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Enseignement

Enseignement qualifiant : le Contrat pour l’école a pris du retard… « Heureusement » ?

Pour le gouvernement de la Communauté française, l’enseignement technique et professionnel devait constituer « la priorité de 2006-2007 ». Laministre-présidente l’avait confirmé au Parlement : durant cette année scolaire, les efforts allaient se « concentrer particulièrement » sur laquatrième priorité du Contrat pour l’école : « choisir et apprendre un métier à l’école ». Le Contrat avait annoncé cinq axesd’action particulièrement ambitieux : rééquipement, redéploiement de la Commission communautaire des professions et des qualifications, organisation de stages pourtous, redéfinition de l’alternance et modularisation. Seuls les deux premiers chantiers ont significativement avancé. Pour de bonnes raisons disent les réseaux et legouvernement. Les syndicats regrettent, quant à eux, la priorité placée sur la spécialisation de quelques écoles techniques et professionnelles.

20-04-2007 Alter Échos n° 227
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Pour le gouvernement de la Communauté française, l’enseignement technique et professionnel devait constituer « la priorité de 2006-2007 ». La ministre-présidente l’avait confirmé au Parlement : durant cette année scolaire, les efforts allaient se « concentrer particulièrement » sur la quatrième priorité du Contrat pour l’école : « choisir et apprendre un métier à l’école ». Le Contrat avait annoncé cinq axes d’action particulièrement ambitieux : rééquipement, redéploiement de la Commission communautaire des professions et des qualifications, organisation de stages pour tous, redéfinition de l’alternance et modularisation. Seuls les deux premiers chantiers ont significativement avancé. Pour de bonnes raisons disent les réseaux et le gouvernement. Les syndicats regrettent, quant à eux, la priorité placée sur la spécialisation de quelques écoles techniques et professionnelles.

Le programme du Contrat pour l’école pour l’enseignement technique et professionnel a « effectivement pris du retard sur le calendrier prévu », constate Roberto Galluccio, le nouvel administrateur délégué du Cpeons (l’enseignement des communes et des provinces au niveau secondaire)1. Pour tout de suite ajouter« qu’il y a quand même des choses qui progressent comme les centres de technologies avancées ». Ce retard s’explique en fait, selon lui, tout d’abord par l’impact d’autres décrets, et particulièrement les décrets relatifs au premier degré.

Les effets de la réforme du premier degré

« La ministre et son cabinet travaillent avec méthode, confirme José Soblet, le secrétaire général de l’enseignement secondaire catholique (Fésec)2, ils se sont logiquement d’abord attaqués au premier degré avant de s’occuper du qualifiant ; et l’ampleur de la tâche a nécessairement entraîné du retard. » Il rappelle l’objectif du gouvernement : amener un maximum de jeunes aux compétences que tout élève devrait maîtriser à 14 ans (fin du premier degré du secondaire). « Le gouvernement espère que cela leur permettra de poser des choix d’options plus positifs : aller dans le qualifiant à partir de la 3e secondaire parce qu’ils en ont le projet, ce qui améliorerait également l’image sociale du technique et du professionnel », explique-t-il. S’il le partage, José Soblet estime toutefois qu’il ne faut pas perdre de vue que cet espoir « est en partie théorique, sinon angélique ». Pour lui, « il restera toujours une catégorie de jeunes pour lesquels le général sera un parcours du combattant ». Le secrétaire général de la Fésec estime toutefois positif pour ces jeunes en difficulté scolaire que le premier degré différencié ait été «institutionnalisé ».

« Nous devions effectivement travailler avec ordre et méthode », insiste Toni Pelosato, chef de cabinet de la ministre Arena. Tout le monde est d’accord pour le dire : il y a trop longtemps qu’on ne s’était plus préoccupé des élèves qui, en échec à la fin du primaire, sont orientés vers les classes de première Accueil et puis de là directement vers le professionnel. Toni Pelosato souligne d’ailleurs que le projet de décret a fait l’objet d’un accord unanime des réseaux et des syndicats. « D’ici les deux prochaines rentrées scolaires, il y a à présent tout un travail à réaliser pour mieux intégrer les sept possibilités de parcours qui existeront dorénavant au sein du premier degré », ajoute Roberto Galluccio.

Les CTA début 2008 ?

