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"Des marionnettes en milieu carcéral : l'alternative d'un espace créatif et récréatif"

17-12-2001 Alter Échos n° 111

Depuis octobre dernier, un atelier de création de marionnettes est proposé à plusieurs détenus de la prison de Saint-Gilles. À raison de deux séances parsemaine, ils sont huit, âgés d’une vingtaine d’années, à s’impliquer volontairement dans un processuý créatif complet axé sur desmarionnettes issues directement de leur imagination et qui aura pour conclusion la présentation d’un spectacle. Le 19 décembre prochain, en effet, les parents, les enfants ainsique les petits-neveux et nièces pour les détenus qui n’ont pas d’enfant, assisteront à la représentation d’une pièce sous forme de contemédiéval. Une démarche initiée par une éducatrice spécialisée, œuvrant au sein de l’association «Dérives»1,orientée vers des publics ou des lieux au bord de la société.
«Fondamentalement, explique Sandra De Boerdère, animatrice et conceptrice du projet, il s’agit de mettre les détenus dans un processus créateur, par rapport àla prison qui a plutôt tendance à les limiter2. Car ils vivent malgré tout dans quelque chose de psychologiquement destructeur. En touchant chaque individu on en vient àcréer d’autres liens à côté des rapports et des tensions du quotidien – car la solidarité n’existe presque pas entre eux.» Or, tous lesparticipants, malgré les carences du départ, liées à l’image négative qu’ils ont d’eux-mêmes, en sont venus rapidement às’impliquer. Cela dans un travail échelonné en deux parties. La première développait «l’expression corporelle à travers des jeuxthéâtraux favorisant la confiance en soi et la rencontre de l’autre, la fabrication des personnages et des décors, les jeux théâtraux autour du thème etdes personnages choisis, le travail de la voix et l’apprentissage de la manipulation de la marionnette; la seconde englobe le travail de mise en scène et de répétitionsjusqu’à la représentation du spectacle», complète-t-elle.
Sortir des murs
La démarche met ainsi peu à peu en place un espace créatif par le travail qui conduit à l’expression individuelle et collective. Il est important de noter que lerecours à l’onirique permet de «sortir un peu des murs et de laisser de l’espace où les détenus peuvent parler de leur propre enfance. Ils se transportent horsdu quotidien (la nourriture, les rapports disciplinaires, les tensions entre clans ‘ethniques’ extérieurs qui se reforment intra-muros), sur les bases d’un conteentièrement écrit par eux». Pari gagné. À telle enseigne que, pour deux participants, l’atelier a déjà révélé descapacités artistiques, à partir desquelles les deux détenus ont envisagé un projet après leur sortie – en l’occurrence, pour l’un d’eux,ouvrir un atelier de sculpture en Afrique. D’autres se sont plutôt découverts grâce à l’écriture du scénario. En outre, l’ateliergénère un espace interactif. «La collaboration, note l’animatrice, les conduit à développer une solidarité, à s’unir autour d’unprojet et finalement à communiquer autrement. Les marionnettes constituent donc un excellent médiateur vis-à-vis d’eux-mêmes, des codétenus et del’extérieur», complète Sandra De Boerdère.
Sous l’angle de l’institution, les réactions sont à deux niveaux. Les gardiens furent d’abord étonnés du calme et des réalisations desdétenus. «Surtout sur un thème lié à l’enfance», note l’animatrice qui, sur ce point, ajoute : «Le but est aussi de créer un autreregard avec le personnel». La direction (renouvelée très récemment) s’y intéresse plutôt de loin. Elle a été sollicitée poursoutenir un projet similaire à Berkendael, l’équivalent pénitentiaire féminin situé juste à côté. Quant à la question de savoir sice processus créatif peut constituer une démarche favorisant une réinsertion future, Sandra De Boerdère nuance prudemment en concluant que «le projet pourrait servirde trait d’union dans le cadre d’une politique de réhabilitation».
1 Dérives asbl, rue Lanneau n°105 à 1020 Bruxelles – tél. & fax : 02 426 99 62.
2 La prison propose d’autres activités (yoga, guitare, football, art floral japonais ou les cours théoriques du permis de conduire), mais pas sous la modalité de projets oud’ateliers de création. Adresse : avenue Ducpétiaux à 1060 St-Gilles – contact : Patrick Gordts, surveillant chef.

Olivier Bailly

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