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Regard critique · Justice sociale

Et si la France accueillait bien les immigrés ?

Qui sont les immigrés qui font le choix de l’exil et débarquent en Europe ? Comment sont ils accueillis ? Reportage à Strasbourg, dans une structurespécialisée.

27-02-2009 Alter Échos n° 268

La plupart des démocraties européennes, considérées comme d’authentiques pays de cocagne par les habitants du tiers-monde, attirent chaque année desmilliers de personnes venues y chercher une vie meilleure. Mais qui sont ces gens, transformés comme par magie en pures statistiques, et qui font le choix douloureux de l’exil ? Etcomment sont-ils accueillis ? Reportage à Strasbourg.

Un vendredi matin frisquet de février, Hautepierre, banlieue de Strasbourg. Le quartier, organisé en structures hexagonales qui le divisent en sous-quartiers baptisées «mailles », est un véritable dédale de tours de béton cerné de surfaces commerciales déshumanisées et de bretelles d’autoroute. Un spectacle banaldans le paysage français d’un ensemble classé en zone franche urbaine, objectif prioritaire de la politique de la ville. C’est dans ce quartier populaire, au sein du centrecommunautaire Martin Bucer, géré par la paroisse protestante locale, que l’association Contact et Promotion1 a choisi d’installer l’une de ses salles declasse. Contact et Promotion, animée par quelques salariés et de nombreux bénévoles, est une structure vouée à la consolidation du tissu social et quioriente ses efforts vers l’accompagnement scolaire, l’aide à la parentalité et l’apprentissage du français pour les étrangers. Le vendredi matin faitpartie des créneaux consacrés à cette dernière activité. Ce jour-là, une demi-douzaine d’apprenants sont réunis autour d’Isabelle Scheuer,leur formatrice. Les fenêtres de la salle donnent sur une petite école et un défilé d’enfants déguisés pour la période de carnaval fait souriretout le monde. Aujourd’hui, les stylos restent sur la table et les cahiers sont fermés. La présence d’un journaliste suppose un autre don de soi que l’écrit :celui de la parole.

Sourire est un courage

Libérer la parole est une épreuve lorsque l’on doit s’exprimer dans une langue qui n’est pas la sienne pour évoquer face à un public son parcourspersonnel : tout le monde s’observe en chiens de faïence, un ange passe… Vladimir2, un grand gaillard d’une cinquantaine d’années, est le premierà se lancer. Originaire de l’Est de l’Europe, il a été forcé de quitter sa terre natale pour des raisons qu’il qualifiera de « politiques ».Nous n’en saurons pas plus. Arrivé en 2003 à Strasbourg, avec femme et enfants et sans un sou en poche, notre homme ne bénéficie d’aucun relais personnel enAlsace. Il se tourne alors vers une structure d’aide aux réfugiés politiques qui s’emploie à lui trouver un hébergement d’urgence et engage pour lui unedémarche de demande de titre de séjour. Demande qui mettra deux longues années à aboutir, durant lesquelles Vladimir n’a pas le droit d’exercer un emploi etdoit loger sa famille dans un hôtel économique d’une zone commerciale située en périphérie de la capitale alsacienne. Pour vivre, il perçoit uneallocation (aujourd’hui nommée allocation temporaire d’attente), d’un montant d’un peu plus de 300 euros et destinée à assurer un revenu minimum auxdemandeurs d’asile pendant la durée de l’instruction de leur dossier. Une somme bien modeste pour faire vivre une famille… Au terme d’une éprouvante attente dedeux ans, Vladimir reçoit enfin ses papiers et commence à envisager l’avenir. Il trouve d’abord un travail dans un garage où il restera près de trois ans, puistombe au chômage il y a quelques mois. Vladimir décide alors de mettre à profit cette oisiveté forcée pour améliorer sa pratique de la langue française: « Dans mon pays d’origine, j’ai 25 ans d’expérience dans le métier de chauffeur poids lourds mais je ne peux pas l’exercer en France car je n’ai passuivi les formations nécessaires. Je veux donc absolument étudier le français et m’améliorer, de façon à pouvoir passer les examens et reprendre lemétier qui est le mien. »

