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"Combattre la fracture sociale et adapter ses modes de travail, enjeux des TIC pour le non-marchand"

02-04-2002 Alter Échos n° 117

Fête de l’Internet oblige, en ce mois de mars les nouvelles technologies ont été à l’honneur un peu partout en Wallonie et à Bruxelles. Au centre despréoccupations, la fameuse « fracture numérique » et l’accès pour tous aux nouvelles technologies. On le sait une fraction encore importante de la population wallonne etbruxelloise ne dispose pas de PC à la maison, mais on relève moins le peu d’investissement consenti dans les nouvelles technologies pour le secteur non marchand. Deuxévénements mêlaient ces différents ordres de préoccupation.
Les TIC dans le sociocul, on est encore loin du compte…
Un séminaire organisé par la Fondation Travail Université le 12 mars s’est penché sur la question de l’appropriation des TIC par le non-marchand.
Pour entamer la matinée, Cécile Paul du CESEP (Centre socialiste d’éducation permanente) a livré les conclusions d’une enquête effectuée surl’usage des TIC dans le secteur socioculturel en Wallonie menée de septembre 2000 à août 2001. « La première vague d’informatisation dans les grossesassociations s’est faite dans les années 80 et 90. Il s’agissait le plus souvent d’installer des serveurs puissants pour pouvoir gérer de grosses banques dedonnées. C’est seulement vers le milieu des années 90 que les plus petites asbl ont commencé à s’informatiser, à se structurer. Quant à la miseen réseau, elle est toute récente et s’est surtout réalisée par la crainte du bug de l’an 2000. »
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« Fracture numérique », définition…
L’expression « fracture numérique » vient immédiatement à l’esprit dés qu’on aborde les rapports entre le développement d’Internet, lesinégalités sociales et les processus d’exclusion ou d’inclusion dans la société. Comme le note Le Monde Initiatives d’octobre 2001, elle est lerésultat d’un télescopage linguistique entre le terme anglais digital divide, utilisé pour décrire les décalages socio-économiques etgéopolitiques dans la diffusion et l’usage des technologies numériques, et la fameuse « fracture sociale » qui traverse le débat politique français depuis septans.
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Si on observe l’état des lieux du secteur, il est facile de se rendre compte du chemin qu’il reste encore à parcourir. À la question : « Actuellement, votreorganisation dispose de… », voici les pourcentages obtenus :
> Réseau Interne 67,8%
> Mail partagé 38,6%
> Mail individuel 41,4%
> Internet partagé 45,7%
> Internet individuel 37,7%
> Téléconférence 31,0%
> Déviation tél. 42,9%
> Visioconférence 1,8%
« Or, poursuit Cécile Paul, lorsqu’on interroge les asbl, elles reconnaissent toutes que les TIC représentent un véritable support à la réalisation de leurobjet social, que ce soit la mise en réseau et la centralisation de données; la multiplication, la spécialisation, l’individualisation du service rendu au public; lapromotion et la diffusion culturelle à l’échelle nationale et internationale; la mobilisation rapide des membres, des réseaux, des groupes de pression; la gestion desprojets à dimension européenne, etc. » Alors qu’est-ce qui explique ce faible développement des TIC dans le secteur socio-culturel? « Les implications que celles-cireprésentent pour l’organisation et l’infrastructure, répond la chercheuse. Les réseaux ont beau être proches, ils restent différents. Je pense parexemple aux bibliothèques de la Communauté française qui ont du mal à centraliser des tâches semblables comme la lecture de la presse qui se fait pourtant defaçon similaire dans une centaine de bibliothèques chaque matin. La formation est aussi un gros point noir, il faut parfois commencer par le b.a.-ba, apprendre à travaillerensemble avec les TIC. De nombreuses asbl ne disposent pas d’experts en informatique et doivent donc faire appel à des organismes extérieurs, le manque de formation concerneégalement la négociation pour l’achat de réseaux, de matériel informatique. Les ressources humaines se voient bouleversées, les gens doivent changer defonction. Par ex. dans les médiathèques de la Communauté française, de plus en plus de membres louent leur CD via le net, le personnel doit êtrepréparé petit à petit à un changement de fonction. Enfin, il va sans dire, que le coût humain de la maintenance informatique dans les asbl est très important,dés qu’un informaticien acquiert quelque peu d’expérience, il est happé par le marché capable de le rémunérer beaucoup mieux. Le coût auniveau matériel est aussi extrêmement important, les asbl ont dû partir à la chasse aux subsides pour faire face à l’arrivée des TIC. »
Un bouleversement structurel
Une arrivée des TIC qui n’est pas non plus sans susciter quelques questionnements parmi les organisations : « Certaines associations ont perdu en qualité de l’info enutilisant les nouvelles technologies, il a fallu revoir toute leur communication interne. Le public-cible dans certains cas a doublé, il faut pouvoir faire face tout en continuant às’occuper du public qu’on touchait auparavant et qui lui n’a toujours pas accès aux TIC. De plus en plus de travailleurs réclament leur équipement personnel oudemandent de pouvoir télétravailler. Les pratiques professionnelles ont grandement évolué depuis l’apparition des TIC mais on sent un blocage chez les travailleursà qui on n’explique pas le sens de son utilisation dans leur boulot quotidien. Il faut apprendre à décloisonner et à fonctionner en réseau. »
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Internet et inégalités, l’étude exploratoire de la FTU
À la demande de Res-e-Net4, réseau pour la promotion de l’usage des technologies de l’information au service de l’économie sociale et solidaire, la Fondationtravail université de Namur a publié en mars 2002 un aperçu de l’état des recherches et des débats relatifs aux inégalités face àInternet. Outre quelques chiffres intéressants à l’échelle de la Belgique et de la Région wallonne et tirés pour la plupart de l’Eurobarométreeuropéen 2001 et de l’enquête 2000 de l’Agence wallonne des télécommunications, le rapport se penche sur trois interprétations différentes desinégalités relatives à Internet.
