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Délégué général aux droits de l’enfant : j’ai fait le rêve…

Depuis le 1er septembre, la Communauté française n’a plus de Délégué général aux droits de l’enfant en titre. Du moins provisoirement.Claude Lelièvre a en effet renoncé à mener son troisième mandat à terme (2010) préférant partir à la retraite. L’occasion pour le Cide(Centre interdisciplinaire en droits de l’enfant)1 de se pencher sur la fonction et surtout de rêver à ce que pourrait être le délégué auxdroits de l’enfant idéal. Rêvons donc…

19-10-2007 Alter Échos n° 238

Depuis le 1er septembre, la Communauté française n’a plus de Délégué général aux droits de l’enfant en titre. Du moins provisoirement.Claude Lelièvre a en effet renoncé à mener son troisième mandat à terme (2010) préférant partir à la retraite. L’occasion pour le Cide(Centre interdisciplinaire en droits de l’enfant)1 de se pencher sur la fonction et surtout de rêver à ce que pourrait être le délégué auxdroits de l’enfant idéal. Rêvons donc…

Alors que Claude Lelièvre a pris sa retraite et que la procédure visant à lui désigner un successeur suit son cours (cf. encadré), uneconférence-débat organisée par le Cide se tenait ce 12 octobre à Bruxelles afin de se pencher sur le rôle et la fonction du futur déléguégénéral aux droits de l’enfant en Communauté française. La fonction existe depuis 1991 mais est réglée par un décret seulement depuis 2002. Et sid’aucuns s’accordent à reconnaître à Claude Lelièvre le fait d’avoir réussi à rendre populaire et accessible la fonction, on ne peut pas endire autant sur son bilan après seize ans de mandat. Du moins à écouter les différents intervenants de la matinée organisée par le Cide.

Vous avez dit indépendance ?

Premier à ouvrir le feu, Thierry Moreau, co-directeur du Cide, avocat et professeur à l’UCL, venu dresser un bilan de la fonction de déléguégénéral aux droits de l’enfant en Communauté française2. Il rappelle que le Délégué général aux droits del’enfant (DGDE) est un avant tout un « ombudsman » des enfants, un poste créé pour la première fois en Norvège en 1981 et plus tard dans de nombreuxautres pays. Et qui dit ombudsman, dit, cela va sans dire, indépendance de la fonction… « Or, en Communauté française, remarque Thierry Moreau, le DGDE peutdonner des apparences de manque d’indépendance » et de citer la présence de Claude Lelièvre sur les listes électorales, une audition par le Comité desdroits de l’enfant lors de la remise du rapport du DGDE en session avec le gouvernement plutôt qu’en pré-session avec les ONG, une nomination par le gouvernement, …« Dans certains pays, la fonction est collégiale, chez nous elle est personnalisée, comment dès lors assurer un pluralisme ? » Et Thierry Moreau de s’interrogersur la participation des enfants : « Ne faudrait-il pas les impliquer dans cette nomination du DGDE ? »

Défenseure des enfants

Sur la question de l’indépendance, en France, si on peut faire certains parallélismes avec la Communauté française, la fonction de « défenseur desdroits de l’enfant » comporte aussi des différences : elle est d’une durée de six ans non reconductible et le défenseur est nommé par le Présidentde la République. « Ce qui n’est pas non plus un signe d’indépendance, souligne Claire Brisset, défenseure des enfants jusqu’à l’annéepassée. J’ai à de nombreuses reprises souligné ce paradoxe même si j’en ai moi-même bénéficié : comment être indépendantquand on est nommé par l’exécutif ? Le Parlement peut lui aussi exercer des pressions par le vote ou pas du budget. Un aspect toutefois positif chez nous : l’arrêtaprès six ans. Humainement, c’est nécessaire, sinon on risque de se blinder, or, les histoires que je lis ou que j’entends quotidiennement dans mon bureau sont souventextrêmement tristes. Il est également important de pouvoir nommer soi-même ses collaborateurs. J’ai positionné l’institution au cours de mon mandat pourêtre la voix des enfants et cela n’a pas toujours été facile, notamment avec le monde judiciaire, il a fallu régler nos relations par une circulaire. J’aiégalement créé un comité des sages composé de parlementaires, d’experts, de pédopsychiatres, etc. mais aussi un comité des enfants pourqu’ils donnent leur avis sur le thème du rapport annuel remis au gouvernement. Il se réunit régulièrement. »

La participation des enfants

L’indépendance de la fonction a également été au centre de l’intervention de la Code (Coordination des ONG pour les droits de l’enfant), ainsiFrédérique Van Houcke, sa coordinatrice, rappelle elle aussi qu’il y a incompatibilité entre le fait d’exercer la fonction de DGDE et de se présenter sur uneliste électorale. Elle suggère que le DGDE soit nommé par un jury indépendant et qu’il ne fasse pas l’objet de nomination politique.

