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"Convention d'intégration et mise au travail par les CPAS : deux évaluations"

03-12-2001 Alter Échos n° 110

Le débat sur la réforme du minimex a ces dernières semaines remis sur la scène publique un problème clé : la politique belge de revenu minimum n’ajamais été évaluée. Bien sûr il existe le Rapport général sur la pauvreté, les rapports annuels bruxellois et encore d’autresétudes. Elles ont un caractère plus général (la lutte contre la pauvreté, etc.), ou adoptent un angle d’approche assez précis (les jeunes,l’article 60§7, etc.).
Le manque d’évaluation devient criant quant aux politiques de contractualisation et quant aux politiques d’insertion sociale ou/et professionnelle des minimexés, qui depuisles années 90 se sont imposées comme les voies obligatoires pour les réformes de cette politique de revenu minimum. Deux documents font cependant exception, chacunévaluant cette problématique de l’insertion à partir d’un angle particulier et non généralisable à l’ensemble de la politique :
> l’étude “Évaluation de certains aspects du Programme d’urgence dans les grandes villes”1, réalisée en 1996 par la Fondation Roi Baudouinà la demande du secrétaire d’État Jan Peeters,
> et le rapport “Les CPAS wallons face à l’insertion socioprofessionnelle en 1996”2, commandée aux sociologues du centre TEF de l’ULB par le ministreTaminiaux3.
Dédramatiser
Le rapport de la FRB contient deux gros chapitres qui se penchent sur les conventions d’intégration introduites en 1993 par le “Programme d’urgence pour unesociété plus solidaire”.
Dans une première étape, le contenu de 1.143 conventions a été examiné dans dix CPAS à partir des critères formels de la loi de 93 : la convention
> doit décrire un projet individualisé,
> contenir des objectifs et des étapes concrets,
> reprendre des engagements réciproques,
> mentionner les possibilités de contributions de tiers,
> prévoir une évaluation.
Une partie des CPAS utilisent simplement et systématiquement la convention comme une formalité. Ils ne changent pas leurs politiques. Mais dans d’autres, les conventions ont une“meilleure qualité”, les contrats types sont formulés de manière ouverte, et le CPAS a pris des dispositions organisationnelles pour exécuter et encadrer lescontrats.
Les différences apparaissent plus marquées dans la manière dont est exécuté le caractère contraignant des conventions, qui en ressort “fortrelativisé”.
> Tantôt les exceptions possibles sont systématiquement utilisées pour ne pas faire signer de convention;
> ce qui n’empêche pas que le CPAS mène dans certains cas un travail social conforme aux critères du Programme;
> tantôt l’obligation de signature est strictement formelle et administrative, avec ou sans justifications ou adaptations dans le contenu, c’est-à-dire avec ou sansarticulation avec la politique d’aide du CPAS;
> là où le CPAS adopte une politique d’exécution des conventions, elles sont “de meilleure qualité” du point de vue contenu, et durent moinslongtemps.
La conclusion du point de vue du CPAS est donc presque redondante : si le CPAS revoit ses procédures en fonction des critères demandés par le Programme d’urgence, cela seretrouve dans le contenu des conventions, qui sont donc de “meilleure qualité”.
Il faut aussi voir les choses, note-t-on, en termes de pratiques dominantes dans chaque CPAS : les exceptions et déclinaisons sont nombreuses pratiquement partout. En particulier du fait quela perception des conventions diffère fortement entre les responsables de CPAS et les travailleurs sociaux, ce qui – mais le rapport ne va pas plus loin sur ce point – donne unpoids déterminant aux modalités de gestion propres du CPAS dans la manière dont est appliqué le Programme d’urgence. Pour les auteurs, il y a trop dediversité et l’évaluation de l’impact des conventions ne peut aller très loin. À moins que leur échantillon n’ait été troppetit?
Coercition et reconnaissance
Le rapport note aussi, mais en insistant sur le conditionnel, que l’introduction des conventions n’a pas fait augmenter le nombre de sanctions de façon significative, etqu’il n’existe pas sur ce point de différences entre les CPAS qui utilisent les conventions de telle ou telle manière. Le cas type de raison de sanction est lanon-présentation répétée à des rendez-vous, ce qui pour le rapport, n’a aucun rapport avec la signature d’une convention d’intégration.
La convention est aussi au cœur d’enjeux de reconnaissance réciproque entre les travailleurs sociaux et les jeunes minimexés : pour les premiers, “les bons exemples selimitent aux jeunes qui sont d’eux-mêmes demandeurs d’un cadre et pour qui le contrat est vu comme un moment test important”. Autrement dit, les cas où le rapport dujeune à la contractualisation renvoie au professionnel le bien-fondé de sa pratique. Le contre-exemple, plus courant, est celui du jeune qui ”de toute façon signetout”, ou “qui ne se rend même pas compte que c’est un contrat qu’il est en train de signer”.
