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Regard critique · Justice sociale

Santé

Delizée, ses collègues et la transversalité du handicap

Interview du secrétaire d’Etat à la Politique d’aide aux personnes handicapées, Jean-Marc Delizée, sur la transversalité.

11-09-2011 Alter Échos n° 322

Le 2 juillet 2009, la Belgique a ratifié la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. Pour Jean-Marc Delizée, la mise en œuvre de cetraité implique de mener une politique transversale. Interview.

Rampe d’accès flambant neuve, guichets abaissés pour les chaises roulantes, commande vocale pour l’ascenseur… La Finance Tower semble bien équipée pour accueillir lespersonnes handicapées. Et pourtant. A l’origine, les architectes n’avaient pas prévu grand-chose pour leur faciliter l’accès des lieux. C’était sans compter sur le faitque Jean-Marc Delizée (PS) y installerait un jour son cabinet. C’est ici, au septième étage, que le secrétaire d’Etat à la Politique des personneshandicapées 1 nous reçoit pour une interview sur un thème qui lui est cher : la transversalité.

AE : Il y a deux ans, la Belgique ratifiait la convention de l’ONU pour le droit des personnes handicapées. Concrètement, qu’est-ce que cela va changer pourelles ?

JMD : En ratifiant la Convention, la Belgique dans toutes ses composantes – Etat fédéral, Régions, Communautés – s’engage à tout mettre enœuvre pour permettre aux personnes handicapées d’accéder à leurs droits. C’est d’abord un engagement politique fort. Notre pays a par ailleurs signéle Protocole additionnel à la Convention, ce qui signifie que nous acceptons d’être évalués, qu’il y ait des procédures contre notre pays si des effortsraisonnables ne sont pas fournis pour rendre l’accès aux droits effectif.

AE : Le Protocole additionnel met effectivement en place un Comité devant lequel des personnes handicapées ou les associations qui les défendent peuvent porterplainte. Mais cette instance n’a pas de pouvoir sur les Etats…

JMD : Ce n’est pas une instance juridictionnelle mais je crois que cela aura un effet psychologique important. Aucun pays n’apprécie d’être pointé commele mauvais élève !

AE : La Convention prévoit un mécanisme de suivi au niveau des Etats. Durant l’été, un accord est intervenu en conférence interministériellepour confier la tâche au Centre pour l’égalité des chances. Comment ce rôle sera-t-il assumé ?

JMD : Une cellule est en train en se mettre en place au sein du Centre pour assurer la promotion, la protection et le suivi de la Convention. Pour chaque niveau de pouvoir, la celluleanalysera ce qui est fait ou non pour améliorer les droits des personnes handicapées. La mise en place de cette cellule est une décision qui implique un accord avec lesRégions et les Communautés. Et en Flandre, la N-VA fait partie du gouvernement. Dans le contexte politique belge, ce n’est pas si mal de le signaler.

AE : Sur votre site, vous écrivez que la politique des personnes handicapées est une compétence transversale « avec tous ses problèmes mais aussitoutes ses richesses ».

JMD : La difficulté, c’est qu’il y a beaucoup de décideurs impliqués : communes, intercommunales, provinces, Régions, Communautés, Etatfédéral. Cela fait 589 conseils communaux et autant de bourgmestres à convaincre. Sans parler des zones de polices, des CPAS… Ça fait beaucoup de monde ! Larichesse, c’est qu’il y a aussi beaucoup de personnes prêtes à retrousser leurs manches. Il y a une diversité d’initiatives et de bonnes pratiques qu’ilfaut promouvoir. Quand je suis arrivé ici, j’avais la conviction que mon rôle n’était pas uniquement de gérer une administration et de m’occuper de la politiquedes allocations, mais aussi d’être celui qui sensibilise ses collègues. Que mon rôle était aussi de les convaincre d’agir pour les personnes handicapées dansleur domaine de compétences.
AE : Comment comptez-vous vous y prendre ?

JMD : Le 20 juillet, le Conseil des ministres a approuvé ma proposition qui prévoit notamment de renforcer le rôle du Conseil supérieur national des personneshandicapées (CSNPH) 2. Cette instance composée de représentants du secteur remet des avis, soit de sa propre initiative, soit à la demande du ministre ou dusecrétaire d’Etat en charge de la politique des personnes handicapées. Mais les ministres qui ne sont pas en charge de ces matières n’ont pas cette préoccupation. Quandils prennent une mesure dans leur matière, il faut qu’ils s’assurent que celle-ci ne va pas à l’encontre des intérêts des personnes handicapées. Avec cette note, ilsse sont engagés à solliciter davantage l’avis du Conseil. La note prévoit aussi qu’une personne soit désignée dans chaque administration et cabinet pour veiller auxintérêts des personnes handicapées.