Le projet qui est objectivement le plus avancé est celui de la mise en place des centres de technologies avancées (CTA), prévue initialement pour 2007. Pour rappel, il s’agit d’équipements de pointe qui seront installés dans un petit nombre d’écoles (24 en Wallonie, 6 à Bruxelles). Ils seront à disposition des élèves et des enseignants de tous les autres établissements, quels que soient leur réseau d’appartenance. Ces CTA vont venir compléter l’actuel réseau des « centres de compétence » (dits « de référence » à Bruxelles), de plus en plus fréquentés par les enseignants et leurs élèves.

Prévu dans le « Plan stratégique transversal wallon » et dans le Contrat pour l’école, l’accord de coopération entre la Région wallonne et la Communauté française vient d’être conclu3, mais son pendant bruxellois « a pris un peu de retard », reconnaît Toni Pelosato. Les financements régionaux seraient donc assurés, et les budgets européens via le Feder seraient en bonne voie.

Mais comment seront choisies les écoles qui accueilleront ces CTA ? Les cahiers des charges qui déterminent les modalités d’accueil d’un CTA seront envoyés fin de ce mois dans les écoles pour permettre à celles-ci de répondre à l’appel à projet, expliquent le cabinet et les réseaux.

Les syndicats s’inquiètent de leur côté de l’état d’avancement du cadastre des équipements, qui était prévu pour 2006. « Ce cadastre est pratiquement nécessaire pour décider objectivement dans quelles écoles on placera les CTA », rappelle Prosper Boulangé, secrétaire général de la CSC-enseignement4. Il est rejoint par Michel Vrancken (CGSP-enseignement) qui craint que « les réseaux se partagent en douce le gâteau»5. De son côté, Toni Pelosato estime que « le cadastre est finalisé à 90 % dans le secondaire ». Nous ne désespérons pas de voir les premiers CTA pointer le bout de leur nez fin 2007- début 2008. »

Une spécialisation problématique ?

Sur le fond, Michel Vrancken voit dans les CTA « une tentative larvée de rationalisation ». « Ils vont entraîner une spécialisation des écoles : si elles organisent les mêmes options, les écoles des alentours d’un CTA ne seront pas concurrentielles et vont voir ces options mourir chez elles. »
« Il faut distinguer les effets en fonction des régions, nuance Prosper Boulangé : dans les grands centres, des écoles non CTA vont mourir. »

De plus ajoute Michel Vrancken, « cela risque d’aller à l’encontre des objectifs déclarés du gouvernement : la revalorisation du qualifiant par le choix positif des options du technique et du professionnel ; l’élève ne se déplacera pas dans d’autres régions pour bénéficier des équipements »up to date », ce qui ne conduira évidemment pas à plus d’orientation positive ».

« Il y a des budgets prévus pour le déplacement d’élèves venant d’autres écoles pour se former sur ce matériel de pointe »,rétorque José Soblet. Prosper Boulangé reste sceptique : « On risque de reproduire les difficultés que rencontre déjà le transport scolaire dans le spécialisé, comme des temps de voyage de plus en plus longs »…

Blocage pour la CCPQ

La Commission communautaire des professions et des qualifications (CCPQ) est cette instance qui a permis aux secteurs professionnels et à l’enseignement de définir ensemble ce qu’il fallait maîtriser comme compétences pour chaque métier (et donc produire des « référentiels », sur la base desquels ont été créés de nouveaux programmes dans le technique et le professionnel). L’objectif est de redéployer la CCPQ, c’est-à-dire élargir la réflexion à d’autres acteurs que l’enseignement pour que ces « référentiels » CCPQ soient utilisés par les acteurs hors enseignement : formation, entreprises…

Le décret de « redéploiement » de cette instance devrait sortir « tout prochainement » selon le cabinet. Mais l’avis du Conseil de l’éducation et de la formation (CEF), qui était censé précéder ce prochain décret, a été reporté en juillet 2006 puis définitivement bloqué enoctobre dernier : il ne sortira finalement pas… Des problèmes continuent en effet à se poser entre les partenaires socio-économiques, d’une part, et le monde de l’éducation et de la formation, d’autre part. En principe, des « référentiels de métier » devraient être définis par les premiers et les « référentiels de formation » par les seconds.

