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Regard critique · Justice sociale

Ceci est un cri du cœur au cœur d’une période tumultueuse. Après le raz-de-marée Covid, les plus jeunes d’entre nous sortent à peine leur frimousse avec le retour à l’école, donc à une certaine forme de «normalité» avec des guillemets très appuyés. Car ce retour express, précédé de multiples rebondissements, est placé sous le signe de la peur rampante qui continue à agiter le monde des adultes et dont l’ombre portée assombrit l’insouciance propre à l’enfance, déjà sévèrement entamée par ce méchant virus.

Dès les débuts du confinement, les enfants se sont retrouvés projetés sur le devant de la scène. L’orchestre parfois cacophonique des scientifiques s’est penché sur leur cas au microscope, soulignant leur potentielle «dangerosité» en tant qu’agents asymptomatiques de propagation du virus, et la nécessité donc de les garder à grande distance sociale du reste de l’humanité. C’est ainsi que pouf pouf: du jour au lendemain, au revoir l’école, envolés les contacts, balayées les visites, anéantis les échanges incarnés avec les ami(e)s, déconseillées les sorties. Bonjour les contacts virtuels, leur cortège d’inégalités et leur lot de frustration. Coucou la peur, l’enfermement, la morne répétition d’un quotidien sans relief. Ah, et re-salut finalement l’école, mais du coup, en bout de course, re-salut pour certains – horreur malheur –, les devoirs…

De nombreux experts se sont faits les porte-voix de la cause des enfants durant cette période inédite. Et les principaux intéressés dans tout ça? Qu’en pensent-ils? Est-ce qu’ils ont eu voix au chapitre? À défaut de «Social Bistrot» – il sera toujours temps d’y retourner et les enfants sont bientôt en vacances –, nous avons ressenti l’urgence d’aller tendre le micro aux petites personnes pour récolter leurs impressions, encore bien fraîches, sur cet «enfermement» temporaire qu’ils ont subi bien malgré eux.

Ça s’est passé un dimanche après-midi dans un parc. Pour brasser le plus large possible. Le langage des enfants est simple, direct et sans détour. Le micro les intimide souvent, les intrigue beaucoup, mais, dans l’ensemble, la spontanéité paie à coups de petites phrases, les mots fusent, mais la difficulté d’approfondir un sujet encore bien présent comme s’il appartenait au passé est palpable. Vivement les vacances!

Ce mortel ennui

De l’avis quasi unanime de la marmaille que nous avons approchée, Corona a rimé avec ennui. Un ennui profond, un ennui sans fond. D’aucuns disent qu’il est bon pour un enfant de s’ennuyer, que de l’ennui naît la créativité. Mais le procédé a ses limites. Tuer le temps lorsque le temps devient extensible à l’envi et sans perspective d’évolution n’est pas chose simple.

Tout naturellement, l’ennui se résume en une phrase pour notre premier marmouset:

«Pas d’amis, pas d’école, pas de choses à faire.»

Alors oui, dans un premier temps, passer plus de temps avec sa famille nucléaire, c’était plaisant. Ralentir la cadence, prendre le temps d’être ensemble, suspendre le cours d’un quotidien bien trop effréné qui laisse peu de temps finalement à un contact de qualité avec ses parents, ça fait du bien.

«On a plus de temps pour soi, je peux plus voir ma famille. Avant, je me réveillais le matin, on se disait juste bonjour. Vite vite se laver, manger le petit déjeuner, partir à l’école. Je passais toute ma journée à l’école, puis le soir les devoirs. Du coup, on ne parle pas vraiment.»

Cette constatation fait l’objet de plusieurs témoignages, mais elle est nuancée par le retour de l’ennui, qui rime aussi avec absence d’amis.

«On était plus les uns avec les autres. C’était cool d’être ensemble, mais on était trop ensemble, du coup on s’ennuyait ensemble.»

«Ce confinement, c’était à la fois chouette et ennuyant. Ce qui était chouette, c’est que je pouvais m’amuser à la maison. Ce qui était pas cool, c’est que je ne pouvais pas voir des amis. Aucune fois!»

«On faisait que jouer dehors et travailler.»

Un petit garçon me parle, visage fermé. Du haut de ses 6 ans, Luka me confie avec son petit accent:

«C’était pas facile parce que je fais rien à ma maison. Que jouer.

– Avec papa et maman?

– Non, avec mes jouets.»

Entre parents absents et overdose de parents, le contraste est frappant, car, selon l’une de nos sources, ennui et monotonie vont de pair quand on les fréquente trop souvent:

«On ne voit pas de nouvelles choses, on reste toujours sur les mêmes personnes. Les parents sont contents de se débarrasser de nous, mais nous aussi on est contents parce que, rester deux mois avec nos parents, c’est aaaah [Mime l’étranglement]

«J’adore mes parents, je les aime beaucoup, mais, voir toujours les mêmes visages, c’est pas marrant.»

Stress et peur

La peur s’insinue dans les esprits petit à petit, sur la pointe des pieds.

«Au début, ça faisait un peu peur. On ne savait pas si ça allait nous arriver. On avait peur de toucher à trop de choses. On voulait sortir, prendre l’air, voir des amis. On ne pouvait pas.»

