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Regard critique · Justice sociale

Europe : une communication pour ancrer les services sociaux dans le marché européen

La Commission européenne a adopté, le 26 avril 2006, une communication sur les services sociaux d’intérêt général (SSIG). Le document, attendu parles eurodéputés socialistes ainsi que par les professionnels du secteur social, cherche à protéger les services sociaux des vagues de libéralisation, et notammentde la directive « Services ». Présentation et premier décodage.

04-05-2006 Alter Échos n° 207

La Commission européenne a adopté, le 26 avril 2006, une communication sur les services sociaux d’intérêt général (SSIG). Le document, attendu parles eurodéputés socialistes ainsi que par les professionnels du secteur social, cherche à protéger les services sociaux des vagues de libéralisation, et notammentde la directive « Services ». Présentation et premier décodage.

Sa publication avait été maintes fois retardée en raison du débat sur la directive « Services » dans l’Union européenne (UE) – plusconnue sous le nom de « directive Bolkestein ». C’est que les deux textes sont étroitement liés. L’exécutif européen a, au dernier moment,adapté le contenu de sa communication lors du vote le 16 février de l’avant-projet de « directive Bolkestein ». Pour rappel, les eurodéputés avaientalors exclu du champ de la proposition du commissaire Frits Bolkestein la plupart des services sociaux ainsi que les services de santé. (Ces derniers feront l’objet d’uneinitiative séparée, a annoncé la Commission.)

Définir la spécificité des services sociaux

L’objectif affiché par la communication est à la fois de mieux définir la spécificité des services sociaux et de clarifier les règles communautaires dumarché intérieur et de la concurrence qui s’y appliquent. Ces services sont, selon la jurisprudence de la Cour de justice européenne, des services économiquesd’intérêt général (SIEG). C’est-à-dire qu’ils impliquent une rémunération de la part du destinataire, au même titre que le gazet l’électricité. Et ce, même si le service est remboursé par un tiers payant. Et comme les autres SIEG, la Commission veut les moderniser en les adaptant auxrègles du marché. C’est par exemple le cas des services de soins de santé.

Mais, insiste la communication, les services sociaux sont aussi des « piliers de la société et de l’économie européennes », qui assurent « unemission fondamentale de cohésion sociale ». Des « spécificités » d’autant plus justifiées que, selon le principe de subsidiarité (quiprécise qui, des États membres ou de l’UE, est le mieux placé pour agir), les autorités nationales ont la liberté de définir les services sociaux. Enclair, c’est l’État qui définit leur mission et leur organisation. L’UE n’intervient qu’à titre complémentaire. En outre, des exceptions auxrègles de la concurrence ont déjà été concédées – au logement social, par exemple. Et il y en aura d’autres. Toutefois, la Commission ne veutpas renoncer à son pouvoir de traiter les services sociaux, assimilés SIEG, « au cas par cas ».

À la recherche d’un compromis

Tout l’intérêt de cette première initiative réside donc dans la poursuite – ou non – d’un processus pouvant déboucher sur une propositionlégislative. Le groupe socialiste du Parlement européen réclame, lui, une directive-cadre.

Mais, pour l’heure, la Commission se lance plutôt dans l’inventaire de certains acquis du droit communautaire susceptibles d’être entrés en conflit avecl’organisation publique ou semi-publique des services sociaux. Ainsi, cite-t-elle la directive « Marchés publics », qui exige que les autorités nationalesétablissent des « spécifications » techniques pour les documents du marché, tels que les avis de marché, les cahiers des charges ou les documentscomplémentaires. Certains États membres et prestataires de services ont cependant souligné que les services sociaux étaient le plus souvent traités au cas par cas,et qu’il leur était par conséquent difficile d’établir par avance des cahiers des charges.

Pour résoudre ce dilemme, la Commission propose donc aux États membres, et aux prestataires de services sociaux en général, de se limiter à définir lesobjectifs à atteindre. Une telle méthode garantirait, selon elle, la souplesse nécessaire des services sociaux et assurerait en même temps une précision suffisantedans la détermination de l’objet du contrat ou du marché. Ce qu’elle dit moins, c’est qu’en adoptant cette méthode, on évince aussi la problématique dustatut de l’opérateur (public, privé ou les deux à la fois ?) et de ses rapports plus ou moins privilégiés avec les autorités nationales.

L’exécutif européen met aussi dans la balance les principes fondamentaux de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement du prestataire, enrappelant au passage que, dans ce contexte, les services exclus du champ d’application de la directive « Services » continueront de relever de l’application de ces règles etprincipes, au prix de recours devant la Cour de justice.