L’angoisse de l’attente de providentiels papiers en règle, Blandine et Karine l’éprouvent actuellement. Ces deux jeunes femmes, respectivement âgées de22 et 24 ans et originaires du Rwanda (elles étudiaient la gestion et la médecine à l’université de Kigali), sont arrivées en France il y a un peu moins desix mois pour y rejoindre le reste de leur famille, réfugiée depuis plusieurs années. Suivre les cours de français dispensés par Contact et Promotion et tourner enrond dans le logement où leur famille les héberge constituent leurs occupations principales : « Sans papiers, on ne peut pas s’inscrire à la faculté etpoursuivre nos études comme on le voudrait. On ne peut pas non plus travailler… Même avec un toit sur la tête, c’est difficile de vivre sans argent dans un paysoù la vie est si chère. Et puis, on vit toujours dans l’inquiétude : l’attribution des titres de séjour est loin d’être une formalité. Onpeut très bien nous les refuser, ce qui signifierait le retour immédiat au Rwanda… »

Au fil des témoignages, les histoires se répètent. Les circonstances sont bien sûr fort différentes mais, sur le fond, on assiste au même bégaiementde destins confrontés aux mêmes difficultés, en butte aux mêmes obstacles : Kamel, Algérien immigré en France pour des raisons médicales, attend uneréponse à sa demande d’asile et vit pour l’heure chez l’un de ses cousins ; Karim, technicien en informatique de gestion venu du Maroc pour retrouver sa famille, nepeut exercer son activité professionnelle en France à cause de sa maîtrise hésitante de la langue ; Hazeena et son mari, originaires du Sri Lanka, ont obtenu un titre deséjour mais ne parviennent pas à décrocher un emploi dans une situation de crise économique déjà préoccupante pour les Françaiseux-mêmes… Dans ce contexte, les sourires affichés par ces gens, réunis autour d’une table, un matin froid de février dans la banlieue de Strasbourg, ont desallures de courage.

Une nouvelle peau

Rencontré un autre jour en un autre lieu, Athula se raconte davantage, probablement incité aux confidences par le contexte moins intimidant d’un entretien en têteà tête. D’une voix douce, il décrit son existence au Sri Lanka, son pays natal, et sa formation en mécanique automobile dans une école technique de Colombo, lacapitale économique. Il retrace avec une émotion mal contenue la mort de son frère, tué à cause de ses activités d’opposant politique, et son propreinternement dans un sinistre « centre de réhabilitation » où il passera
trois ans et subira des tortures qui fragilisent aujourd’hui encore son état desanté. Tiré de ce lieu terrible par son père – qui s’endettera pour payer sa libération – Athula fait appel à un réseau clandestin pourquitter ce pays qui est le sien, mais où il n’est plus en sécurité. Le jeune homme se retrouve donc un beau matin, sans contact et sans argent, sur un trottoir de Paris.Ses premières nuits en France, il les passera dans la rue, avant de faire connaissance avec des compatriotes qui acceptent de le prendre en charge et de l’aider à accomplir sespremières démarches. Dès lors, son histoire ressemble à celle de toutes les personnes rencontrées au cours de cette enquête : « Les Sri Lankais quej’ai rencontrés m’ont expliqué comment faire une demande d’asile politique. Je suis donc allé à la préfecture pour remplir les formulaires. Aubout d’un an, ma requête a été refusée. J’ai fait un recours et j’ai finalement pu obtenir mes papiers, après une année de délaisupplémentaire. Durant ces deux ans d’attente, mes compatriotes m’ont logé mais je n’avais pas le droit de travailler. J’ai donc été obligéd’accepter des tas de petits boulots non déclarés et très mal payés. J’ai fait la plonge dans des restaurants, distribué des prospectuspublicitaires… »

Son titre de séjour en poche, Athula se tourne vers une association d’aide aux réfugiés pour trouver un logement. On l’oriente alors à Strasbourg, oùil s’installe dans un foyer pour migrants. Il y est logé, nourri et bénéficie de cours de français. « J’ai commencé à chercher un emploi etj’ai été embauché dans un restaurant touristique de cuisine alsacienne. Le patron a profité de moi parce que je ne connaissais rien au droit du travail. Jetravaillais à plein temps pour à peine 500 euros par mois, sans compter les heures supplémentaires non payées… Il a fini par se séparer de moi lorsque jesuis allé lui réclamer mon dû. Après cela, j’ai été engagé comme vigile dans une entreprise de gardiennage. Puis je me suis retrouvé auchômage et j’ai à nouveau enchaîné les petits boulots. Sans aucun diplôme, c’est difficile de faire son trou, vous savez… »