Puis on comprend qu’il faut avoir peur pour les autres:

«De temps en temps, j’ai eu peur que mes grands-parents l’attrapent, mais c’est tout.»

Et, cerise sur le gâteau, voilà que nous nous rendons compte que ce sont les autres qui ont peur de nous.

«Je suis grande pour mon âge, on pense que j’ai 12 ans. Du coup, un jour je me promenais en rue et une dame a crié ‘Va chercher ton masque’. Je sentais que les gens avaient peur, surtout les vieilles personnes.»

«Ça m’énerve ce fichu coronavirus. Il tue plein de gens et c’est pas marrant. Les gens, ils ont trop peur. Quand je tousse dans la rue, les gens ont peur de moi. Moi je pense qu’on n’est pas porteuses. Mes amies disent que oui, mais moi je ne pense pas.»

C’est assez stressant tout de même comme situation. Et pendant ce temps-là, on voudrait s’exprimer, partager ce qui trotte dans la tête, mais on n’a pas l’impression d’être écoutés vraiment.

«Pendant le coronavirus, les enfants, on s’en fiche, on les met à la maison. On nous a posé des questions pour savoir comment on se sentait, mais après seulement, pas pendant…»

Le Jour de la marmotte

Dans ce film qui date de 1993, le personnage principal est amené à revivre inlassablement la même journée: même réveil, même enchaînement, même canevas, mêmes rencontres jusqu’au twist final évidemment. En écoutant ces voix d’enfants, j’ai repensé à ce scénario.

«C’était trop répétitif pour moi. Toujours le même rythme. Je me lève, je mange, je joue, je mange pour le midi. Soit je lis un peu une BD, soit je joue. Le soir, je mange. Et puis je vais aller me coucher en lisant une BD.»

«À la maison, on ne savait pas quoi dire. On passait toujours la même journée, tous ensemble, dans la même maison. On savait tous ce qui se passait; du coup on n’avait rien à se dire.»

La fracture technologique et le carrousel aux images

Pour compenser le manque, il faut se rabattre sur les nouvelles technologies. Mais, tout comme pour les apéros, ce plan B n’est pas satisfaisant dans la durée manifestement…

«Avec les copains, on se voyait que par Skype et c’était pas drôle.»

«Je me sentais triste, parce que je ne voyais plus mes amies. Toutes mes amies avaient un téléphone, pas moi. Donc elles ont créé un groupe WhatsApp pour ma classe, mais je n’ai pas pu participer. C’est pas cool pour les enfants qui n’ont pas de téléphone pour communiquer. Sur Skype, j’avais que trois amies avec qui je pouvais parler. Puis ça remplace pas le toucher, les câlins. Ce confinement m’a beaucoup énervée.»

Et puis l’éternel recours à l’écran pour occuper le temps.

«’Y a des trucs qui me manquent. Quand ’y avait pas l’école, je pouvais rester à la maison et faire keske je veux; moi ça m’ennuyait pas parce que j’avais plein d’écrans. Chez mon papa, hier, j’ai regardé plein d’écrans jusqu’à la fin de l’après-midi.»

Enseigner, c’est un métier…

… et papa et maman ne sont pas spécialement formés, sauf ceux qui ont choisi cette voie évidemment.

«Les parents, ils sont faits pour être des parents et nous apprendre des choses, mais pas pour apprendre les maths.»

Cette vérité absolue parlera, nous le pensons sincèrement, à une grande partie de nos lecteurs concernés.

Ce qui est bien du coup, c’est que cela donnait même envie de retrouver les bancs de l’école.

«Ce qui me mettait en colère, c’était faire les devoirs. Avec les parents, c’est pas vraiment leur métier de faire les devoirs. Et du coup, c’était pas facile pour eux et pour nous. On savait pas quoi faire. On s’énervait. On voulait vraiment aller à l’école du coup.»

Copains oui, devoirs non

Rapport à l’école, l’unanimité des sondés règne également. C’est avec un grand soulagement, pour de multiples raisons, mais essentiellement pour les amis, que le retour en classe-bulle a été accueilli. Sauf que, apparemment, quelques-uns des élèves manquent à l’appel.

«’Y a plein de copains qui ne reviennent pas.»

«Ça a été bien, mais mon meilleur ami est parti il faut juste attendre qu’on revient en primaire et je vais le revoir.»

Une exception confirme la règle. L’école – aurait-on tendance à l’oublier? –, c’est fait pour apprendre.

«C’est bien de reprendre l’école, sinon on aurait baissé d’un niveau.»

Puis surtout, l’école, c’est bien quand on ne doit pas faire de devoirs.

«Au début j’étais un peu triste parce qu’on allait y retourner, mais la prof est de plus en plus gentille, ’y a pas de devoirs et ça c’est cool.»

«À l’école, on n’a pas parlé du confinement. On a juste parlé du coronavirus et comment se laver les mains. J’ai bien compris qu’il fallait se laver les mains. Et puis on a refait des devoirs. Et ça, c’est nul.»

Fort heureusement pour tout le monde, cette reprise sera de courte durée. Les vacances pointent le bout de leur nez. Et la joie éclaire les mirettes des écoliers!

«Ce qui va être chouette, c’est que c’est bientôt les grandes vacances!»

«Je vais bientôt aller en vacances.»

 

Marie-Eve Merckx

Marie-Eve Merckx

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