Quant à la participation des enfants au choix du DGDE, Frédérique Van Houcke cite l’exemple de l’Irlande qui, en 2003, a réuni des enfants durant deuxweek-end pour suivre une formation et lors du 3e week-end, leur a demandé d’entendre les candidats et de donner leur avis sur ceux-ci. Une manière de procéderqui ne convainc pas Ankie Vandekerkhove, Commissaire aux droits de l’enfant en Communauté flamande : « Je peux concevoir la participation des enfants mais s’ils sontconcernés, touchés, pas des enfants dans l’absolu. » Quant à la manière dont elle conçoit sa fonction : « J’ai toujours fait en sorte de nepas me positionner comme concurrente des autres institutions. Notre pays comporte assez d’organismes d’aide, le problème c’est que les enfants ne les connaissent pas et ignorent pourbeaucoup leurs droits. Je pense qu’il est important de conserver sa neutralité, sans être naïf non plus, personne en tant qu’être humain n’est apolitique,nous agissons tous avec notre sensibilité. »

Dominique Defraene, professeur à l’Université libre de Bruxelles, spécialiste des enquêtes Pisa, s’étonne pour sa part du peu d’interpellationsdans les rapports remis par l’ancien DGDE sur les origines socio-économiques des enfants, les problèmes scolaires, la relégation scolaire. « Le DGDE doit jouer unrôle plus politique. Entendez-moi bien, dans le sens noble du terme. La fonction doit être indépendante des partis politiques mais pas dépolitisée. »

Éric Janssens, substitut du Procureur du Roi, section jeunesse à Nivelles, insiste sur l’utilité du DGDE. « Il sert d’aiguillon, un peu comme Child Focusmais jusqu’à présent, il n’a pas suffisamment exercé son droit d’interpellation. L’enfant n’est toujours pas une priorité politique, nous leconstatons tous les jours. Ce sont les magistrats qui ont dû descendre dans la rue il y a quelques mois encore, pour dénoncer le manque de moyens notamment
, mais aussi le fait que 80 %des dossiers que nous recevons à la section jeunesse à Nivelles par exemple viennent du parquet. Il y a là quelque chose qui ne va pas. Ce n’est pas notre rôle enprincipe de descendre dans la rue ! Le vrai courage, c’est d’aller taper à la porte des institutions, le DGDE ne l’a pas fait assez. Il est nécessaire que la fonctionsoit exercée par une véritable équipe et sorte de la personnalisation, ça permettra aussi le cumul de nombreuses compétences et ne peut êtrequ’enrichissant. »

Quelle place pour l’action collective ?

Cécile Delbrouck, avocate, membre de la Commission jeunesse de Liège, soulève la problématique du règlement des cas individuels. « Il y ainégalité entre les enfants, certains bénéficient de l’intervention du délégué, d’autres pas. Vu le nombre d’actions individuellestraitées, on peut se demander quelle place il reste encore à l’action collective ? Nous avons également été étonnés de constater le peud’intérêt de Claude Lelièvre pour l’action de la Commission jeunesse de Liège. Les avocats voient souvent le DGDE comme un « enquiquineur », lorsquecelui-ci envoie une lettre à un magistrat comment faut-il voir cette initiative, comme une intrusion, une immixtion du politique dans le judiciaire ? Quant à sa désignation, jesuis favorable à un jury indépendant et à un jury d’enfants. »

Vincent Magos, directeur général adjoint de la Cellule de coordination de l’aide aux enfants victimes de maltraitance, a jeté quant à lui un pavé dans lamarre : « Il y a pléthore injustifiée d’interventions individuelles du DGDE, il est loin de n’intervenir qu’en dernier recours, en 2eligne…

Les campagnes lancées à son initiative le sont en l’absence de toute concertation avec l’ONE, l’administration de l’Aide à la jeunesse etentraînent des confusions dans l’esprit du public. J’estime quant à moi que la fonction du DGDE crée plus de nuisances qu’elle ne provoque d’effetsbénéfiques. Et en dehors du droit d’asile et des procédures de divorce, je pense que les droits de l’enfant sont grosso modo respectés dans notre pays.À côté des droits de l’enfant, il y a aussi les devoirs. » Un dernier argument manifestement peu partagé par les intervenants. Ainsi Ankie Vandekerkhove,Commissaire flamande aux droits de l’enfant, réfute, s’appuyant sur son expérience, le fait que les droits de l’enfant soient respectés dans notre pays etrappelle que les enfants connaissent souvent bien mieux leurs devoirs que leurs droits. Claire Brisset remarque que le réflexe de développement binaire sur les droits et devoirs ne peutêtre appliqué aux enfants. « Un enfant de 6 mois ignore ses droits et devoirs et un enfant n’est pas le même à 5 ans qu’à 16 ans. »

