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Regard critique · Justice sociale

Délinquance juvénile, l'avis du CCAJ

L’avis du CCAJ sur la délinquance juvénile et l’aide à la jeunesse. Interview de Guy De Clerq, son président.

27-04-2010 Alter Échos n° 293

Ces derniers mois, on a beaucoup glosé sur la jeunesse et ses errances. Mais on a peu entendu le Conseil communautaire de l’Aide à la jeunesse (CCAJ), l’instance d’avis du secteur.L’occasion était donc toute trouvée de donner la parole à son président, Guy De Clercq. Au menu : une sortie publique sur la délinquance juvénile et unavis sur l’orientation générale de l’Aide à la jeunesse.

Lorsqu’on parle d’Aide à la jeunesse, Guy De Clerq a un avis sur tout. Quoi de plus normal pour le président du CCAJ1, instance dont l’objet est justement d’émettredes avis ? Cet habitué des colonnes d’Alter Échos s’étonne que les dernières sorties du CCAJ n’aient pas suscité l’intérêt de la presse.

Pourtant, les sujets abordés étaient brûlants d’actualité.

Il faut dire que le boulot « d’émetteur d’avis » n’est pas toujours aisé, vu que les avis sont par essence non contraignants. Alter Échos l’avaitdéjà souligné dans un article intitulé « les avis du CCAJ servent-ils à quelque chose ? » (Alter Échos nº 283). Dernier exemple en date : la table rondeproposée par la ministre de l’Aide à la jeunesse, Évelyne Huytebroeck (Écolo), d’avril à septembre 2010. Un grand raout de spécialistes qui se penchera surla délinquance juvénile et les réponses à lui apporter. Certes, le CCAJ a pour mission de « remettre tous les deux ans un rapport sur le type et le nombre de placesnécessaires au sein des Institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ). »

Certes, le thème de la table ronde est tout à fait identifiable comme un thème de prédilection du CCAJ, qui représente l’opinion concertée du secteur del’Aide à la jeunesse. Pourtant, Guy De Clercq n’a pas entendu parler de table ronde. La stupeur cède place à une douce irritation : « Il existe déjà desorganes d’avis avec une représentation collégiale des différents secteurs de l’Aide à la jeunesse, dès lors, il est regrettable que l’on crée d’autresendroits de concertation auxquels le CCAJ ne semble pas associé. » Du côté du ministère de l’Aide à la jeunesse, on préfère tempérer,« la table ronde réunira certains acteurs du secteur de l’Aide à la jeunesse, mais sera plus large : elle réunira des magistrats de la jeunesse, des universitaires. L’avisdu CCAJ sur la question servira certainement de point de départ à la discussion. » Voilà qui est dit ! Reste à voir ce que propose le CCAJ sur le fond.

« Rappeler qu’il existe des alternatives à l’enfermement »

La délinquance des mineurs est quasi quotidiennement sous les feux de la rampe. Le CCAJ avait déjà publié des avis à ce sujet et a décidé de lesactualiser par le biais d’un communiqué de presse. Contextualiser le débat autour de cette question épineuse était nécessaire, selon Guy De Clercq, qui estimequ’avec cette communication, « c’est le caractère émotionnel qui était dénoncé. Les faits divers montés en épingle ont amené lesentiment qu’il y avait plus de problèmes qu’avant. En réalité, aucune statistique ne vient démontrer une aggravation de la délinquance juvénile. Il estnécessaire de faire la part entre cette minorité de jeunes qui commet des délits et une minorité encore plus infime qui franchit le cap des graves délits. La grandemajorité des prises en charge de l’Aide à la jeunesse concerne des jeunes en situation de danger. Dès lors, le CCAJ s’est exprimé très clairement contrel’augmentation du nombre de places fermées, contraire à l’esprit protectionnel du décret de l’Aide à la jeunesse et même aux textes internationaux. »

Malgré cet avis exprimé et répété, de nouvelles places fermées ont été ouvertes ces dernières années et certains politiquesjouent toujours les gros bras sur ces questions. Le CCAJ met un point d’honneur à rappeler qu’il existe des alternatives voulues par le législateur et qu’il faut respecter la gradationinscrite dans la loi, l’enfermement devant être cantonné au rang « d’ultime recours ». Ces alternatives ne sont pas toujours bien connues : « elles doivent seconcentrer sur le projet individuel du jeune. Il y a des actions réparatrices, des possibilités de médiation ou du suivi éducatif intensif. »

« Développer le suivi éducatif intensif »

