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Regard critique · Justice sociale

Élections : le souffle du peuple

Du social à la politique: «La fleur au fusil, mais sans illusion»

François De Smet, Isabelle Pauthier, Delphine Chabbert, Muriel Delcroix expliquent les raisons de leur engagement en politique

© Mathieu Van Assche

Alors que des citoyens se désintéressent de la politique, des personnalités issues des secteurs associatif ou non marchand font le choix inverse et se présentent aux élections régionales ou fédérales du 26 mai prochain. François De Smet, Isabelle Pauthier, Delphine Chabbert, Muriel Delcroix expliquent les raisons de leur engagement.

Crise de la représentativité, défiance à l’égard des responsables politiques, montée des extrêmes. La démocratie à l’ancienne a du plomb dans l’aile. Malgré ce désamour entre une partie des citoyens et leurs élus, des membres de la société civile, dirigeants associatifs ou personnalités issues de secteurs sociaux font le choix, pour les élections régionales ou fédérales, de présenter leur tête sur des affiches collées aux quatre coins du Royaume. Mais pourquoi s’embarquer dans cette galère?

Chabbert au chevet du PS

Delphine Chabbert fait partie de ce groupe des «personnalités issues de la société civile» à se présenter le 26 mai. Une prise de choix pour un parti socialiste aux abois, secoué par les affaires lors de la précédente législature.

Après dix années passées à Ligue des familles en tant que secrétaire politique, elle occupe une belle quatrième place pour les régionales à Bruxelles. «Ma condition, c’était de figurer à une place éligible, dit-elle. Car je quitte mon travail, je suis seule avec deux enfants, j’ai besoin de sécurité. Beaucoup de politiques ne se posent pas ces questions-là. Ils sont dans la politique depuis toujours et ont des ressources que je n’ai pas.»

Avant d’accepter l’offre du Boulevard de l’Empereur, Delphine Chabbert a longtemps pesé le pour et le contre: «Je doutais de mes capacités, c’est peut-être quelque chose de féminin. Beaucoup d’hommes ne se posent pas ce genre de questions. Je sais à quel point ce travail est ingrat. Avais-je vraiment envie d’aller dans un monde si déconsidéré, si peu valorisé? En plus au Parti socialiste, c’est quand même assez lourd.» Les semaines passent. Un contact avec Jean Spinette puis un lunch avec «Rudi», et c’est parti pour l’aventure électorale.

«Avais-je vraiment envie d’aller dans un monde si déconsidéré, si peu valorisé? En plus au Parti socialiste.» Delphine Chabbert, Parti socialiste

Deplhine Chabbert n’a jamais eu de carte de parti. «Mais j’ai toujours fait de la politique, précise-t-elle. À la Ligue des familles, j’ai voulu comprendre les besoins et essayer d’en faire des propositions concrètes à ‘vendre’ aux élus. C’est de la politique.» Quant au lien avec le PS, il s’est fait assez naturellement, «lorsqu’on parle de sécurité sociale, de redistribution, de questions éthiques comme l’IVG, le parti est irréprochable sur ces enjeux».

Irréprochable? Le terme est si fort que les mots «Samusocial» reviennent vite en mémoire. «J’ai posé des questions à ce sujet et j’ai reçu des réponses très franches. Les décisions qu’il fallait prendre ont été prises, et je fais confiance aux personnes avec qui je vais travailler. Je me sens très à l’aise dans cette liste; il y a des jeunes, une envie de fraîcheur.» L’un des enjeux qui intéresse particulièrement la candidate PS, c’est justement la gouvernance, ouvrir davantage le parlement bruxellois, via des tirages au sort, des panels citoyens, des commissions mixtes. Elle s’imagine bien comme le catalyseur d’un futur rapprochement entre le monde associatif et le PS: «C’est vrai que les relations entre le PS et les associations n’étaient pas toujours faciles. Il n’était pas évident d’amener des propositions, de débattre. S’ils sont venus me chercher, c’est aussi pour amener cette connexion-là.»

