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Regard critique · Justice sociale
(c) Flickr Creative commons

Divercity, c’est un projet de recherche européen qui vise à combattre l’homophobie et la transphobie. L’ULB a choisi de faire un focus sur Charleroi. Entretien avec Isabelle Carles, chargée de cette recherche.

Alter Echos : Divercity a abordé la question de l’homophobie et de la transphobie dans les petites et moyennes villes européennes. Cela signifie-t-il que le phénomène est-il plus présent dans ces territoires ?

Isabelle Carles : Plusieurs recherches se sont penchées sur la situation des personnes LGBT dans les grandes villes, lieux qui paraissent constituer leur destination préférée pour plusieurs raisons, notamment l’anonymat qu’elles procurent et, en même temps, la possibilité d’être en contact avec des réseaux LGBT qui sont en général mieux organisés et plus étendus qu’en province. Peu d’études, en revanche, se sont intéressées au quotidien des personnes LGBT vivant dans les villes moyennes ou petites en Europe. La recherche Divercity voulait combler ce vide en se penchant sur le quotidien des personnes LGBT vivant dans six villes moyennes, à savoir, Gérone et Sabadell en Espagne, Charleroi, Nottingham en Grande-Bretagne, Thessalonique en Grèce et Wroclaw en Pologne. On ne partait donc pas du constat que la LGBT-phobie, qui est le terme employé dans la recherche pour couvrir les discriminations, propos et crimes de haine perpétrés contre les personnes LGBT, serait plus importante dans ces lieux-là mais que leurs manifestations et les moyens que l’on possède pour y faire face sont mal connus.

A.E. : L’étude s’est intéressé à Charleroi. Pourquoi ce choix ?

I.C. : Le choix de Charleroi est dû précisément à l’absence d’information sur le quotidien des personnes LGBT et des cas de LBGT-phobie dans cette ville, en raison notamment de l’absence de politiques LGBT et de structures ad hoc. Les questions LGBT ne figurent pas parmi les priorités de la ville. La politique d’égalité des chances est, par exemple, principalement consacrée à l’égalité entre les femmes et les hommes et le handicap. Il semblait dès lors intéressant de creuser le sujet à Charleroi.

Peu d’études, en revanche, se sont intéressées au quotidien des personnes LGBT vivant dans les villes moyennes ou petites en Europe. La recherche Divercity voulait combler ce vide

A.E. : Comment la population carolo ressent-elle la présence des personnes LGBT. Quels constats avez-vous pu en tirer ?

I.C. : A première vue, la population carolo est très tolérante vis-à-vis des personnes lesbiennes et gays. Elle l’est beaucoup moins à l’égard des personnes transgenres, une population qu’elle connaît moins et avec laquelle elle est peu en contact. L’étude d’opinion menée au niveau local, sur la base d’une enquête menée auprès d’une centaine de personnes interrogées, n’a pas permis d’établir avec précision s’il y avait des différences dans la population carolo en termes d’acceptation des personnes LGBT. La population est globalement très en faveur de la reconnaissance de droit égaux aux personnes LGBT.

A.E. : Comment les personnes LGBT se sentent-elles à Charleroi ?

I.C. : La recherche a montré que les personnes LGBT avaient des expériences de la ville très différenciées selon leur orientation sexuelle et leur identité de genre. Alors que les hommes gays se sentent à l’aise dans la plupart des lieux de la ville et dans leurs relations aux autres, les lesbiennes et les migrants LGBT paraissent moins intégrés dans l’espace public. Les personnes transgenres sont très à part en ce qu’elles ont le sentiment de ne pas être acceptées par la population, ce que l’enquête d’opinion révèle d’ailleurs. Cependant, toutes les personnes LGBT interrogées disent avoir ont été victimes de LGBT-phobie durant leur adolescence. De manière générale, la population LGBT ne demande pas que soient développés des lieux spécifiques gay-friendly mais est demandeuse de plus de visibilité, en étant par exemple davantage associée aux différentes activités organisées par la ville.

