En Belgique, l’assignation à résidence sous surveillance électronique n’est pas une peine mais une modalité d’exécution de la peine privativede liberté. En vertu de celle-ci, le condamné subit la totalité ou une partie de sa peine privative de liberté en dehors de la prison, suivant un pland’exécution défini, dont le respect est, entre autres, contrôlé par des moyens électroniques.
Au préalable, l’assistant de justice examine si le condamné se trouve dans la possibilité matérielle d’être placé sous surveillanceélectronique, vérifie si les éventuels membres de la famille consentent à la surveillance électronique et formule d’éventuelles conditionsparticulières individualisées qui peuvent être imposées à l’intéressé. Une certaine stabilité « environnementale »est donc requise. Cet état de fait pose la question de l’égalité par rapport à des personnes incarcérées installées dans des situations degrande précarité.
Lorsque le directeur de la prison – ou dans certains cas la Direction de la gestion de la détention du SPF Justice – consent à la mesure, l’intéresséreçoit un bracelet de cheville émettant un certain signal radio capté par un appareil récepteur qui est placé dans l’habitation del’intéressé. Cet appareil récepteur est relié par le réseau téléphonique (ligne fixe ou GSM) à un ordinateur central. Dès quel’intéressé se déplace en dehors d’un périmètre déterminé de l’appareil récepteur ou effectue des manipulations illicites dumatériel, une alarme se déclenche dans l’ordinateur central. En fonction des conditions est établi un horaire qui précise quand l’intéressé peutquitter ce périmètre, par exemple pour aller travailler, pour pouvoir suivre une formation ou une thérapie ou se consacrer à des loisirs. Les activités qui ont lieuen dehors du domicile ne sont pas contrôlées par des moyens électroniques.
Surveillance électronique (SE) : une « fausse » évidence
Cette mesure, se déroulant au sein des murs de l’intimité, est une nouvelle forme de marquage des corps présentée comme l’alternative par excellenceà l’incarcération. Cette fausse évidence, martelée à tout vent par tous les responsables politiques, occulte cependant bien des aspects découlant,inévitablement, de ce « transfert » de murs.
Concernant tout d’abord la vie privée des personnes intéressées, les débats parlementaires qui ont eu lieu, en 2006, dans le cadre de l’adoption de laloi relative au statut juridique externe des personnes condamnées à des peines privatives de liberté auront malheureusement été extrêmement pauvres. Une tellematière, qui était jusque-là réglée par circulaires ministérielles maintes fois modifiées depuis 1998, méritait mieux que des débatsindigents.
Ensuite, cette « alternative par excellence » tente de faire coexister des objectifs incompatibles, qui plus est, sans les prioriser (ou en les priorisant en fonction desévénements). Elle permettrait, selon ses partisans, à la fois de réduire les coûts de la pénalité, de lutter contre le sentimentd’impunité, d’assurer une « meilleure » réinsertion, d’éviter les effets criminogènes propres aux établissementsfermés et de réduire la surpopulation carcérale. Force est de constater que la surpopulation est passée de 8 271 détenus en 1998 à 10 238, enmoyenne, en 2009… Un constat confirmé par des expériences étrangères démontrant par ailleurs que faire de la surveillance électronique une peineautonome n’influe pas sur l’inflation et la surpopulation carcérales.
Autre constat : l’absence de questionnement quant aux contraintes associées à l’incarcération domiciliaire et au port du bracelet. Les arguments, souventavancés par les partisans du bracelet, qui invoquent une surveillance électronique moins pénible que l’incarcération physique, semblent rendre son utilisationrésolument évidente et positive. A l’instar des analyses d’agents de terrain tels que Pierre Reynaert, ancien directeur du Centre national de surveillanceélectronique, tentons un exercice d’empathie avec un prisonnier lambda porteur d’un bracelet électronique. Son temps et son espace ne lui appartiennent plus. Il est soumisà un plan de vie qui ne tolère pas l’imprévu. Ses proches, sous tension, deviennent en quelque sorte leurs « surveillants » (ils doivent parfoistéléphoner au monitoring pour prévenir de retards voire, les dénoncer). Par ailleurs, comment jouer un rôle de parent en toute légitimité ?Comment dire à son voisin qu’il ne peut l’aider après l’inondation de son garage sans lui dévoiler la raison de ce refus ? Autant de petites contraintes,d’évidences quotidiennes, qui peuvent devenir insoutenables.
Conclusion
En l’absence d’évaluation, depuis plus de dix ans, des effets de la mesure sur le vécu des justiciables, certains observateurs privilégiés admettent que,avec le système de SE, « ce n’est pas tant la prison qui devient virtuelle, mais le monde dans lequel on attend que le condamné se réintègre et dèslors, la conception même de la réinsertion »1.
Il y a enfin tout à parier et à craindre que la SE démultiplie l’action pénale plutôt qu’elle ne se substitue à la prison, en se focalisant surdes groupes cibles pour lesquels des mesures moins coûteuses, plus modérées et plus positives suffiraient : « La surveillance électronique ne vaut et nevaudra surtout jamais mieux qu’une véritable politique pénale incluant trois objectifs que la surveillance électronique met à mal : la réduction de lasévérité des peines, le développement des mesures alternatives évitant l’entrée en prison et l’accompagnement social de ces mesures,marqué par le respect du droit à la vie privée et familiale et par la promotion d’un réel objectif de réinsertion sociale »2.
Ce que la SE permet actuellement c’est de maintenir l’omniprésence de la peine et, partant, la domination de l’institution « prison » commeréférent systématique, noyau dur duquel tout le système répressif continue de s’organiser. Mais avec un gadget « technologique &
raquo; quipermet de rendre le statu quo plus attractif.
Juliette Béghin (dans le cadre d’une collaboration pilote avec la Ligue des droits de l’homme)
1. Champ pénal Marie-Sophie Devresse, « Innovation pénale et surveillance électronique : quelques réflexions sur une base empirique »,Champ pénal / Penal field, nouvelle revue internationale de criminologie [En ligne], Séminaire Innovations Pénales, La peine, son exécution et son traitement, misen ligne le 29 septembre 2007, Consulté le 08 décembre 2010. http://champpenal.revues.org/1641, p.7 ; Devresse M.-S. (2009), « Privation de liberté : prison et surveillance électronique », in l’Etat des droits de l’Homme en Belgique.Rapport 2008, Bruxelles, Aden, pp. 51-71
2. D. Kaminski, « L’assignation à domicile sous surveillance électronique : de deux expériences l’autre », Revue de droit pénalet de criminologie, 1999, n° 5, p. 646