De Smet relève le défi

François De Smet est tête de liste à Bruxelles pour les élections fédérales, sous la bannière de Défi. L’ancien directeur de Myria, le Centre fédéral Migration, a aussi beaucoup réfléchi avant de franchir le cap, «car on parle d’un réel changement de vie. Le regard des autres change, la façon que l’on a de s’adresser à nous aussi.»

Ce n’est un secret pour personne, François De Smet a fait ses premières armes dans un cabinet libéral, celui de Hervé Hasquin. «J’ai été relativement proche du MR. Je n’ai pas l’impression d’avoir changé de ligne, c’est le parti qui s’est droitisé. À partir de 2014, il y a eu un basculement lorsque le MR a laissé les clefs des pouvoirs régaliens à la N-VA en se contentant de recadrer Theo Francken sans le sanctionner.»

«J’entre en politique en espérant que beaucoup d’autres gens y entrent. S’il y avait davantage de roulement, cela répondrait à une partie de la crise de légitimité des représentants.» François De Smet, Défi

Le temps de la politique en cabinet remonte au début des années 2000. Depuis, François De Smet enchaîne des carrières très variées. Tout à tour chroniqueur radio, directeur d’une AMO (service d’aide en milieu ouvert, aide à la jeunesse) ou auteur d’essais philosophiques, il change de métier tous les quatre-cinq ans. Ce qui le pousse à se lancer en politique, c’est avant tout l’époque, trépidante. «Nous traversons une crise de la représentativité. Une grande reconstruction est en œuvre. Dans ce contexte, j’ai l’impression que j’ai l’âge, l’expérience et l’envie de pouvoir aider». Cette «aide», il ne la donnera que pour une courte période. Cinq ans, 10 ans tout au plus. «La politique ne devrait pas être un métier, pense-t-il. J’entre en politique en espérant que beaucoup d’autres gens y entrent. S’il y avait davantage de roulement, cela répondrait à une partie de la crise de légitimité des représentants.»

François De Smet aimerait faire de la politique à sa façon, en «sortant du court-termisme». «J’ai la faiblesse de croire que des renforts comme moi sont sollicités avec l’idée de réconcilier action et réflexion.»

Bien sûr, le nouveau venu en politique apporte ses idées dans le domaine migratoire, l’une de ses spécialités. «D’un côté nous prônons le respect absolu des droits fondamentaux; cela passe par exemple par la fin immédiate de la détention des enfants en centres fermés. De l’autre nous pensons qu’il faut proposer du concret. Assumer une politique d’immigration économique par exemple.»

Mais François De Smet ne souhaite pas voir son rôle cantonné à celui de «Monsieur Migrations». Il se passionne des questions de climat, de fiscalité et, bien sûr, de gouvernance.

Au fond, en quittant Myria pour Défi, François De Smet «entre dans une force qui a le pouvoir de déposer des propositions de loi, peut-être de gouverner et d’être un acteur de changement beaucoup plus fort.» C’est à l’été que les premiers contacts se sont noués entre Défi et François de Smet. Son entourage s’est posé des questions: «On me demande si je ne suis pas trop ‘intello’ ou nuancé pour un monde qui repose sur le rapport de force, des mesquineries, des raccourcis et des simplifications. On me demande si j’aurai le courage de m’y fondre, mais je ne changerai pas.»

Pauthier, l’écologisme est un urbanisme

Isabelle Pauthier n’a pas vraiment peur du rapport de forces en politique. «Je suis assez virile», lâche-t-elle, le sourire en coin. D’ailleurs, elle n’hésite pas à lancer des uppercuts sans prévenir: «Cela fait 15 ans que la Région couche avec les promoteurs, c’est l’une des raisons de mon engagement.»