A.E. : Que dire des politiques à l’égard de cette population ?

I.C. : La Belgique est considérée comme un pays libéral au regard des personnes LGBT et la législation y afférant est bien développée. Mais, en dépit d’un cadre légal et d’une politique de lutte contre la LGBT-phobie conséquents au plan national, la prévention et le combat contre la LGBT-phobie au niveau local semble s’implanter très lentement à Charleroi. La ville n’a connu aucune implantation d’associations ou de lieux dédiés aux personnes LGBT, à l’exception de quelques bars et discothèques. Cette absence est spécifique à Charleroi car différentes structures, telles que des organisations LGBT sportives ou d’étudiants, existent dans d’autres villes de la région de taille équivalente. De plus, les autres villes de la région ont créé des maisons Arc-en Ciel qui regroupent des associations d’entraide et de loisir tournées vers la population LGBT. A Charleroi, il a fallu attendre 2016 pour que s’ouvre une maison Arc-en-Ciel – dont la création est principalement due à l’adoption d’un décret régional qui offre des subsides conséquents – et que soit créée une antenne locale du Centre pour l’Égalité des chances, dont l’objectif est d’assister les personnes victimes de discriminations, dont la LGBT-phobie. Pendant longtemps, il y a donc eu une absence d’intérêt politique pour les questions LGBT à Charleroi. Ce n’est plus le cas aujourd’hui depuis la création de la Maison Arc en ciel. La ville est donc plus engagée sur ces questions même si cela reste timide.

Alors que les hommes gays se sentent à l’aise dans la plupart des lieux de la ville et dans leurs relations aux autres, les lesbiennes et les migrants LGBT paraissent moins intégrés dans l’espace public

A.E. : Par rapport aux autres villes européennes étudiées avec Charleroi, les constats sont-ils identiques ?

I.C. : Charleroi tient une place à part par rapport aux autres villes du projet. Charleroi se distinguait des autres villes par son absence totale de politiques et de tissu associatif dédiés à la population LGBT, ce qui n’est plus le cas deux ans et demi plus tard, puisqu’il existe maintenant une Maison Arc en Ciel et une antenne locale d’UNIA. Par ailleurs, si l’on compare les résultats obtenus par Charleroi dans le cadre de l’enquête menée dans les villes participant au projet Divercity, Charleroi se singularise en ce que les enquêtés ont des difficultés à qualifier l’attitude de la ville à l’égard de la population LGBT. Charleroi n’est pas considérée comme un ville particulièrement accueillante à l’égard des personnes LGBT tant par la population de la ville elle-même que par ceux qui vivent en dehors de cette dernière. Elle n’est cependant pas considérée non plus comme particulièrement dangereuse ou hostile à la population LGBT alors que dans les autres villes le caractère gay friendly ou non de la ville était très apparent.

A.E. : Au-delà de votre recherche, la presse évoque de plus en plus fréquemment des actes homophobes un peu partout en Belgique. Le phénomène est-il en augmentation, selon vous ?

I.C. : Le fait que la problématique soit plus présente dans les médias n’est pas nécessairement à mettre en relation avec une augmentation des cas de LGBT-phobie. Les chiffres publiés par UNIA dans son rapport d’activité 2017 montrent par exemple une certaine constance dans le nombre de plaintes déposées sur le critère de l’orientation sexuelle depuis cinq ans (environ 80 dossiers par an, soit environ 3,5% de l’ensemble des dossiers). Ce qui signifierait qu’il n’y a pas d’augmentation significative des plaintes. Mais avoir une connaissance du nombre exact de faits ou de propos LGBT-phobiques relève de l’utopie, tant le phénomène continue à être passé sous silence par les victimes elles-mêmes, lesquelles ont parfois des difficultés à identifier la LGBT-phobie, connaissent mal les mécanismes de plainte, ou craignent, en cas de dépôt de plainte, d’être enfermées dans une identité unique. Il est donc indispensable de continuer à informer et à sensibiliser les personnes.

Propos recueillis par Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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