Illisible

Ainsi, toute la communication est-elle empreinte de cette même logique de « compromis » entre mission sociale et besoins du marché. Quitte à manquer de clarté.On retrouve cette recherche de conciliation jusque dans la définition des services sociaux proposée par la Commission.

Selon cette dernière, leur « spécificité » repose sur le fait qu’on peut les énumérer selon « deux grands groupes ». On aurait,d’une part, les services universels, tels que les régimes légaux et complémentaires de protection sociale (mutualistes et professionnels) couvrant les risques fondamentauxde la vie, la santé, la vieillesse, les accidents de travail, le chômage, la retraite, les handicaps. Et, d’autre part, les services de proximité ou « à lapersonne », assurant la « prévention et la cohésion sociale », tels que la lutte contre l’endettement, contre le chômage, contre la toxicomanie, contre larupture familiale, et la réhabilitation, la formation linguistique, le logement social… Tous ces services sont « spécifiques », dit la Commission, parce qu’ilsmettent en œuvre, chacun à leur manière, le principe de solidarité, le traitement des besoins au cas par cas, l’absence de but lucratif, la participation devolontaires ou de bénévoles, la proximité entre prestataire et bénéficiaire et, la plupart du temps, la présence d’un tiers payant.

Il n’empêche, ces secteurs en pleine expansion sont susceptibles de fortement contribuer à la croissance économique de l’UE ainsi qu’à lacréation d’emplois, insiste la Commission, pour introduire la seconde partie de sa communication sur l’application des règles communautaires aux services sociaux. « Ils’agit non seulement d’un secteur d’activité majeur et dynamique qui créera de nombreux emplois dans les années à venir, mais aussi d’unecomposante importante de la stratégie européenne de croissance et de création d’emplois. Les services sociaux sont un élément fondamental du modèlesocial européen, et il est dès lors primordial que les règles communautaires applicables dans ce domaine permettent un développement harmonieux de ce secteur », adans ce contexte déclaré le commissaire Vladimir Spidla, chargé de l’Emploi et des Affaires sociales.

Logique de marché

C’est ainsi que, derrière la spécificité des services sociaux, réside la « logique constante » du marché et de la concurrence capabled’améliorer leur qualité et leur efficacité, et de concourir aux réformes sociales des États membres. Un pas de deux qui fait dire à certains que letexte ne contribue guère à la protection des services sociaux. En cause, le rapport de force entre la direction générale (DG) Emploi et Affaires sociales et la DGMarché intérieur.

Plus précisément, la Commission prévoit de renforcer les liens entre services sociaux et marché. Elle déclare d’ailleurs que ce texte n’est «qu’une première étape » vers une « prise en compte plus systématique des services sociaux au niveau européen ». Plusieurs stratégies sontenvisagées : « l’échange de bonnes pratiques » entre États membres avec le « contrôle de qualité » et l’« implication del’usager dans la gestion » ; la décentralisation et l’externalisation des tâches du public vers le privé ; le développement des partenariatspublic-privé. « Cet environnement plus concurrentiel et la prise en compte des besoins particuliers de chaque personne, y compris non solvable, créent ainsi un climat propiceà une « économie sociale », marquée par la place importante des prestataires à but non lucratif, mais confrontée à l’exigence d’efficacité et detransparence », conclut la Commission, dans un ultime grand écart.

Le document rappelle enfin la contribution de l’UE au « développement » et à la « modernisation » des services sociaux, avant de citer le dialoguesocial, le Fonds social européen, les fonds structurels, la méthode ouverte de coordination (MOC) visant l’échange d’informations, l’intégration desrègles nationales et la pression sur l’assainissement des dépenses publiques.

Ainsi, le texte de la Commission n’apporte-t-il pas de grandes clarifications en ce qui concerne les règles de la concurrence ou la passation des marchés, et ne propose pasmême une définition claire des services sociaux, regrette un eurodéputé. Mais il donne, au moins, au Parlement une base de départ pour travailler.

Pour l’instant, la Commission a refusé de trancher sur la question d’une future législation. Elle préfère lancer une nouvelle étude sur la situationdans chaque État. Elle s’appuiera sur les résultats obtenus, ainsi que sur une consultation publique, pour publier tous les deux ans un rapport sur la modernisation, lajurisprudence et les nouveautés observées dans l’UE en matière de services sociaux. Le premier rapport est prévu fin 2007. Si la Commission a insisté sur lefait qu’elle envisagerait la solution législative si celle-ci s’avérait réellement nécessaire et juridiquement praticable, certains observateurs se demandentsi ce n’est pas plutôt la meilleure manière de repousser l’échéance aux calendes grecques.

nathaliev

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