lesprofessionnels de l’action sociale. Les professionnels du service d’insertion insistent également sur l’inscription dans la durée et dans le temps que peut prendre leprocessus d’insertion socioprofessionnelle (une année), ce qui permet de réduire la pression sur les épaules des personnes quant à l’urgence de trouver unemploi. » La formation collective de trois semaines permet également de rompre avec l’expérience du temps vide dévalorisé et de faire au contrairel’expérience du temps contraint valorisé.

Enfin, concernant le fameux temps contraint d’urgence, « […] Les professionnels du service d’insertion socioprofessionnelle sont dès lors attentifs aux situations etaux problématiques que rencontrent les personnes, afin que la recherche d’emploi ne devienne pas une contrainte supplémentaire à laquelle les personnes ne pourrontrépondre faute d’un capital-temps suffisant. » Une temporalité qui semble d’ailleurs avoir frappé Jean Blairon, directeur de l’asbl RTA. « Dans lestémoignages que l’on a collect&eacute
;s, c’est cette notion de temporalité qui ressort beaucoup », déclare-t-il. Avant de continuer, en guise de conclusion :« Selon moi, un des points forts du projet d’Esneux consiste dans le fait qu’il ne s’enferme pas dans une logique utilitariste… »

1. CPAS d’Esneux-Tilff :
– adresse : place du Souvenir, 1 à 4130 Tilff
– tél. : 04 273 78 00.

2. RTA :
– adresse : rue Rélis Namurwès, 1 à 5000 Namur
– tél. : 081 74 67 48
– courriel : info@rta.be
– site : www.rta.be
3. Cabinet d’André Antoine :
– adresse : rue d’Harscamp, 22 à 5000 Namur
– tél. : 081 253 811
– courriel : andre.antoine@gov.wallonie.be
– site : www.min-antoine.be
4. Fédération des CPAS :
– adresse : rue de l’Étoile, 14 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 06 51
– site : www.uvcw.be/cpas

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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