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Regard critique · Justice sociale

Migration

Communes sanctuaires

Une commune hospitalière s’engage à sensibiliser la population à la question migratoire et au respect des droits des personnes étrangères sur son territoire. Aux citoyens de pousser la leur dans cette voie solidaire.

Une commune hospitalière s’engage à sensibiliser la population à la question migratoire et au respect des droits des personnes étrangères sur son territoire. Aux citoyens de pousser leur commune dans cette voie solidaire.

La «Coalition pour la justice migratoire» – qui regroupe un grand nombre d’associations sous la coupole du CNCD-11.11.11 (Centre national de coopération au développement) et du Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers) – a lancé il y a quelque mois la campagne «Commune hospitalière» pour inciter les citoyens à interpeller le pouvoir communal quant au sort réservé aux migrants, demandeurs d’asile et sans-papiers sur leur territoire. «L’objectif est d’abord de changer le regard sur l’immigration en montrant qu’elle peut être un horizon politique. Les communes se situent à un échelon qui nous est proche: même si elles ne peuvent pas décider sur toutes les questions migratoires, il y a des choses sur lesquelles elles peuvent agir», explique Carine Thibaut, directrice de campagne au CNCD-11.11.11.

«Un sans-papiers doit pouvoir être entendu par la police locale et non l’éviter parce qu’il la craindrait.», Carine Thibaut, CNCD-11.11.11

En se déclarant hospitalières, les communes peuvent notamment exprimer leur désaccord avec la politique de Theo Francken, tout autant qu’avec la banalisation de discours racistes et d’attitudes discriminatoires. «Nous avons vu avec les communes hors TTIP et hors CETA qu’une discussion au niveau local pouvait aider à faire bouger les lignes au niveau régional, si pas fédéral», poursuit Carine Thibaut. Pour rappel, en 2014 et 2016, un certain nombre de communes francophones s’étaient déclarées «hors» des accords de libre-échange de l’Europe avec les États-Unis et le Canada.

Pour une police de proximité

Une commune pourra se dire «hospitalière» si elle s’engage, par le vote d’une motion, à améliorer l’information et l’accueil des personnes migrantes, demandeurs d’asile ou sans-papiers, dans le respect du droit. Elle s’engage aussi à sensibiliser sa population aux questions migratoires. Enfin, d’un point de vue symbolique, la commune manifeste sa solidarité envers les communes européennes et les pays voisins des crises, confrontés à un accueil important de migrants. «Pour élaborer ces engagements, nous sommes partis d’un relevé précis des problèmes rapportés par les différentes associations qui travaillent sur le terrain», commente Carine Thibaut. La charte proposée stipule par exemple que la commune ne permettra pas à la police locale de procéder à des arrestations au domicile sans mandat du juge ou à la sortie des écoles et des lieux de culte. «Ce sont des cas que l’on a constatés… ou qu’on redoute, des situations où il y a certaines ambiguïtés: la police qui sonne chez les gens sans s’annoncer et qui procède à une arrestation dès qu’on ouvre la porte.»

«À Vielsalm, la motion a été votée à l’unanimité, alors que les quatre sensibilités politiques sont représentées. C’est vraiment la preuve que c’est possible.», Élie Deblire, bourgmestre (cdH)

L’enjeu, en particulier, est de convaincre les communes qu’elles ont tout intérêt à défendre une police de proximité, sur le modèle des villes sanctuaires aux États-Unis. Le statut de victime doit alors primer, en toutes circonstances, sur le statut juridique du titre de séjour. «En cas de violence conjugale, de coups et blessures, mais aussi de pratiques abusives en matière de travail, un sans-papiers doit pouvoir être entendu par la police locale et non l’éviter parce qu’il la craindrait», analyse Carine Thibaut. Elle rappelle que, si la police locale ne peut empêcher la police fédérale d’intervenir sur son territoire, elle a la liberté de ne pas prendre part à certaines actions. «Si en Belgique 100.000 à 150.000 personnes ne font pas confiance à la police locale, cela veut dire qu’elle ignore nombre de choses qu’il vaudrait mieux qu’elle sache.»

L’hospitalité comme politique migratoire

Le 14 septembre dernier, des groupes de citoyens ont appelé à la mobilisation dans quelque 50 communes wallonnes et bruxelloises. Des interpellations devraient y être introduites auprès du pouvoir communal et suivies du vote d’une motion. La commune de Vielsam, elle, a pris les devants: en juin, cette localité rurale qui héberge le centre d’accueil de la Baraque Fraiture et jouxte Gouvy – qui accueille le centre d’accueil Croix-Rouge de Beho et le centre Fedasil de Bovigny – est devenue la première commune hospitalière, à l’initiative de son bourgmestre, Élie Deblire (cdH). «La motion a été votée à l’unanimité, alors qu’à Vielsam les quatre sensibilités politiques sont représentées. C’est vraiment la preuve que c’est possible, commente celui-ci. Comme tout le monde, il m’arrive d’entendre à un comptoir des propos désobligeants à l’égard de ces personnes et de ne pas avoir le courage de réagir. Se décréter commune hospitalière est une manière de délivrer un message général à la population quant aux convictions du pouvoir communal.»

Liège pourra bientôt se prévaloir du titre de première «ville hospitalière».

Emmanuelle Vinois, membre active du «Comité liégeois pour une justice migratoire», espère quant à elle que Liège pourra bientôt se prévaloir du titre de première «ville hospitalière» à la suite de l’interpellation citoyenne que cette juriste portera devant le conseil communal le 2 octobre prochain. «Bien sûr, nous n’avons pas attendu cette campagne: des associations rencontrent régulièrement le bourgmestre, et des mémorandums ont été remis aux chefs de groupe aux élections précédentes. Mais c’est l’occasion de sensibiliser les citoyens dans leur ensemble et d’aller plus loin sur certains points», explique-t-elle. Avec le paraxode connu des associations que les communes préfèrent généralement rester discrètes sur les actions positives qu’elles mènent auprès de ces populations. «Elles craignent que ce ne soit pas électoralement porteur», confirme à ce propos Carine Thibaut. À l’inverse, il serait regrettable que les «communes hospitalières» deviennent un simple label «bonne conscience». «Si la motion est adoptée, nous comptons mettre sur pied des comités de vigilance, précise Emmanuelle Vinois. Avec pour mission de vérifier la bonne mise en œuvre des engagements, car nous voulons à tout prix éviter la récupération politique. Et nous espérons évidemment obtenir la motion à l’unanimité, afin d’engager la formation future.» À moins d’un an des élections communales, il est encore temps de se montrer unanimement hospitalier.

En savoir plus

«La commune, partenaire d’accueil», Alter Échos n° 354, Baudouin Massart, 15 février 2013

Julie Luong

Julie Luong

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