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Regard critique · Justice sociale

Bomel : la mixité des riches n'est pas celle des pauvres

Namur souhaite revitaliser Bomel et Saint-Servais, deux quartiers en déclin. Objectif : faire revenir les classes moyennes. Au détriment des faibles revenus ? Àvoir…

16-11-2009 Alter Échos n° 284

Namur souhaite revitaliser Bomel et Saint-Servais, deux quartiers en déclin. Objectif : faire revenir les classes moyennes. Au détriment des faibles revenus ? Àvoir…

Le 19 octobre 2009, le Conseil communal namurois votait le schéma directeur pour Bomel et Saint-Servais. Concernant Bomel, le document intègre la plupart des demandes etrevendications du comité de quartier local. Fin 2005, ce dernier proposait à la Ville de Namur sa « vision d’avenir et des orientations pour l’améliorationdurable de la qualité de vie dans le quartier de Bomel ». « Ce document émane d’un certain nombre d’habitants, rappelle Michel Grawez, représentant leComité de quartier1. Dans les principes de base, nous soulignons que nous ne sommes pas représentatifs et que « notre vision est progressiste, basée sur le respect del’altérité, la non-discrimination, l’égalité entre individus et entre groupes sociaux ou culturels, la création de liens sociaux ». Pour caricaturer,nous sommes entre guillemets la petite bourgeoisie de gauche du quartier. »

Le document souligne la dégradation générale du quartier depuis 30 ans. Aujourd’hui, le quartier concentre beaucoup de stigmates : la prison, la présence de nombreuxlogements sociaux, la présence du Fonds du logement et nombre d’organisations d’aide à la précarité, une population précaire « de passage »habitant dans des unifamiliales surdivisées… « Le problème n’est pas tant la présence de ces structures, s’empresse de préciser le représentant duComité de quartier, mais leur concentration. Il y a un effet boule de neige. » À cela s’ajoute une population immigrée propriétaire de plus en plus importante,la présence de deux mosquées, le tout combiné à une absence de contact entre les différentes communautés, ce qui ne favorise guère lamulticulturalité.

Les revendications du Comité de quartier portaient sur le maintien de la fonction d’habitation du quartier et même son renforcement par la création de logements, une politiquede mobilité cohérente prenant en compte la sécurité de tous les usagers, la réaffectation du site des anciens abattoirs en un lieu phare, ou encore la mise en placede dispositifs favorisant les rencontres entre les différentes communautés sociales et culturelles du quartier. Elles semblent bien avoir été entendues de la Ville. ArnaudGavroy (Écolo), échevin de l’Aménagement durable2 : « La priorité de ce schéma directeur est de tirer ce quartier vers le haut. On veut yfaire revenir des familles classe moyenne responsables qui vivront pour un temps long dans ce quartier. Il faut être conscient qu’à Namur il y a une chute de la taille des ménages: 40 % des gens vivent seuls. » Les anciens abattoirs seront également rénovés : il y aura une partie avec une fonction culturelle et sociale et une autredestinée à la création de nouveaux logements.

A priori, pas de « gentrification » en vue

Reste à savoir si cette revitalisation ne se fera pas sur le dos des personnes à faibles revenus – selon le processus de « gentrification ». « Le butn’est pas de mettre à la porte des gens en rénovant, assure Arnaud Gavroy. Il n’est pas question de procéder comme à la rue des Brasseurs [NDLR une rue du centre-villedont la rénovation avait entraîné l’éviction des classes populaires au profit des classes moyennes et supérieures]. L’objectif est plutôt de mettre àcôté des habitants actuels des gens qui vont tirer vers le haut un quartier qui a longtemps été tiré vers le bas. » Et d’ajouter que le quartier comptedes logements sociaux en suffisance dont on ne peut chasser les occupants.

Même son de cloche du côté de Michel Grawez : « Pour le moment, nous ne sommes pas dans un phénomène de « gentrification », mais plutôt dans lephénomène inverse. On veut le retour à un quartier multifonctionnel pour les familles – il n’y a rien en termes d’école par exemple – on veut que celaredevienne un quartier où il fait bon vivre. On veut qu’il y ait du logement moyen, des espaces verts et des petites infrastructures sportives. Aujourd’hui, il y a trop de garnis. Cela dit,c’est vrai qu’on n’a pas vraiment mis de balises en termes de risque de gentrification. C’est clair que si le quartier devient attractif, les bâtiments industriels risquent d’êtretransformés en lofts. »

