Il est peu courant que les quatre fédérations patronales principales du pays prennent des positions communes. C’est pourtant ce qui s’est passé ce 21 mai lorsqueFEB, UWE, UEB et VEV ont conjointement lâché un communiqué réclamant un renforcement des mécanismes de contrôle de la disponibilité des chômeurs.À peu près tous les deux ans, le débat sur le contrôle et les sanctions à l’égard des chômeurs s’enflamme soudainement : pourquoimaintenant?
1. Prise de position
«Si l’État veut augmenter le taux d’emploi de la population active, ont lancé les fédérations patronales1, il doit veiller à ce que les personnesqui perçoivent des allocations soient également disponibles pour le marché du travail. (…) Les employeurs constatent en effet que le contrôle de la disponibilitédes sans-emploi laisse à désirer.» Et d’en appeler aux ambitions affichées par le discours politique sur l’État social actif et la manière dont ilse doit de «mobiliser» les chômeurs – ce qui n’est pas sans rappeler le communiqué du même ton que la FEB avait émis début 2000 quand laministre Onkelinx avait annoncé ses intentions en matière de réforme du régime de sanctions des chômeurs.
Dans leur collimateur, la faiblesse du nombre de dossiers que l’Orbem, le Forem et le VDAB transmettent à l’Onem. Ces dossiers sont ceux de chômeurs pris en défautpour refus d’emploi, «manque de collaboration positive à un parcours d’insertion», refus ou abandon de formation, ou non-présentation à un rendez-vous.Depuis longtemps, le banc patronal accuse les services régionaux de l’emploi de ne pas jouer le jeu et de protéger «leurs chômeurs». Ils avaientdéjà obtenu des exigences plus pointues en la matière dans l’accord de coopération qui a réformé en 2000 le Plan d’accompagnement deschômeurs. Résultat : en 2001, l’Onem annonce 12.000 dossiers transmis (avec des disparités marquées entre les trois régions, sur lesquelles les responsablespatronaux ont soigneusement mis la sourdine), chiffres à propos desquels nous relations les commentaires de l’Onem dans la dépêche consacrée à son rapport 2001sorti fin mars.
Si on retire les non-présentations à des convocations, on ne compte plus que 515 dossiers transmis, dénoncent les employeurs. «Vu les presque 100.000 postes vacants sur lemarché de travail belge et les 480.000 sans-emploi, il est manifeste, selon les employeurs, que le canal d’information vers l’Onem est quelque peu bouché et que lescomportements qui devraient être sanctionnés par l’Onem ne sont pas suffisamment communiqués.»2 Autrement dit, l’augmentation du nombre d’emploisdifficiles à pourvoir serait due au laxisme des contrôles effectués par le Forem, l’Orbem et le VDAB.
Et les employeurs de proposer deux pistes de solution :
> la réécriture de l’accord de coopération afin de rendre plus fiable la vérification des conditions d’accès àl’assurance-chômage,
> et la gestion directe par l’Onem du contrôle de la disponibilité des chômeurs, en lui permettant de les convoquer, et avec à leur charge lanécessité de prouver qu’ils cherchent de l’emploi à bon escient.
Cette seconde proposition reprend l’esprit des textes que Miet Smet avait transmis en octobre 1998 au Comité de gestion de l’Onem, et qui avaient été tués dansl’œuf par une levée de boucliers des syndicats et des ministres régionaux de l’emploi.
‡ noter aussi que le communiqué réclame que le gouvernement approuve la proposition faite par l’Onem en matière d’allocations d’attente : ils’agirait d’ajouter à la condition de diplôme une condition de disponibilité sur le marché de l’emploi.
2. Réactions
Les réactions n’ont pas manqué, du côté des ministres de l’Emploi ni de celui des syndicats.