Parmi les suggestions faites au prochain DGDE, relevons encore celles d’Amaury de Terwagne, avocat au barreau de Bruxelles, qui propose que le DGDE accompagne les campagnesd’information mais ne les mène pas, qu’il puisse commander des études afin de mieux cerner certaines problématiques et qu’enfin il exerce un rôle decontre-pouvoir et ne dépasse pas la ligne rouge « entre défenseur des droits de l’enfant et défenseur des droits d’un enfant. »

Un véritable « poil à gratter »

Les conclusions de la matinée ont été laissées à Benoît Van der Meerschen. Le président de la Ligue des droits de l’homme n’y est pasallé par quatre chemins : « Claude Lelièvre a créé et imaginé lui-même le poste. Au départ, son mandat ne devait être renouvelablequ’une fois, il est parti au cours de son 3e mandat, ce n’est pas une bonne chose. Il y a là un risque réel de culte de la personnalité. Nous avonsactuellement un gouvernement PS-CDH avec par deux fois un DGDE qui s’est présenté sur les listes électorales socialistes. À l’heure du renouvellement dumandat, nous voulons une procédure fair-play et pas du cinéma d’il y a trois ans. Une exigence qui prend tout son sens à l’heure où la presse se faitl’écho de rumeurs insistantes sur la répartition de certains postes entre PS et CDH dont celui du Délégué général aux droits de l’enfant.Il faut un DGDE qui ait le courage de s’attaquer aux institutions, qui ait la possibilité de peser sur l’action politique, au sens noble. Le DGDE a brillé par son absencesur des dossiers comme celui du centre fermé d’Everberg, la réforme de la loi de 1965 qui sont pourtant des dossiers où il avait toute sa pertinence. Le DGDE doitêtre à notre sens un véritable contre-pouvoir, pas comme ONG mais comme interface. » Et Benoît Van der Meerschen de formuler son rêve : « Ce seraitvraiment magnifique si dans six ans, à la fin du mandat du prochain DGDE, il ait été tellement ‘poil à gratter’ qu’aucun parti politique n’aitenvie de le soutenir… »

Jean-Denis Lejeune n’est pas candidat

En attendant la désignation du remplaçant de Claude Lelièvre, qui devrait intervenir dans un délai maximum de six mois (après appel public, audition au Parlementde la Communauté française, remise d’avis par ce dernier et possibilité de recours à un jury extérieur), c’est le criminilogue Stephan Durviaux, quiétait jusqu’ici conseiller du Délégué général, qui assure aujourd’hui l’intérim. D’après un article du Soir du29 août, la course s’annonce serrée… et politisée : « PS et CDH poussent leurs candidats. Le MR aussi. Trois membres internes au service sont aussiintéressés. » Jean-Denis Lejeune qui a rejoint l’équipe il y a deux ans et par ailleurs poulain de Claude Lelièvre, avait dit réfléchir àla fonction, il vient de décliner. « Si je ne postule pas, c’est parce que j’aime ce que je fais aujourd’hui (NDLR : il est responsable de la communication et des projets). Ce n’est pasdu tout un manque d’ambition mais moi ce qui m’intéresse, c’est de communiquer, d’élaborer des projets, de faire du terrain, de rencontrer les jeunes, de les écouter, de lesaider. (…) La fonction de délégué implique plus de réunions. Il faut faire du lobbying auprès des politiques et des magistrats. Ca m’intéressebeaucoup moins. Quand Claude est parti, j’ai été un peu déçu et je me suis remis en question. Je rentre dans les conditions pour postuler et je ne doute pas de mescapacités à diriger une équipe. Par contre, au niveau des connaissances juridiques, je sens clairement mes limites. Et puis, ce n’est pas un titre qui va me rendreheureux. »3

L’appel à candidatures a été publié dans le Moniteur belge du 14/09/07. Les intéressés disposaient d’un mois à dater de ce jourpour déposer leur candidature accompagnée de divers documents dont un dossier incluant la vision et les ambitions du candidat quant à cette fonction. La décision seraprise au plus tard le 1er mars 2008.

1. Cide c/° Défense des enfants international asbl section belge francophone :
– adresse : rue Marché aux poulets, 30 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 209 61 62
– courriel : info@lecide.be
– site : http://www.lecide.be

2. Délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant :
– adresse :rue des Poisonniers, 11-13, bte 5 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 223 36 99
– répondeur : 02 223 36 45
– fax : 02 223 36 46
– courriel : dgde@cfwb.be
– site : http://www.cfwb.be/dgde

3. In La Dernière Heure du 12 octobre 2007.

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