Celle qui a dirigé l’Atelier de recherche et d’action urbaines (Arau) pendant 21 ans est en 8e place sur la liste bruxelloise Écolo (qui ont huit députés sortants). Isabelle Pauthier pensait depuis longtemps se lancer en politique. «J’ai fait savoir que j’étais intéressée, j’ai rencontré Zakia Khattabi en décembre, et en février j’étais sur les listes.» Au travail, les collègues ont traversé «toutes les expressions de la surprise» mais se sont montrés compréhensifs. L’idée d’Isabelle Pauthier est clairement de travailler les questions d’urbanisme, sa spécialité. «C’est le terrain pour lequel je suis légitime», dit-elle. Ce qu’elle aimerait par-dessus tout, c’est «démocratiser les processus de décision en urbanisme. Ouvrir la porte de la chambre et allumer la lumière, car les décisions sont prises en secret. C’est un enjeu énorme pour recrédibiliser le politique».

«Cela fait 15 ans que la Région couche avec les promoteurs, c’est l’une des raisons de mon engagement.» Isabelle Pauthier, Écolo

Un vaste programme dans un monde politique que les associations ont du mal à convaincre. «Nous avons parfois l’impression de crier dans le désert. Donc à un moment je me suis dit, je vais passer de l’autre côté, afin d’essayer d’influencer le processus de décision, avec les mêmes valeurs, les mêmes idées que je défends ici.»

La défiance à l’égard des politiques, Isabelle Pauthier affirme la comprendre. «L’affaire du Samusocial a fait beaucoup de dégâts. Et à Bruxelles on construit des logements à 4.000 euros le mètre carré alors que 40.000 personnes sont sur liste d’attente pour un logement social.» La candidate Écolo prône davantage de participation, notamment dans les projets urbains, tout en soulignant l’importance «d’assumer des arbitrages» en bout de course.

Après les uppercuts envoyés, Isabelle Pauthier tempère un peu son propos. Elle rappelle qu’avec l’Arau, il a fallu travailler avec tous les partis. «Et je connais plein de gens de bonne volonté dans chacun d’entre eux», nuance-t-elle. La candidate se jette dans la bataille, «la fleur au fusil, mais sans illusion non plus.»

Au MR, être de droite et en même temps… sociale

Muriel Delcroix est candidate à la Région wallonne. Elle est 3e suppléante et espère bien siéger lors de la prochaine législature. Son écurie porte la couleur bleue. Le bleu du MR. Une affiliation pas si évidente à assumer dans les milieux où fourmillent les travailleurs sociaux. Car Muriel Delcroix est employée du service d’aide à la jeunesse de Tournai depuis plus de 12 ans. Elle évolue aujourd’hui au service de prévention générale. «J’ai envie de prouver que le préjugé ‘tu travailles dans le social, tu ne peux pas être de droite’ est faux.» La candidate MR se qualifie volontiers de «libérale sociale». Elle veut défendre haut ses «valeurs» et rappeler au parti qu’investir dans l’enseignement, dans l’aide à la jeunesse, c’est investir pour l’avenir. Muriel Delcroix n’est pas non plus une novice. Elle est conseillère communale à Brunehaut, élue sur une liste citoyenne «avec des cdH, des Écolos, des non-apparentés», et elle fait de cet ancrage local une force. «Les gens ici savent que je participe à la vie citoyenne de la commune.» Au MR, la candidate sait que ses convictions sociales «ne sont pas majoritaires», mais elle y voit une richesse, «cela permet une complémentarité», assure-t-elle, tout en défendant, au niveau fédéral, le bilan du gouvernement Michel. «Il y a eu des mesures sociales, assure-t-elle. Les salaires ont augmenté; et, finalement, la N-VA n’a pas empêché de gouverner le pays

«J’ai envie de prouver que le préjugé ‘tu travailles dans le social, tu ne peux pas être de droite’ est faux.» Muriel Delcroix, MR.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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