Ce que renvoient les jeunes minimexés
La finalité de ce volet du Programme d’urgence est évidemment d’infléchir le contenu des pratiques d’aide des CPAS pour accélérer le “fluxsortant” de la sphère de l’aide sociale. On voit qu’une telle politique a des effets très divers sur le service produit par les CPAS, qui d’ailleurs estiment engrande majorité que l’apport de ce mode de contractualisation est assez faible pour leur action.
Des interviews avec 75 jeunes permettent d’en savoir plus
“La perception dominante des jeunes par rapport au CPAS est positive, sans doute en partie parce qu’ils adaptent leurs attentes au cadre organisationnel dans lequel ils voient lesassistants sociaux travailler.” Dans deux cas sur trois, le jeune appréhende une volonté chez le travailleur social de laisser une distance entre le cadre formel de la conventionet la relation d’aide en général.
Pour les CPAS et leurs travailleurs sociaux, remarque la Fondation dans sa conclusion, la question du “flux sortant” est subordonnée à des débats surl’entrée dans l’assistance. Celle des étudiants minimexés (qui renvoie en partie au débat sur les bourses d’études), celle des restrictionsd’accès aux allocations d’attente et à l’assurance-chômage en général. Il s’agit de s’attaquer en amont à la question desmissions des CPAS et des moyens qu’ils ont pour les mener, en particulier pour garantir la qualité du travail social individuel.
Dépasser l’“employabilité”
Dans les travaux de l’ULB, on retrouve aussi cette grande variété des pratiques et des politiques des CPAS. Mais le sujet abord&ea
cute; est différent : il s’agit dedéterminer les résultats des mesures de mise au travail des minimexés cofinancées par la Région wallonne, principalement les contrats article 60§7 (et dans unemoindre mesure les contrats article 61).
Les années 90 marquent clairement un glissement : alors que ces contrats de travail à durée déterminée sont initialement conçus pour permettre auxminimexés de retrouver leurs droits au chômage, des CPAS se sont mis à les utiliser plutôt dans une optique de transition professionnelle (ou de“repositionnement” ou d’“employabilité”). La période de travail et l’accompagnement social permettent de repositionner lesbénéficiaires sur le marché de l’emploi, voire de les ramener dans des emplois fixes.
En posant la question de savoir si le CPAS est l’institution la mieux placée pour gérer le retour à l’emploi, les chercheurs notent aussi la diversification desactions d’insertion sociale et professionnelle, y compris le développement de formations qualifiantes, et le développement de logiques de parcours d’insertion entre cesdifférentes actions, et éventuellement avec des actions de partenaires.
Ici aussi, les chercheurs soulignent la diversité des pratiques et des politiques, liée à l’autonomie des pouvoirs locaux et à l’existence ou non de servicesdans lesquels des emplois d’insertion peuvent être trouvés (maisons de repos, hôpitaux, etc.). En substance, “reporter la responsabilité de la missiond’insertion sur les CPAS revient à fragmenter cette politique et son impact”.
Dans sa conclusion, le rapport établit que les actions d’insertion des CPAS ont un impact inégal, et de manière générale non proportionnel aux ressources quiy sont consacrées. Avec le risque, non de donner plus de chance d’accéder à un emploi, mais de s’activer de façon à manifester sa présence– ou sa pression – sur le marché. Le rapport en appelle donc à une action non seulement sur la demande d’emploi, mais aussi sur l’offre, en particulier encontribuant à créer des emplois accessibles aux moins scolarisés en général, et si possible pas uniquement aux allocataires du CPAS.
1 “Evaluatie van enkele aspecten van het Urgentieprogramma in de grote steden”, FRB, octobre 96. Coordonné par Filip De Rynck. Ce rapport n’a jamais étépublié. Nous l’avons consulté en nous adressant à Frida Lampaert, la personne qui a suivi ce dossier à l’époque au sein du staff de la FRB : rueBrederode 21 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 549 02 87.
2 Recherche réalisée par Adinda Vanheerswynghels et Matthieu Veinstein, février 1998. TEF (ULB), rue de Bruxelles 39 – CP 850, à 1300 Nivelles, tél. : 067 2179 51, fax : 067 21 79 53.
3 On doit aussi citer pour mémoire un troisième document, qui adopte une approche encore plus générale ¹ « Jongeren in de bijstand. Een onderzoek naar de groendecategory van jonge bestaansminimumtrekkers », dirigée par le pr. Lieve De Lathouwer, Centrum voor social beleid, UFSIA, mai 97.

Thomas Lemaigre

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