L’intention de diversifier les mesures correspond en grande partie aux priorités affichées par la ministre de l’Aide à la jeunesse, notamment concernant ledéveloppement du suivi éducatif intensif, qui semble être une option privilégiée. Le hic, c’est qu’à l’heure actuelle, personne ne semble réellementsavoir ce que c’est. Guy De Clercq a une idée de ce qui pourrait se dessiner : « Il y a des projets qui existent pourraient inspirer ce fameux suivi éducatif, par exemple, lescentres de crise pour mineurs en danger. L’idée est d’intervenir rapidement dans certaines familles, car en absence de réponse rapide le problème devient très urgent. Cescentres de crise permettent d’intervenir dans la journée pour aider le jeune et la famille. Il s’agit d’un accompagnement court et intensif. Mais à l’heure actuelle, rien n’estprécisé. C’est un nouvel outil qu’il faudra construire et c’est à la Communauté française d’élaborer le projet, d’indiquer quels acteurs devront le mettre enplace. On peut bien sûr imaginer que le CCAJ sera sollicité pour la réflexion autour de cette alternative prévue par la loi. » La loi prévoit, mais les jugessuivent-ils ? Les alternatives disponibles sont-elles utilisées comme autant d’outils de travail avec les jeunes « ayant commis des faits qualifiés infraction » ?Pour y répondre, Guy De Clercq estime qu’une évaluation de l’application de cette loi est nécessaire, « mais pour que cela se fasse, un accord entre communautés etfédéral est nécessaire ». Le rôle des juges est donc primordial et Guy De Clercq a le sentiment que les juges sont seuls, « ils auraient besoin d’uneéquipe pluridisciplinaire pour prendre les décisions ».

Des CPAS qui se défaussent sur l’Aide à la jeunesse

Évidemment, le CCAJ n’a pas comme unique obsession de se prononcer sur la délinquance juvénile. L’autre grand pan de l’Aide à la jeunesse concerne les mineurs endanger, bien que les deux notions se recoupent parfois. L’avis nº 104 du CCAJ se penche essentiellement sur leur cas. Améliorer la récolte d’outils statistiques, développerla visibilité et l’information sur le secteur de l’Aide à la jeunesse, insister sur la
réforme des Conseils d’arrondissement de l’Aide à la jeunesse, en charge des actionsde prévention (réforme sur laquelle Alter Échos reviendra prochainement) font partie des recommandations du CCAJ. Guy De Clercq estime qu’il était nécessairede rappeler certains principes fondamentaux du décret : « Tout d’abord il faut remettre le jeune et sa famille au centre, en soutenant des initiatives comme le groupe Agora. ATDquart-monde et Luttes solidarité travail organisent des échanges autour du vécu de ces familles par rapport à des interventions des services de l’Aide à la jeunesseou des services de protection de la jeunesse. Le dialogue est parfois difficile avec ces familles car elles n’ont pas toujours eu de bonnes expériences. Mais elles sont importantes et il fautcréer des lieux pour les encourager. »

Un autre gros morceau de cet avis concerne l’importance que le CCAJ accorde au fait que l’aide doive rester supplétive et complémentaire. Ce principe fondateur du décret del’Aide à la jeunesse confie aux conseillers de l’Aide à la jeunesse le rôle d’orienter et de seconder les demandeurs vers des services de première ligne (par exemple, lesCPAS) « avant de prendre en charge lui-même les situations ». Pourtant, chaque année, le nombre des dossiers assumé par le secteur de l’Aide à la jeunesseaugmente de 3 %. Guy De Clercq est clair : « Cette inflation ne peut être due qu’à deux facteurs. Le premier est que les problématiques qui concernent lesjeunes augmentent considérablement. Pour cela, des analyses sont en cours. Pour les affiner, il est nécessaire de développer les outils d’analyse quantitative adéquats. Lesecond est que l’aide générale n’assume plus ses responsabilités. Dans certains arrondissements, des CPAS pensent que ce sont eux qui octroient une aide supplétive. Parexemple, lorsqu’il y a un problème de logement, cela crée plus facilement de la maltraitance et donc le mineur se retrouve – de fait – en danger, mais à la base cen’est pas un problème d’Aide à la jeunesse. » Les CPAS auraient donc tendance à se défausser sur l’Aide à la jeunesse, faisant exploser les frais des prisesen charge de ce secteur. C’est pourquoi le CCAJ, dans son avis, « s’étonne de l’absence de protocole entre les SAJ/SPJ et les CPAS ». Un protocole d’accord qui figurecertainement sur la « to do list » d’Évelyne Huytebroeck.

1. Secrétariat du CCAJ :
– adresse : bd Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 41 88
– site : www.ccaj.cfwb.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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