2.1. Laurette Onkelinx
La ministre Onkelinx a été la première sur la balle, en rappelant simplement que l’augmentation du taux d’emploi passe par un large éventail de mesures, etdonc qu’en faire reposer la responsabilité sur les chômeurs est inacceptable. «Ce qui n’est pas tolérable dans les propos des représentants desorganisations patronales, c’est que sur la base d’une minorité de personnes, qui ne respectent pas les règles, ils jettent le discrédit sur tous les hommes et lesfemmes qui sont en recherche acharnée d’emploi.» Et de rappeler le rendez-vous qu’elle a donné le 18 juin aux partenaires sociaux et aux ministres de l’Emploirégionaux pour débattre de différentes problématiques dont celle des rapports entre l’Onem et les services régionaux, et celle de l’accès auxallocations d’attente. «La ministre ne va donc pas répondre plus en détail pour le moment, précise sa porte-parole. Mais il faut savoir qu’il y a d’autresdossiers liés, en particulier la problématiques de l’exclusion des chômeurs cohabitants sur la base de l’article 80» (c.-à-d. pour cause de chômagede trop longue durée).
2.2 Marie Arena
Pour Marie Arena, visiblement énervée, «le Forem joue le jeu!» Les différences régionales sont manifestes et sont normales. Les raisons en sont àrechercher dans la structure du marché de l’emploi. Le nombre de candidats par offre est nettement plus élevé en Wallonie, ce qui rend moins opérationnel lecontrôle de la disponibilité à charge du Forem. Comme preuve du fait que le Forem n’est pas laxiste, la ministre rappelle que les taux de sanction par l’Onem sontsimilaires dans les trois régions.3
2.3 FGTB
Le lendemain, Jean-Claude Vandermeeren, secrétaire général de la FGTB wallonne, est sorti de ses gonds à l’occasion d’une conférence de presse parlaquelle le syndicat réclamait que le «pôle des gauches» en voie de constitution depuis les élections françaises muscle ses axes programmatiques. «Noussommes en désaccord total. C’est une vraie déclaration de guerre, une sorte d’attaque directe contre les chômeurs par laquelle on cherche à lesculpabiliser.»4 Pour le secrétaire général, avec cette sortie tout comme sur le dossier des allocations d’attente, le patronat s’inscrit dans la ligne dure del’État social actif retenue dans les conclusions du sommet européen de Barcelone à la mi-mars, qui est en train de mener l’Espagne vers la grèvegénérale. Allusion à considérer comme une menace?
Et de dénoncer le «virage à droite» de l’UWE qui s’écarterait de la ligne de conduite qu’elle suivait jusqu’ici au sein du Comité degestion du Forem. En ajoutant que l&#
8217;argumentaire patronal suppose aussi que les jeunes chômeurs impliqués dans des parcours d’insertion aient effectivement accès auxemplois Rosetta, ce qui n’est toujours pas le cas.
2.4 CSC
À la CSC, c’est du côté des travailleurs sans emploi qu’il faut aller chercher une réaction. Pour leur responsable national Philippe Parmentier, quis’apprêtait ce vendredi à commencer un sitting dans les locaux de la FEB : «Nous ne sommes pas du tout d’accord avec la FEB qui tend à accréditerl’idée que les chômeurs ne veulent pas travailler et qu’il faut les y contraindre. Il n’y a pas assez de travail pour tout le monde : il y a une offre d’emploipour 40 chômeurs! Quelque 210.000 personnes ont déjà été sanctionnées par l’article 80, c’est l’équivalent d’un bottin detéléphone, alors qu’on ne dise pas qu’il n’y a pas de contrôle! Au niveau des sanctions et du contrôle, la Belgique est le pays le plus drastique au niveaueuropéen. Il y a dix ans, on a fait les plans d’accompagnement des chômeurs : les chômeurs étaient tous de bonne volonté. La preuve? Seul 1 sur 1.000 aété sanctionné. La CSC est pour renforcer les moyens quant à l’accompagnement des chômeurs, ils sont actuellement trop faibles.»
3. Analyse : Pourquoi maintenant?
Sans revenir sur le difficile débat autour des causes et conséquences desdites «pénuries de main-d’œuvre» – que nous avons déjà bienbalisé dans ces colonnes –, il est important de remettre les événements de cette semaine dans une triple perspective :
> les débats du Comité de gestion de l’Onem sur la conditionnalisation des allocations d’attente des jeunes chômeurs,
> la recomposition du paysage politique sur un axe gauche droite plus clair,
> et l’actualité de la concertation sociale.