Marc Bertrand, directeur général du centre scolaire d’Asty Moulin3 – à deux pas des anciens abattoirs – fréquente le quartier depuis vingt ans,il n’a pas eu connaissance d’un groupe de travail à ce sujet : « Il y a un projet à l’arrière des bâtiments concernant les anciens abattoirs avec uneréflexion d’équilibrer logements sociaux, logements cossus, commerces et bureaux. Mais tout ce que j’en sais, c’est par la presse. Notre établissement n’a pas étéassocié à la réflexion concernant la reconstruction du quartier, à part sur la mobilité et la sécurité, car on draine 2 000 étudiants tousles jours. »

Bémols

À l’asbl Resto du cœur de Namur4, on est plus critique. Il est vrai qu’en 2006, déjà, ses responsables évoquaient dans nos pages lanécessité pour l’asbl de posséder des logements pour préserver des poches de loyers abordables dans un quartier en pleine mutation. Ils signalaient que leredéveloppement de la gare avait entraîné l’arrivée de revenus plus aisés, et dans la foulée des hausses des prix de l’immobilier. Pour Roberto Galante,directeur du Resto du cœur, « le but du schéma directeur n’est pas vraiment d’améliorer le sort des habitants à faibles revenus de Bomel, mais plutôt defaire déguerpir les pauvres et les institutions caritatives. L’intention est de faire revenir des bourgeois bohèmes, soit des classes moyennes. » C’est une forme d’effetNimby (« Not in my backyard » : « Pas de ça dans mon jardin »), estime-t-il. Et d’ajouter : « Le Resto du cœur va bien créersix logements – trois de transit et trois d’insertion – mais ce n’est qu’une goutte d’eau… Et on fait cela uniquement avec des moyens régionaux dans le cadre de l’ancragecommunal, la Ville n’intervient pas financièrement, même si elle pilote l’ancrage. »

Plus nuancée, Patricia Vansnick, responsable pédagogique de l’Arche d’alliance (maison d’accueil pour femmes) et d’Avec Toit – Fondation Gendebien (maison d’accueil pourhommes)5, livre une double analyse : « C’est vrai que Bomel est un quartier qui rassemble un certain nombre de personnes précarisées, mais tout le social n’est pasqu’à Bomel, il y a d’autres lieux. En
tant que professionnelle, si je me place du point de vue des personnes hébergées, il est préférable que la plupart desservices se trouvent à proximité l’un de l’autre. Par exemple, c’est bien que l’Abri de nuit revienne à Bomel et se trouve tout près du Resto du cœur. Par contre, sije me mets à la place des riverains, je comprends que cette concentration de services et de personnes précarisées puisse être un frein à l’implantation de classesmoyennes. L’idéal, même si c’est utopique, serait d’avoir un mélange de personnes de milieu modeste, de classes moyennes et de classes supérieures. » Elle pointeaussi quelques paradoxes. Exemple : les riverains veulent des lieux de convivialité dans le quartier, mais ils ont peur que les bancs soient squattés par les sans-abri.

On peut donc s’interroger sur le sort des plus précaires. Quid des faibles revenus vivant dans les garnis ? Seront-ils relogés une fois qu’il sera mis fin à lasurdivision des unifamiliales ? Malgré les meilleures intentions du monde, nombre de projets de rénovation urbaine (à Bruxelles, à Charleroi et ailleurs) ontentraîné – et entraînent encore – l’éviction des locataires les plus faibles. L’échevin Arnaud Gavroy, prudent, admet lui-même « qu’on nepeut rien garantir dans les vingt à trente ans à venir ».

1. Comité de quartier :
– contact : Michel Grawez
– adresse : rue Koller 7 à 5000 Namur
– tél. : 081 22 04 99
– courriel : michel.grawez@swing.be
– site : www.bomel.namur.be
2. Cabinet d’Arnaud Gavroy
– Hôtel de Ville à 5000 Namur
– tél. : 081 24 69 12
– courriel : arnaud.gavroy@ville.namur.be
– site : www.ville.namur.be
3. Centre d’Asty-Moulin :
– adresse : rue de la Pépinière, 101 à 5002 Namur
– tél. : 081 72 90 20
– site : www.asty-moulin.be
4. Resto du cœur :
– adresse : rue d’Arquet, 3-7 à 5000 Namur
– tél. : 081 22 53 23
– courriel : info@rdcn.be
– Voir aussi le Cahier Labiso n° 83-84 « Le Resto du cœur deNamur, porte d’entrée de la Maison de la solidarité« 
5. Avec Toit – Fondation Gendebien
– adresse : rue de Bomel, 154 à 5000 Namur
Arche d’Alliance de Namur :
– adresse : bd Herbatte, 27/29 à 5000 Namur
– tél. : 081 23 11 27
– courriel : p.vansnick@archedalliance.be

Baudouin Massart

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