L’horizon n’a pourtant pas toujours été aussi sombre : Athula s’est vu accorder la nationalité française en 2001 – un « privilège» de plus en plus rare aujourd’hui – et, fou de joie, il a pu accueillir ses parents en France pour la première fois depuis dix ans. « À présent que lasituation politique a changé, je pourrais retourner vivre au Sri Lanka, mais je n’en ressens pas le besoin. Mon pays, c’est la France désormais. J’ai comme unenouvelle peau, même si au fond de moi, je suis resté le même. C’est difficile de vivre ici quand on est dans ma situation, mais j’ai toujours trouvé des gens quim’ont aidé et je ne l’oublierai pas. » Un discours plutôt encourageant, en ces temps de méfiance et de repli sur soi…

Un réseau de solidarité providentiel

« Des gens qui m’ont aidé… » Telle est la formule magique qui revient sur toutes les lèvres. Ainsi, il est possible, en France, au XXIesiècle, de trouver de l’aide quand on en a besoin. Réconfortante nouvelle, dont on pouvait légitimement douter dans une société où lagénérosité devient une denrée rare. Chacun des migrants interrogés ici insiste sur le soutien dont il a bénéficié auprès de nombreusesstructures d’accueil, pour la plupart associatives. « Je dois beaucoup à des organismes comme Casas [NDLR : Collectif pour l’accueil des solliciteurs d’asile àStrasbourg], explique Vladimir. Ils luttent pour la défense des gens comme moi et les accompagnent dans leurs démarches. C’est vital, parce que lorsqu’on arrive en France,on est sans repères, complètement perdu. » Blandine et Karine acquiescent : « Pour nous aussi, ce soutien a été capital. C’est une association (Themis)qui nous a orientées vers un avocat pour nous aider dans nos démarches administratives. Elle nous a aussi donné les coordonnées de Contact et Promotion, pour qu’onpuisse parfaire notre connaissance du français. »

Léa Cumbo, titulaire d’une maîtrise en FLE (français langue étrangère) et formatrice salariée de Contact et Promotion pendant plusieursannées, le confirme : « C’est tout un réseau dont les différents leviers s’activent en interaction : assistantes sociales, structures d’aide auxsans-papiers ou aux réfugiés, centres de formation associatifs… Ce réseau travaille en cohérence, chacun est prescripteur pour les autres, en fonction des besoinsdes personnes qui sont prises en charge. C’est important, pas seulement d’un point de vue administratif mais aussi d’un point de vue humain. Par exemple, des cours tels que ceux quisont proposés par Contact et Promotion n’ont pas qu’une dimension pédagogique : ils créent du lien social, permettent aux gens de se rencontrer,d’échanger, de ne pas rester cloîtrés dans leur coin. »

La présence de tels dispositifs n’est pas anodine et ne va pas de soi, même dans une grande démocratie comme la France. Il importe sans doute de se réjouir de leurexistence mais aussi d’avoir conscience qu’ils peuvent être remis en cause à tout moment.

Un tableau trop parfait ?

Ce qui, au cours des entretiens menés pour les besoins de cette enquête, surprend le plus le journaliste toujours en quête de révélations et de controverses,c’est l’étonnant consensus de toutes les personnes rencontrées sur le bon accueil qui leur a été réservé. Vladimir, Blandine, Karine,Hazeena, Kamel, Karim et Athula : tous ne tarissent pas d’éloges sur les conditions dans lesquelles ils ont pu s’installer en France et sur la bienveillance manifestéeà leur égard par la population. Mais alors, quid du racisme, de la discrimination, des préjugés ? Si la situation est aussi idyllique, comment se fait-il, parexemple, que certains intervenants aient choisi de modifier leur prénom pour la publication de cet article ? Il y a sans doute des blessures que l’on préfère tenirsecrètes, des silences qui tiennent lieu de politesse.

1. Association Contact et Promotion :
– adresse : place Flaubert, 22 à F-67200 Strasbourg, France
– tél. : +33 3 88 29 94 15.
2. Certains prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

stephanel

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