« Mais nous craignons d’être instrumentalisés par les acteurs socio-économiques », explique José Soblet. Les craintes de l’enseignement résident également dans l’articulation des deux types de profils : « Il faut nécessairement instaurer une logique partenariale de confiance qui garantisse que les qualifications dispensées par l’école et par les opérateurs de formation seront bien reconnues sur le marché du travail… »

La future Agence pour les qualifications et les professions (qui sera peut-être le nouveau nom de la CCPQ) n’est manifestement pas encore sur pied… alors que le Contrat pourl’école la voulait opérationnelle pour septembre 2006.

Stages, modularisation et alternance

Le Contrat prévoyait également que 100 % des élèves du 3e degré qualifiant soient en stage durant l’année 2007-2008. « Un tel objectif, c’est bien à annoncer devant les caméras de télé, juge José Soblet, mais pour avoir été à la tête d’une école technique pendant 23 ans, je peux assurer qu’il est déjà très difficile de trouver des stages pour seulement une partie des élèves, même pour des périodes plus limitées que ce qui est prévu dans le Contrat ».

Toni Pelosato admet que l’objectif n’est pas atteint, mais insiste sur toutes les conventions conclues avec des secteurs comme Agoria ou le secteur de la construction par exemple, et tout récemment avec l’automobile, l’électricité et la coiffure6. Mais ces accords restent flous : ils prévoient tout au plus que « le secteur s’engage à développer davantage les stages », sans objectif chiffré. « Il faudrait contractualiser avec les différents secteurs, au niveau fédéral, pour qu’ils s’engagent à dégager suffisamment de places de stage », estime José Soblet. Pour l’instant, constate-t-il, « tout est affaire de relations personnelles entre les écoles et les entreprises : il y a donc des écoles bien loties et d’autres mal loties. »

Toni Pelosato reconnaît que ce dossier excède les compétences de la Communauté française. « Mais rien ne nous empêche de revenir systématiquement à la charge pour que chacun prenne ses responsabilités. »

Quant à la modularisation7, Roberto Galluccio (Cpeons) se dit « sceptique quant à la réalisation de cet énorme chantier sous la législature actuelle ». Du côté du Ségec, on « essaie de se forger actuellement une opinion sur la question ». « Je trouve la modularisation intéressante si on peut dire à un jeune qui change de filière, qui a interrompu ses études, qui est en échec « Il te manque seulement trois briques pour avoir le mur complet de la formation que tu avais commencée et tu pourras le compléter grâce à trois modules sans perdre ce que tu as réussi jusqu’ici » », explique José Soblet.

Le Ségec se dit « partant pour des expérimentations bien cadrées ». « En Flandre, ils expérimentent la modularisation depuis dix ans, seulement dans quelques écoles professionnelles et ça ne s’est toujours pas généralisé, ni étendu au technique », note le secrétaire général de la Fésec. Sur ce plan, Toni Pelosato souligne qu’il aurait de toute façon été une erreur de se lancer dans les aspects techniques de ce dossier sans avoir engrangé des progrès dans les autres chantiers et particulièrement dans la réforme de la CCPQ, dont les travaux futurs devraient permettre de découper les formations techniques en modules.

Pour l’alternance, les différents acteurs se disent « dans le flou ». Côté wallon, des négociations sont en cours pour rassembler les différents outils de pilotage (comme Sysfal) sous une même coupole (celle d’Altis, gérée par l’Ifapme). Tout le monde admet que la réforme prendra plus de temps. Mais avecun point d’attention souligné par le chef de cabinet de la ministre Arena : « C’est l’intérêt de l’élève qui sera privilégié » (et non celui des structures).

Usine à gaz ?

Au-delà des questions de calendrier, Toni Pelosato estime que le cabinet a déjà abattu un travail d’une ampleur énorme. « On nous reproche plutôt d’aller trop vite… » Ce que confirme Roberto Galluccio : pour lui, il va falloir prendre le temps d’intégrer les effets des textes récents sur le technique et le professionnel (inscriptions, premier degré différencié, premier degré commun, etc.). « Franchement, sur le terrain, les acteurs sont un peu essoufflés.»
« D’autant plus que dans le qualifiant, les enseignants n’ont pas encore digéré les changements de programmes qui ont suivi les premiers travaux de la CCPQ », ajoute José Soblet.