AE : Sans obligation, cela ne risque-t-il pas de reste un vœu pieux ?

JMD : Pour cette législature, les personnes ont déjà été désignées. Pour le prochain gouvernement, ayant ouvert la porte, je suppose que messuccesseurs ne vont pas la refermer. Le cas échéant, on pourra le leur rappeler. Mais je suis optimiste, il y a un consensus sur la question du handicap. Ce n’est pas un sujetpolémique.

AE : Récemment Karel De Gucht a suscité la polémique avec ses propos sur les personnes handicapées qui profiteraient du système. Vous avezqualifié ce débat de « tempête dans un verre d’eau ». Selon vous, on ne risque donc pas d’assister à un remake du débat surl’activation des chômeurs qui a divisé en partie francophones et néerlandophones ?

JMD : Je ne pense pas. Les chiffres qui ont été avancés par la sénatrice N-VA sont trompeurs. Elle parle de deux types d’allocations alors qu’il en existetrois. Si on prend en considération l’ensemble des allocations [NDRL y compris l’allocation pour les personnes de plus de soixante-cinq ans], la Région flamande représente58 % de la population belge et aussi 58 % des allocations de mon département.
La question de l’intégration à l’emploi des personnes handicapées se pose de la même façon dans les trois Régions. Nous devons tous,collectivement, améliorer l’accès à l’emploi des personnes handicapées qui le souhaitent et le peuvent. Il faut objectiver ce débat à la fois au seinde la fonction publique et du secteur privé, en concertation avec les partenaires sociaux.

AE : Régionalisation et transversalité sont-elles vraiment des concepts compatibles ?

JMD : Depuis 1980, nous vivons dans un Etat fédéral qui est l’organisation la plus adéquate pour un pays comme la Belgique. C’est un mode de gouvernancedémocratique et moderne. La transversalité dans un Etat fédéral comme la Belgique demande juste une bonne coordin
ation au sein de chaque niveau de pouvoir et entre lesdifférents niveaux de pouvoirs.

AE : Dans le rapport que remet la Belgique à l’ONU sur l’application de la Convention, on découvre tout de même qu’il n’y a ni définition commune du handicap, nistatistiques coordonnées pour le pays du fait que cette compétence est partagée entre fédéral et entités fédérées…

JMD : On manque de statistiques de façon générale sur le handicap. Dans une vie antérieure, j’ai mis en place un baromètre de la pauvreté. Iln’est pas possible aujourd’hui, par exemple, de croiser les données sur la pauvreté et celles sur le handicap. Notre connaissance statistique du handicap n’est pasoptimale. Il faut y travailler.

AE : La note du formateur Elio Di Rupo prévoit de transférer l’allocation d’intégration et d’aide aux personnes âgées auxRégions, qu’en pensez-vous ?

JMD : Je ne trouve pas cela anormal puisque les Régions ont déjà des compétences dans le domaine de l’aide aux personnes.

AE : Quel est le message que vous aimeriez transmettre au prochain gouvernement ?

JMD : J’ai indiqué trois priorités au formateur : la transversalité, la question de la grande dépendance (il faut créer un statut pour lesaidants proches que ce soit au niveau social et fiscal) et la réforme du système d’allocations. La législation sur l’octroi des allocations aux personneshandicapées date. Elle a été modifiée et remodifiée par des tas d’arrêtés royaux. C’est une législation lourde, complexe, quin’est plus adaptée aux besoins des personnes. Il y a vingt-cinq ans, l’accès à l’emploi n’était pas une priorité et on ne concevait pas queles personnes handicapées aient une vie affective. Ainsi, la législation actuelle pénalise les personnes handicapées qui travaillent ou qui sont en ménage avecquelqu’un qui a un revenu.

1. Cabinet Jean-Marc Delizée, Finance Tower
– adresse : boulevard du Jardin Botanique, 50 b à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 528 67 91
– site : www.delizee.eu
2. Conseil supérieur national des personnes handicapées, Finance Tower
– adresse : boulevard du Jardin Botanique, 50 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 509 82 24
– courriel : info@ph.be

Sandrine Warsztacki

Sandrine Warsztacki

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