Gérard Valenduc et Patricia Vendramin, qui dirigent le Centre de recherches Travail et technologies1, travaillent depuis une dizaine d’années sur les évolutions desconditions de travail liées à la massification des technologies de l’information et de la communication, dans les activités de services en particulier. Ils défendentl’idée selon laquelle qualité d’emploi et quantité d’emploi se génèrent l’une l’autre. Contrairement aux représentationscourantes, inspirées des théories économiques orthodoxes, la qualité des emplois n’est pas une question subsidiaire, à laquelle s’attaquer une fois quele volume de l’emploi désiré est atteint. Et défendre la qualité de l’emploi ne se fait pas au détriment de la quantité d’emploiscréés. Et ce tant au niveau de l’entreprise qu’à celui des politiques d’emploi d’une économie nationale ou continentale. Ils ont notammentexposé leurs vues lors de la conférence européenne « Pour une meilleure qualité de l’emploi » organisée par la présidence les 20 et 21 septembre.
L’attractivité de la demande d’emploi
Les auteurs partent d’un argument par l’absurde : ne soutenir que la quantité de l’emploi est contre-performant. Ainsi, les employeurs, particulièrement en hauteconjoncture, voient l’attractivité de l’emploi comme un facteur de productivité : salaires, rythme et organisation du travail, accès à la formation stabilisentle personnel. Des facteurs plus subjectifs comme « l’engagement de l’entreprise pour son personnel » sont aussi à prendre en compte. À l’inverse, faute d’unequalité minimum, des emplois qui devraient être créés ne trouvent pas preneur (on pense évidemment à l’exemple des centres d’appels) ou voient unerotation forte des personnes recrutées, un absentéisme important, ou des « pénuries de main-d’œuvre » comme une partie de celles dont on parle tant en Belgique cesderniers mois. « Un processus durable d’emplois nouveaux doit donc reposer sur une meilleure attractivité des emplois pour toutes les catégories concernées. »
En ajoutant aussi que l’augmentation du niveau moyen des qualifications des travailleurs, et des jeunes en particulier, provoque une augmentation des attentes par rapport àl’emploi et à la carrière, notamment en termes de développement des connaissances et des compétences.
La cohésion sociale
Autre niveau de considérations : le point de vue de la société. La création d’emploi peut n’être considérée que « comme un ajustementà court terme des entreprises à la croissance des marchés ». Les formes d’emploi alors privilégiées sont les contrats à duréedéterminée, l’intérim, le temps partiel imposé. « C’est ainsi que le regain de croissance économique observé en 1999-2000 s’est traduit, surle marché du travail, par une augmentation significative des CDD, de l’intérim et du temps partiel. » Et que le volume d’emplois fixes augmente de moins en moins en suivantla courbe de la croissance.
Or les travaux sur le travail atypique montrent que ces formes de travail ne se répartissent pas uniformément au sein de la population active. Le poids de la montée du travail demauvaise qualité pèse surtout sur les femmes et sur les jeunes les moins diplômés. Leurs trajectoires professionnelles sont les plus instables, « faitesd’insécurité, d’éphémère et d’exclusion ». À l’inverse, « même en situation d’incertitude, de nombreuses entreprisescontinuent à recruter des travailleurs qualifiés dans des emplois stables, alors même qu’elles réduisent l’emploi précaire. »
Conclusion : « Des politiques de soutien à l’emploi basées sur des ajustements rapides et conjoncturels aux fluctuations des marchés ou de la croissance favorisent unedualisation du marché du travail, elle-même source d’exclusion. »
Des politiques actives de l’offre et de la demande
Les politiques d’emploi des États et les politiques de développement des entreprises gagnent donc à partir du constat suivant : « L’amélioration de laqualité de l’emploi est le meilleur moyen pour augmenter l’emploi de manière durable ».
Si les principales marges de manœuvre pour faire augmenter significativement le taux d’emploi se situent, pour ce qui est de la demande, chez les femmes et chez les plus de cinquante ans, »deux types de mesures sont envisageables : des mesures institutionnelles de maintien au travail des plus âgés ou d’activation des demandeurs d’emploi inoccupés(incitants financiers ou fiscaux, législation, négociation collective) et des mesures organisationnelles au niveau des entreprises, de manière à maintenir ou àattirer au travail les catégories socioprofessionnelles concernées. Parmi ces mesures organisationnelles, la promotion de la qualité des emplois est certainement le meilleurmoyen d’atteindre ces objectifs, car, une fois encore, des taux d’emploi trop faibles sont le reflet de conditions de travail trop peu attractives ». Ainsi, l’amélioration dutaux d’emploi des plus de 50 ans passe par des mesures comme les formes de réduction progressive du temps de travail, la valorisation de l’expérience et de laréflexivité dans l’organisation du travail, la limitation de la pénibilité des tâches, etc. Car nombre de travailleurs âgés se retirent aussi dumarché du travail faute de perspectives de carrière ou d’attractivité de leur emploi.
L’économie de la société de la connaissance
Quatrième argument, en référence aux objectifs du processus de Lisbonne : la société de la connaissance s’accommode mal des emplois précaires etinstables, dans le sens où ils « ne permettent pas de s’inscrire dans une démarche de développement des compétences ». Vu les mutations liées notamment auxtechnologies de l’information, les besoins de main-d’œuvre sont en fait de plus en plus souvent des besoins de main-d’œuvre stabilisée. Les modèles d’ »organisation apprenante » permettent d’enclencher des cercles vertueux : « L’apprentissage produit de nouvelles connaissances, qui sont à la base de l’innovation, qui induitelle-même le changement et par conséquent un besoin renouvelé d’apprentissage », et des atouts dans la concurrence sur les marchés des biens et services, et donc dansla compétitivité.
Autrement dit, il n’est plus suffisant de se demander quelles personnes doivent retourner à l’emploi et comment, mais aussi, sur quels emplois les emmener. La thématique dela qualité de l’emploi interroge autant la dynamique de l’offre que celle de la demande sur le marché de l’emploi. Et elle force à penser lamain-d’œuvre comme une richesse plutôt que comme un co&u
circ;t.
1 FTU – Centre de recherches Travail et Technologies, rue de l’Arsenal 5 à 5000 Namur, tél. 081 72 51 22, fax 081 72 51 28, e-mail ; gvalenduc@compuserve.com, site web : http://www.ftu-namur.org
Archives
"Gérard Valenduc : "La qualité de l'emploi n'est pas une cerise sur le gâteau""
Thomas Lemaigre
24-01-2002
Alter Échos n° 129
Thomas Lemaigre
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