La première est celle des organisations internationales garantes de l’ordre économique mondial : les inégalités sont dues au fonctionnement imparfait desmarchés, et davantage de libéralisme économique conduira à une meilleure diffusion d’Internet. La deuxième interprétation consid&eg
rave;re que lagénéralisation de l’accès à Internet pour tous est indispensable, car il s’agit d’une question de démocratie technologique, et qu’il existeun potentiel inexploité des TIC pour améliorer la cohésion et l’inclusion sociales. Une troisième interprétation considère la fracture numériquecomme le miroir des inégalités sociales préexistantes, qui se transforment avec l’expansion des TIC et la transition vers la société de l’information.Les deux dernières approches partagent un même objectif de progrès social, mais elles diffèrent quant à l’appréciation des priorités politiquesà mettre en œuvre.
C’est sur cette question des moyens de combattre les inégalités face à Internet que se conclut l’étude exploratoire. Elle identifie trois défis majeurs: la liberté, l’exclusion et l’éducation.
> Liberté : « À l’heure où Internet investit tous les domaines de l’activité humaine, décider à qui il appartient et qui en contrôlel’accès devient un enjeu crucial de la lutte pour la liberté. »
> Exclusion : « La ligne de fracture n’est pas seulement celle de la richesse et de la pauvreté ou celle des inégalités sociales et culturelles. Le fossé est aussicelui qui sépare les connectés et les non-connectés aux réseaux planétaires de production de la valeur, dont les nœuds sont inégalementdistribués dans le monde. »
> Éducation : « Le véritable défi est d’apprendre à apprendre et à penser de manière autonome, d’apprendre à aller chercher desinformations mises en mémoire sous forme numérique, les recombiner, et à produire des savoirs utiles par rapport à des objectifs que l’on s’estfixés. »
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Les outils existent
Au-delà de ces recommandations, il existe déjà, notamment en Wallonie, de nombreux outils à disposition du secteur non-marchand. Certains ont étéprésentés lors du séminaire du 12 mars. Ainsi Technofutur 3 créé en 1998, s’est d’abord intéressé aux entreprises, mais a depuisélargi son créneau de formations vers le non-marchand. L’Agence wallonne des télécommunications, organisme public créé en 1999 par le gouvernementwallon compte prochainement également élargir sa mission de vigile, de conseil et de suivi des projets régionaux liés à la télécommunication aunon-marchand.
Et puis au niveau fédéral, le SSTC (Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et culturelles)3 a créé un programme pluriannuel de soutien audéveloppement de la société de l’information qui s’étend de 2001 à 2008. Son objectif : illustrer par des applications de terrain le potentiel des TIC.Le programme couvre quatre champs sectoriels :
> le secteur public fédéral,
> les établissements scientifiques fédéraux,
> le secteur non-marchand dans son acception large,
> Žes utilisateurs du réseau Belnet (réseau national belge de la recherche au service l’enseignement, de la recherche et des services publics).
