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Regard critique · Justice sociale

Europe : ajustements en vue pour la protection des services sociaux

La commission européenne continue à vouloir organiser le social selon les règles du marché. Mais des inflexions apparaissent. Le Conseil du 6 décembre devraitpermettre des aménagements.

21-11-2010 Alter Échos n° 305

A défaut de la directive-cadre revendiquée par la majorité des coupoles d’acteurs « non profit » en Europe, les services sociaux d’intérêt général(SSIG) pourraient bénéficier bientôt d’un traitement plus favorable. C’est l’une de conclusions d’un Forum organisé les 27 et 28 octobre sous présidence belge.

La grande variété des cadres légaux nationaux de service public sert depuis longtemps d’argument à la Commission européenne pour justifier son refus de proposerun socle commun de règles (une directive-cadre) en la matière. Une telle proposition n’est toujours pas à l’ordre du jour. Même dans une définition réduiteaux seuls aspects sociaux (sous l’étiquette des SSIG), ces services n’ont jusqu’ici pas mérité, aux yeux de la Commission, un texte de portée horizontale. Jusque dans unpassé récent, elle n’a même pas hésité à lancer des procédures contre des mutuelles (en Belgique, notamment) ou des organismes de logement social (auxPays-Bas), accusés d’enfreindre le sacro-saint droit de la concurrence. Les choses pourraient toutefois être en train de changer.

Pour la présidence belge, qui a fait du social l’une de ses priorités, les instances diverses (mutuelles, associations, coopératives, centres d’aide sociale…) fournissantdes services de logement, de santé ou d’aide méritent une approche spécifique ou, pour le moins, un traitement de faveur dans l’interprétation des règles deconcurrence. Un Forum organisé à Bruxelles les 27 et 28 octobre lui a permis de marquer quelques points.

Plusieurs intervenants de haut niveau – et peu soupçonnables d’être des gauchistes primaires – ont laissé entrevoir des évolutions possibles. Ainsi KoenLenaerts, juge à la Cour de Justice, a-t-il rappelé que le Traité de Lisbonne offre désormais une base juridique pour protéger les SSIG. L’article 14 dece « Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (TFUE) dispose notamment qu’« eu égard à la place qu’occupent les servicesd’intérêt économique général parmi les valeurs communes de l’Union ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale etterritoriale de l’Union, l’Union et ses États membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d’application des traités, veillentà ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d’accomplir leursmissions ». Il précise que les institutions de l’Union « établissent ces principes et fixent ces conditions, sans préjudice de la compétence qu’ontles États membres, dans le respect des traités, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services. » Une base faible, mais mieux que rien. Un point d’appuipour les Etats membres qui veulent défendre leur modèle social.

Le traité incorpore aussi désormais une clause sociale horizontale (article 9 TFUE), qui stipule que « dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques etactions, l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à lalutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine ». Bien qu’il aitété critiqué à gauche au moment de son adoption, le traité de Lisbonne offre donc, selon M. Lenaerts, des possibilités réelles d’avancéessociales, en particulier dans le champ des services sociaux.

Le social n’est plus un gros mot

Egalement invité au Forum sur les SSIG, l’ancien commissaire à la concurrence et professeur d’université Mario Monti a souligné pour sa part l’importance d’œuvreraux aspects humains du marché intérieur pour que celui-ci rencontre à nouveau l’adhésion des citoyens. Dans un volumineux rapport rendu en mai à la Commission, M.Monti avait déjà souligné la nécessité de donner une place plus grande aux aspects sociaux dans le projet de marché unique, sous peine de voir lesEuropéens lui devenir hostiles1.

La Commission a d’ailleurs parfaitement assimilé le message. Ce n’est pas un hasard si, au second jour du Forum, elle a présenté son projet d’Acte pour le marché unique(Single Market Act), dans lequel elle s’engage à « adopter d’ici 2011 une communication accompagnée d’un ensemble d’actions sur les services d’intérêtgénéral » (proposition 25)2. Dans ce cadre, elle se propose notamment d’évaluer « l’opportunité d’étendre les obligations deservice universel à de nouveaux domaines au regard de l’évolution des besoins essentiels des citoyens européens ». Besoins qu’elle se garde pour l’heure depréciser : logement, santé, aide aux personnes sont autant de domaines où l’on pourrait imaginer une extension de la couverture universelle.

En présentant le document, le commissaire au marché intérieur, Michel Barnier, a tenu un discours clair. « Ce n’est pas un gros mot, le mot social », a-t-ildit. Il aurait pu dire « plus un gros mot », tant son prédécesseur, l’Irlandais Charlie McCreevy, s’est évertué à bloquer toutes lesavancées sociales. « Peut-être que le type de croissance, ou d’ouverture parfois mal maîtrisée, qu’on a eu depuis quinze ou vingt ans mérite d’êtreréorienté », a même ajouté M. Barnier. Le changement de ton ne pouvait être plus net. Reste à voir si, au-delà des belles formules et descatalogues d’intentions, la Commission prendra des initiatives concrètes.

La présidence belge veut en tout cas faire avancer le dossier des services sociaux au Conseil. Des conclusions sur le sujet seront proposées aux ministres de l’Emploi et des Affairessociales le 6 décembre. Avec un point concret : la mise sur pied d’un groupe spécial au sein du Comité de protection sociale (une instance consultative européenne),qui permettrait d’établir un dialogue permanent entre les vingt-sept Etats membres, la Commission, le Parlement et les acteurs du secteur. L’idée est de « faire remonter lesproblèmes concrets du niveau local par rapport aux règles communautaires », par exemple quand les règles de marché public ou d’aide d’Etat sont jugéestrop strictes, selon une source de la présidence.

Les CPAS, mutuelles et autres organismes sociaux pourront donc peut-être, dans un avenir proche, mieux se défendre au niveau européen, à défaut d’êtretotalement exonérés de la fameuse « concurrence libre et non faussée ». En attendant, le monde associatif et mutuelliste se remobilise en lançant unepétition appelant un cadre juridique volontariste pour les SSIG< a href="#footnote_body">3.

1. http://ec.europa.eu/…/monti_report_final_10_05_2010_fr.pdf

2. http://ec.europa.eu/…/single-market-act_fr.pdf
3. http://www.uniopss.asso.fr/section/…

Eric Walravens

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