Ces responsables de réseaux demandent également qu’on leur donne, à eux, le temps de travailler. Ils ne parviennent plus à suivre : CEF, Commission de pilotage, Conseil général de concertation de l’enseignement secondaire, etc., les réunions de concertation, de consultation, de pilotage et de coordination se multiplient. Et on va créer encore de nouvelles instances : une Agence de qualification, suite aux décisions européennes, un Conseil de l’Orientation, etc. Le CEF a d’ailleurs proposé de remettre à plat l’ensemble de ces instances d’avis qui commencent furieusement à ressembler à une usine à gaz…

Outre leur nombre, c’est le mode de fonctionnement de ces instances qui pose problème : « Les lieux où on trouve l’ensemble des partenaires semblent devenir inopérants à force de neutralisation, de consensus et de blocages », estime Prosper Boulangé. Dernier exemple en date, le réseau libre catholique a bloqué trois avis du CEF sur l’orientation. José Soblet souligne pourtant qu’ « un des chaînons manquants du Contrat pour l’école en matière d’enseignement qualifiant, c’est l’orientation ». « Dans les faits, elle est renvoyée aux familles, précise-t-il. Créer une structure coupole, une banque de données communes à tous les opérateurs de l’orientation n’est pas suffisant : il n’y a pas d’espace et de temps structurellement prévus dans les écoles pour travailler l’orientation des élèves dans la durée. »

Si nous demandons la transformation des avis du CEF sur l’orientation en simples fardes documentaires, c’est à cause de « l’utilisation que le gouvernement fait des avis », se justifie-t-il. « Le politique a pris l’habitude de s’appuyer sur certains éléments d’avis pour décréter directement, en prétendant qu’il y avait un consensus entre les acteurs ; mais sur des avis qui font 300 pages, il est impossible de donner son accord sur tous les points. » « Au CEF de trouver un mode de fonctionnement plus adéquat, par note de minorité s’il le faut », rétorque Toni Pelosato.

Statu quo ?

Face au report de certains chantiers dans le qualifiant, les syndicats soulignent aussi une grande contradiction : « L’ampleur de ce qui est proposé pour le qualifiant et le caractère inconnu des propositions font peur aux enseignants », avance Prosper Boulangé. Ce qui fait que beaucoup ne sont pas mécontents du retard pris par les mesures du Contrat pour l’école. « Mais dans le qualifiant, la pire des choses, c’est de ne rien faire : il va continuer à se dévaloriser et à voir les élèves le fuir », estime Prosper Boulangé . « Personne ne supporte le statu quo dans le technique et le professionnel, mais, comme ailleurs, les enseignants sont échaudés par la décennie précédente de réformes », confirme Michel Vrancken.

Or, poursuit Prosper Boulangé, « à part spécialiser quelques écoles de pointe en laissant mourir tout le reste à côté, on n’a encore rien fait sous cette législature, spécifiquement pour le technique et le professionnel ». Pour lui, en se centrant sur les quelques CTA, on a adopté une « technique de travail extrêmement centralisée » et « on élude une réflexion pertinente sur l’offre et les concurrences entre tous les établissements, à un niveau plus local, au sein des bassins scolaires ». Du côté du cabinet, Toni Pelosato relativise l’analyse des syndicats en soulignant qu’il reste une moitié de législature pour « travailler sur l’offre de formation par zones géographiques », un travail « commencé logiquement au premier degré », ajoute-t-il.

Question timing, les syndicats pronostiquent en tout cas que rien ne sortira plus « avant les élections du 10 juin » …

1. Roberto Galluccio était auparavant chef de cabinet de l’échevine de l’Instruction publique de la Ville de Bruxelles. Cpéons, rue des Minimes, 87–89 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 504 09 10.
2. Fédération de l’enseignement secondaire catholique, av. E. Mounier, 100 à 1200 Bruxelles– tél. : 02 256 71 41.
3. Voir le communiqué de presse.
4. CSC-enseignement, rue de la Victoire, 16 à 1060 Bruxelles –
tél. : 02 539 00 01.
5. CGSP-Enseignement, place Fontainas, 9-11 à 1000 Bruxelles –
tél. : 02 508 58 11.
6. Voir le communiqué de presse du cabinet Arena.
7. Modulariser une formation est la découper en unités restreintes (modules) indépendantes mais articulées, que l’on accumule pour obtenir un diplôme.

Donat Carlier

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