Le programme se veut très ouvert, seule condition : qu’au moins un des partenaires fasse partie d’un des quatre champs. L’intérêt principal de ce programmeréside dans son approche large du processus innovant : de la conception fonctionnelle (y compris nÓn technologique) aux conditions de gérabilité à terme; dans letravail en réseau aussi et la mise en commun de ressources et le partenariat. Un premier train de projets s’est clôturé en janvier 2001. Conclusion ý beaucoupd’appelés pour peu d’élus (10 projets pour une soixantaine de candidatures) partuclièrement dans le non-marchand. Un constat qui selon Claudine Belleflamme des SSTCtient aux difficultés spécifiques du secteur : « Il n’arrive pas à se vendre. D’après les commentaires que nous avons reçus des experts du jury, il y aune trop grande propension dans les projets du non-marchand à justifier leur candidature sur la pertinence socio-politique du projet. Les aspects techniques sont trop fermés tandis queles aspects méthodologiques (comment et avec quels moyens) restent vagues. L’aspect ‘refuge’ de la méthode dite ‘itérative’ (par essais, erreurs etaméliorations, NDLR), le cadrage insuffisant de la méthode dite du ‘test-bed’, c’est-à-dire des projets suffisamment ciblés pour êtreclôturés et opérationnels, sont les autres reproches formulés. » Un second appel à projets sera publié au Moniteur en septembre 2002, il se clôtureraà la mi-décembre 2002. Budget de l’appel : 81.804 euros (soit 3.300.000 FB). Les futurs candidats sont désormais prévenus…
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Un peu d’éthique dans les TIC…
Du 22 au 24 mars se déroulait la fête de l’Internet, l’occasion pour la Fébisp, Esnet, Banlieues5 et les Assises pour l’égalité de se pencher surla fameuse fracture numérique dans un colloque organisé le 22 mars au centre d’entreprises Dansaert à Bruxelles intitulé « Un peu d’éthique dans lesTIC ». Les différents constats posés lors de ce colloque peuvent être résumés en quelques lignes : le fossé numérique est, comme les autres questions del’Internet, une question de société plutôt qu’une question technologique; et comme souvent, on tente d’apporter des réponses trop simplement techniques oufinancières à des difficultés humaines et sociales. Au présent, le constat porte avant tout sur le prolongement et l’amplification de l’exclusionéconomique et de l’exclusion sociale. S’il est vrai qu’une partie de la population n’a pas accès à la « net économie », c’est qu’ellen’a pas accès à l’économie tout court. Les jeunes ou les moins jeunes qui n’ont pas de PC, même si les PC étaient gratuits, n’auraient pasles moyens de payer les factures téléphoniques de la connexion au réseau. Les foyers qui n’accèdent pas à la connaissance en ligne n’accèdent pasnon plus à la connaissance tout court : l’échec scolaire, l’illettrisme, la difficulté d’accès au livre, à la culture, au savoir, sont desréalités auxquelles il n’y a pas de réponses toutes faites, en témoignent les diverses initiatives présentes lors du colloque. La relation de l’usagerà l’administration, la relation du citoyen à la vie démocratique et aux décisions collectives doivent connaître une réinvention, avec et sansl’Internet. L’illusion d’un « cybermonde », d’une réalité nouvelle affranchie des difficultés anciennes ne résiste pas, selon les intervenants
,à l’analyse. Le déploiement des matériels et des réseaux ne suffit pas à produire la société « de l’information » ni lasociété « en réseau ».
Une fois posées comme principales l’inégalité économique et l’inégalité sociale, il est utile d’étudier d’autres lignes defracture qui divisent ou diviseront les nantis et les « sans clavier ». Certaines ont été pointées durant le colloque : la fracture culturelle, la fracture géographique, lafracture d’accessibilité (handicap, état de santé), la fracture au sein des corps sociaux et enfin une fracture moins souvent pointée mais qui, selon Henri Goldman,coordinateur des Assises pour l’égalité, est une des fractures les plus prégnantes : la fracture générationnelle.
La matinée ne s’est pourtant pas arrêtée sur ces constats, pour le moins démobilisants. La fête de l’Internet devait être aussi pour Alain Leduc,échevin saint-gillois et initiateur du réseau Banlieues, un moment de revendication : « L’accès à Internet doit devenir un service public, il faut pouvoir disposer deconnexions gratuites, de distribution gratuite et contrôlée d’ordinateurs aux personnes qui ne peuvent en disposer. Il faut élargir les budgets de la recherche scientifiquepour développer les logiciels open sources. Pourquoi continuer à enrichir Microsoft alors qu’il existe l’open source tout aussi performant et accessible à tous? Lebudget public de la recherche scientifique est de 30 millions sur ce secteur, c’est ridicule face à l’enjeu! « 
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1 FTU Namur, centre de recherche Travail&Technologies rue de l’Arsenal 5 à 5000 Namur, tél. : 081 72 51 22, fax : 081 72 51 28, site : http://www.ftu-namur.org ou gvalenduc@compuserve.com
2 Étude menée de septembre 2000 à août 2001 dans le secteur socio-culturel (3.000 employeurs) à l’exception des EFT et des OISP. 735 questionnairesrentrés, 30 interviews qualitatives réalisées.
3 SSTC, rue de la Science, 8 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 238 34 11, fax : 02 230 59 12, site : http://www.belspo.be
4 Esnet, rue Froissart, 85 à 1040 Bruxelles, tél. : 02 231 6 87, fax : 02 230 37 46, courriel : esnet@esnet.be Chaque mois Esnet édite un mensuel électronique gratuitreprenant les concentrés d’information utiles concernant la résorption du fossé numérique. Pour l’obtenir, il suffit de communiquer son e-mail à Esnet :j.lemaitre@esnet.be
5 Banlieues-Belgique, Place Morichar, 42 à 1060 Bruxelles, tél. : 02 537 17 34, courriel : info@banlieues.be, site : http://www.banlieues.org

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