3.1 Faire avancer l’activation des allocations de chômage
Nous évoquions il y a trois mois les discussions du Comité de gestion de l’Onem visant une conditionnalisation plus poussée des allocations d’attente. Laclôture de ces travaux est intervenue fin mai, juste quelques jours avant la sortie patronale sur le contrôle de la disponibilité. Les deux dossiers sont manifestement liés.Plus d’activation des jeunes en amont du chômage, et plus de contrôle de la disponibilité en aval. À l’heure où se clôture la réforme duminimex, n’est-ce pas réaffirmer une logique de l’assurance au sens strict comme fondement du régime du chômage, approche à laquelle restent attachésnombre d’acteurs de la concertation sociale?
La proposition arrêtée à l’Onem concernant les allocations d’attente, même si elle serait plus nuancée que dans les versions précédentes,n’a pas été votée unanimement. La FGTB a voté contre. La CSC, elle, l’a approuvée avec la FEB. Même si Philippe Parmentier s’endéfend : «Nous ne sommes pas pour cette mesure, la CSC a toujours été pour le fait de recevoir des allocations quand il n’était pas possible de trouver dutravail, donc pour les jeunes qui sortent des études aussi!» Un dossier, donc, sur lequel apparaissent des tensions internes au syndicat chrétien, impliquant sans doute son aileflamande, ses travailleurs sans emploi, et ses jeunes.
Tout cela pour dire que ce n’est de toute évidence pas par hasard que le communiqué des fédérations d’employeurs en remet une couche sur ce dossier : en effet,la ministre Onkelinx n’a toujours pas annoncé quelle position elle entend adopter. On devrait le savoir assez vite : la proposition de loi de l’écolo Paul Timmermans quivisait au départ à ouvrir les allocations d’attente aux catégories de jeunes qui en sont exclues est à l’ordre du jour de la commission des Affaires socialesde la Chambre ce mardi 28 mai. Or, c’est en partant de la discussion de ce texte que le Comité de gestion de l’Onem a imaginé d’ajouter un critèred’«activation» pour accéder aux allocations d’attente…
3.2 Reprendre pied dans un paysage politique mouvant
Autre niveau du débat : les socialistes et les écologistes sont en pleines discussions sur la constitution d’un «pôle des gauches». Un moment où va detoute évidence se modifier la manière dont la notion d’État social actif a fait consensus entre les partis depuis deux ans. PS et VLD en tout cas pourraient bienradicaliser leurs options sociales dans les toutes prochaines semaines. Une nouvelle scène sur laquelle les partenaires sociaux doivent se reprofiler.
3.3 Entretenir le rapport de force
Or, troisième clé qui permet d’éclairer le débat, les zones de tension entre patrons et syndicats sont en train de se multiplier au niveau fédéral.Notamment parce qu’au moment où les syndicats accentuent leurs campagnes pour la constitution de délégations syndicales dans les PME – sujet qui hérisse labanc patronal –, la ministre Onkelinx vient de demander au CNT de plancher sur la création de comités d’entreprise dans les firmes de 50 à 100 salariés,dossier resté en rade depuis plus de trente ans, et qui doit évoluer à la suite de l’approbation il y a un mois de la directive européenne sur l’information etla consultation des travailleurs. La ministre défendant une position proche de celle des syndicats, on peut comprendre la sortie commune des patrons comme une manière de reprendre pieddans un rapport de force qui s’accentue.
1 Voir leurs sites web respectifs : http://www.feb.be, http://www.uwe.be, http://www.ueb.be,http://www.vev.be
2 On se permettra ici de relever que les chiffres que compare cet argument sont comme des pommes et des poires, à savoir, comme disent les économistes, que la demande d’emploi estformulée en termes de stock (nombre de chômeurs complets indemnisés à un moment donné), et l’offre d’emploi en termes de flux (nombre de postes ouvertssur toute une année pour des «fonctions critiques»).
3 In La libre Belgique du 22 mai.
4 In L’Écho du 23 mai.
Archives
"Contrôle de la disponibilité et allocations d'attente : les patrons font monter la pression sur les "
Thomas Lemaigre
27-05-2002
Alter Échos n° 121
Thomas Lemaigre
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